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2135 145 LES ÎLES CANARIES, ESCALE DE LA NAVIGATION BELGE AU XIXe SIÈCLE Bart De Groof ‘Séjour mystique du bonheur et de la paix’ 1 Voilà plus de quinze ans, déjà, que le professeur Eddy Stols publiait un article sur Les Canaries et l’expansion coloniale des Pays-Bas méridionaux au seizième siècle et de la Belgique vers 1900, dans les actes du IVe coloquio de historia canario-americana. L’auteur montrait comment le nouvel état indépendant de Belgique, au XIXe siècle, avait pris d’une certaine façon le relais du dynamisme colonial des anciens Pays-Bas.2 Il mettait au jour l’intérêt, modeste mais sincère, d’un certain nombre d’entreprises belges, en vue d’investir dans les îles, surtout dans les domaines des travaux publics (tramways, électricité) et de l’agriculture (plantations de betteraves et bananes). Les investisseurs s’aventuraient sur base des rapports très prometteurs, rédigés par les consuls belges de Santa Cruz de Tenerife, Santa Cruz de la Palma et de Las Palmas, au sujet des possibilités d’exploitation et de débouchés des Canaries. La présence de ces consuls s’expliquait surtout par la situation géographique des îles, à la croisée de nombreux itinéraires maritimes, empruntés à cette époque par les bateaux belges. Pendant longtemps, il n’y eut cependant pas de liaison régulière entre la Belgique et les Canaries. Quelques bateaux belges s’y arrêtaient rarement. En 1837, par exemple, le navire Clotilde d’Anvers fut affrété pour une campagne d’instruction des jeunes officiers et aspirants de la marine de l’État. Il croisa aux Canaries, aux îles du Cap Vert et aux Açores. Cependant, l’intérêt commercial pour les îles n’était pas très soutenu: le ministre des affaires étrangères n’avait pas jugé utile ou avantageux d’y embarquer un agent commercial.3 Le premier bâtiment belge à mouiller l’ancre aux îles aurait été la goélette de l’Etat Louise-Marie.4 Transportant des émigrants belges vers la nouvelle colonie de Santo-To-mas de Guatemala, elle fut bien accueillie lors de son passage aux Canaries, en 1843, obligée de séjourner dans le port de Santa Cruz pendant trois semaines, en raison de la maladie du directeur de la colonie.5 Il faut attendre la dernière décennie du XIXe siècle pour que les liaisons entre la Belgique et les Canaries s’accentuent. Depuis la fondation de l’Etat indépendant du Congo (1885), une liaison entre Anvers et les nouveaux territoires de Léopold II était devenue indispen-sable: les Canaries, parfois avec une halte supplémentaire à Madère, formaient l’escale idéale pour les longs voyages à destination de l’Afrique. Pourtant, l’engagement colonial belge au Congo ne fut pas tout de suite facilité par l’émergence d’un trafic maritime national vers le Continent Noir. Un voyageur indiquait en 1888 que des bateaux anglais et français, en route vers l’Amérique du Sud, accostaient aux Canaries, mais que la Belgique restait privée de lignes maritimes nationales vers l’Afrique. Le plus souvent, il fallait en effet embarquer dans des ports étrangers, comme Liverpool.6 2136 La constitution de la Compagnie Maritime Belge du Congo (1895) encouragea fortement le trafic maritime belge intercontinental. D’emblée les Canaries se profilèrent comme une latitude de passage sur les cartes marines belges.7 Les statistiques du consulat le prouvent: en 1899, 35 navires au pavillon belge jetaient l’ancre au port de Las Palmas, en 1908, 45 à Tenerife.8 L’archipel offrait l’occasion de se réapprovisionner et de se reposer.9 D’autres bateaux belges vont d’ailleurs s’ajouter à ceux de la ligne congolaise: les paquebots en route vers l’Amérique de Sud (Argentine, Brésil), exploités par la Navigation Belge Sud-Américaine (1877), plus tard par la Compagnie Royale Belgo-argentine (depuis 1906) ou par la Lloyd Royal Belge (à partir de 1916).10 Depuis les années 1890, les navires belges s’arrêtaient donc régulièrement aux Canaries, avec parfois des périodes de moindre fréquentation, comme pendant la guerre hispano-américaine (1898) quand les îles perdirent leur intérêt parce que les Belges préféraient emmagasiner leurs provisions à Madère, par peur d’une attaque de la flotte américaine. Le passage par les Canaries n’était d’ailleurs pas toujours nécessairement dicté par une halte technique. L’intérêt touristique des Canaries progressait et les lignes belges s’adaptaient, à tel point que le bateau à vapeur Albertville, par exemple, en 1899, fit le détour par l’archipel pour offrir à ses voyageurs le spectacle du panorama de Tenerife.11 A cette époque, les Canaries revêtaient une telle importance que la diplomatie belge envisagea même de négocier leur achat. Il n’y a cependant jamais eu de vrais engagements, probablement parce que les Belges ont vite pris conscience qu’ils ne faisaient pas le poids dans leurs revendications.12 La navigation belge restait modeste par rapport aux lignes allemandes ou françaises; par ailleurs, les Canaries n’étaient qu’une des nombreuses possibilités d’escale, comme Madère ou le Maroc. En outre, le môle de Tenerife ne garantissait pas la sécurité souhaitable, ce qui hypothéquait par conséquent sa position comme point de relâche des navires.13 Aussi, la situation des Belges installés aux Canaries pour profiter de la fonction d’escale de l’archipel, était précaire et imprévisible. Un voyageur raconte qu’en 1896 il rencontra un compatriote à Las Palmas qui vivait dans l’espoir de servir de correspondant pour les Belges se rendant au Congo, peut-être aussi pour les lignes de navigation. Pour cet observateur, c’était risqué, à la merci du moindre changement d’itinéraire des vapeurs.14 Dans les années 1920, la fonction d’escale des Canaries apparaît en effet concurrencée par le passage de Casablanca au Maroc.15 Mais en dehors des nécessités de la navigation, la température et le climat des îles apparaissaient comme une raison suffisante pour y descendre. Au tournant du siècle, beaucoup de passagers accompagnaient les bateaux belges pour débarquer à Las Palmas et y passer les mois d’hiver, sous un ciel plus clément. Jules Flamme, officier de la Force Publique congolaise, remarquait en 1899 qu’à Las Palmas la ville regorge d’étrangers qui viennent, les uns y passer l’hiver, les autres pour rétablir leur santé, parce que le climat y est aussi doux qu’aux îles Madères, mais la vie y est moins chère, dit-on.16 Les Belges s’en émerveillaient et dressaient des comparaisons avec leur terre natale. A Gran Canaria ou à Tenerife, ils rencontraient des familles anglaises [qui] y font une villégiature, sans plus de façon qu’on n’en met chez nous à aller passer la saison à Spa ou à Blankenberghe.17 Il est complexe de déterminer dans quelle mesure les touristes belges participèrent à de tels voyages d’agrément, mais la fonction résidentielle des îles a certainement contribué à éveiller l’intérêt pour les Canaries. 2137 Quelques récits de voyage mentionnent un cercle d’expatriés qui s’affichaient comme cicérones des îles. Le célèbre socialiste Emile Vandervelde18 par exemple, de retour du Congo en 1908, rencontra à Santa Cruz plusieurs membres de la colonie belge et prit le tramway électrique des frères Fichefet pour descendre à La Laguna.19 En 1896, l’avocat André Van Iseghem se rendit au Congo en qualité de secrétaire; il rencontra à Las Palmas le colonel Emile Walton, un vétéran de l’expédition belge au Mexique, qui servait de guide zélé. Cependant, le juriste n’apprécia que modérément ces services parce qu’il se sentit obligé de suivre les goûts et les intérêts de son hôte, sans beaucoup de liberté de découvertes.20 En dépit de cette modeste présence belge sur les îles, la Belgique ne devait pourtant pas être tellement réputée aux Canaries: pour solliciter les voyageurs, les enfants criaient en courant derrière eux “viva Francia, viva Inglaterra, viva Italia”. La Belgique était glorieusement absente de la liste des nations connues des gamins de Las Palmas !21 Cette communication se concentre sur l’image des îles Canaries, et dans une moindre mesure de Madère, resté dans la mémoire des voyageurs belges descendus sur l’archipel. Pour en présenter une analyse, j’ai retenu une quinzaine de récits de voyageurs qui ont emprunté cette route maritime vers le Congo. Mon choix est évidemment éclectique et n’est certainement pas exhaustif. La plupart des narrateurs consacrent à peine quelques pages sur leur séjour dans les îles, où ils ne firent qu’une simple halte. Le plus souvent, ils ne décrivent que ce qui leur sautait aux yeux. Certains ne descendaient même pas à terre, se souvenant du conseil prôné par le commandant du Durham Castle, qui conduisit en 1922 le ministre Carton de Wiart en Afrique, et qui prétendait que toutes les îles gagnent à être ainsi vues du large, et qu’à y mettre le pied, la chance des déceptions est la seule que l’on coure.22 Beaucoup de voyageurs trouvaient néanmoins leurs expériences tellement nouvelles et intéressantes qu’ils publiaient leur journal de voyage. Ces publications étaient très soignées, en papier de premier choix et souvent joliment reliées. Les témoignages plus tardifs sont parfois illustrés avec des vues remarquables et parfois exceptionnelles de paysages ou des habitants de Madère et des Canaries. 23 Que les voyageurs ressentent la nécessité de diffuser leur récit est signicatif du caractère exceptionnel et aventurier de leur voyage. Bien sûr, la vraie aventure commençait surtout en Afrique ou en Amérique, mais dans presque chaque récit de voyage les Canaries sont aussi mentionnées, avec plus ou moins de détails. Pourtant à la fin du XIXe siècle, il n’était pas évident d’écrire sur les îles en dehors des sentiers battus. Le chapitre consacré à l’archipel était en fait souvent un exercice de style obligatoire, un échauffement pour les aventures plus spectaculaires et grandioses qui allaient suivre. Certains auteurs affirment que l’on visitait les Canaries par ennui, parce qu’il fallait bien avoir un sujet pour écrire.24 En 1837, le lieutenant de vaisseau Nuewens jugeait qu’il n’y avait plus un mot à ajouter sur la Canaries: L’île Téneriffe, ancienne patrie des Guanches, peuple si intrépide, si vertueux, & dont il ne nous reste plus que quelques traditions bien peu positives, & quelques momies renfermées dans les cavernes sépulcrales du Pic de 2138 Teneriffe, a été si souvent décrite par les voyageurs qu’il ne reste plus rien a en dire. Un demi siècle plus tard, le lieutenant Warlomont écrivait: rien à vous signaler depuis notre arrivée à Santa-Cruz de Ténériffe... nous n’avons eu que quelques heures pour visiter la ville qui, d’ailleurs, n’est pas très curieuse.25 Plusieurs précautions critiques sont nécessaires à la lecture de ces sources. Tout d’abord, la question de l’originalité des témoignages doit être soulevée. Les observations des voyageurs n’étaient pas exemptes de préjugés: en effet, des stéréotypes au sujet des Canaries s’étaient très vite répandus et se répétèrent plus tard dans de nouvelles descriptions. Ces stéréotypes trouvèrent surtout un écho dans les guides commerciaux. La plupart des bateaux disposaient à bord d’une petite bibliothèque où les passagers les plus curieux bouquinaient pour épater ensuite la galerie. En 1899, l’anversois Pieter De Mey monta à bord de l’Albertville pour le Congo, afin d’y inaugurer en compagnie d’une délégation de personnalités belges le chemin de fer entre Matadi et Stanleyville. Il s’agissait de voyageurs presque sans expérience de la vie coloniale.26 Malgré cette inexpérience, De Mey pouvait à maintes reprises broder sur l’histoire des villes et des régions visitées. Sa documentation sur Tenerife, par exemple, est certainement issue des publications géographiques d’Élisée Reclus.27 Tous les passagers n’étaient pas nécessairement satisfaits par ces guides, qui voyagent suivant les formules, [ces] dociles dont Baedeker est l’évangile itinérant.28 D’autres connaissaient la situation par la lecture de l’un ou l’autre des nombreux articles parus sur les Canaries dans les revues géographiques, comme le Mouvement Géographique ou le Bulletin de la Société d’Etudes Coloniales.29 Deuxième constatation critique: les récits sont très inégaux, au niveau du contenu ou du point de vue littéraire. Tous les voyageurs n’étaient certes pas doués d’un même talent de plume et leurs descriptions de l’archipel étaient parfois banales ou mélodramatiques. Les récits étaient rédigés à des périodes différentes par des personnes aux bagages culturels et aux intérêts divers. En général, la teneur des journaux dépend surtout de l’expérience des voyageurs. Une grande difficulté pour l’observation plus pointue était évidemment le handicap des langues. Ainsi, une soeur de la Charité de Gand remarque que les habitants de Santa Cruz de Tenerife ne savent que l’espagnol, et qu’il est donc inutile d’en choisir un pour guide.30 Bien que par manque de préparation leur observation fût plus limitée, ceux qui n’avaient eu que leur village pour horizon étaient généralement plus enthousiastes que les voyageurs invétérés. Pour ces derniers, le caractère exotique avait perdu un peu de son mystère maintenant que les distances étaient en fait relativement vite franchies. Un bateau à vapeur comme le Léopoldville mettait une semaine, en 1908, pour naviguer d’Anvers à Tenerife. On ne voyageait plus comme explorateur solitaire vers l’inconnu, mais on s’amusait entre compatriotes sur le pont des passagers, sous des plaids confortables. Le sentiment d’étrangeté était donc terni. Emile Vandervelde trouva presque dérangeant d’entendre sur le bateau les mêmes langues qu’à la maison: sur le pont comme dans l’entrepont, toutes les variétés de l’accent belge nous donnent l’illusion d’être encore à la Maison du Peuple de Bruxelles, ou dans les couloirs du Palais de la Nation.31 2139 Enfin, presque tous les voyageurs se forgèrent une opinion selon des paramètres et des critères européens. La plupart de leurs descriptions proposent des comparaisons avec la mère patrie. Le rapport amusé du missionnaire scheutiste Constant De Deken, vétéran de Chine et du Tibet, envoyé par son Général en voyage d’inspection vers les missions nouvelles du Congo, est révélateur.32 A bord du bateau allemand Ella Woerman, il rencontre des soeurs de la Charité de Gand en route vers le Congo. Le missionaire était assez flegmatique et préféra flâner à Santa Cruz, pendant que les soeurs couraient à leurs dévotions dans les couvents et les églises. Il s’est amusé de l’enthousiasme naïf des religieuses qui n’en croyaient pas leurs yeux à la découverte d’expériences aussi nouvelles, verbaasd als ze waren, zij die nooit anders gezien hadden dan de groene vlakten van hun geliefd Vlaanderen en die dachten dat de viswijven van Gent de grootste babbelaarsters ter wereld waren.33 Mais le père compare aussi le degré de civilisation avec des normes européennes. Il est par exemple tout étonné de voir un orphelinat à Santa Cruz reluisant de propreté, aussi net qu’il n’en a même jamais vu en Belgique, écrit-il, waar zindelijkheid voor een deugd geldt.34 Dans quelques cas, l’amusement cédait la place à la stupéfaction, même chez des voyageurs comme le baron Auguste Lahure, colonel d’Etat major, chargé en 1888 par le roi d’une mission en Afrique du nord et centrale: lors d’une grand-messe, le baron fut surpris de voir des femmes, très brunes, en jupes courtes, toutes sans exception armées d’un éventail. Son étonnement grandit encore lorsqu’il observa qu’à la sortie de la messe, ces dames montaient sur les mules et les chameaux qui les attendaient pour rentrer chez elles. Il écrivit à son correspondant: Absolument rien, comme tu vois, qui rappelle la sortie de la messe de Sainte-Gudule ou de Saint-Joseph!35 Les comparaisons avec la Belgique sont légions dans tous les récits de voyage. De Mey compare la flore des côtes de Belmonte derrière Funchal avec la Campine anversoise36 et Jules Flamme trouve qu’une des montagnes de Tenerife ressemble étonnament, par sa forme conique, au mont sur lequel les Anglais ont érigé le lion, à Waterloo.37 La première impression des Canaries restait pour tous les passagers un moment inoubliable. Dès que les îles s’annonçaient, la plupart des passagers s’élançaient à l’avant, sur le pont, lunette de tout calibre à la main, se réjouissant de voir enfin la terre.38 En 1837, le commandant Nuewens écrivait au ministre des travaux publics [et de la marine]: au premier abord l’île paraît très stérile, & l’on dirait que les montagnes dont elle est formée, ne sont qu’un amas de débris volcanique à peine couverts d’une croûte de terre végétale; mais en s’approchant l’aspect change, & l’on aperçoit des vallons bien cultivés, des coteaux couverts de vignes, & des maisons placées ça & là sur la pente des montagnes, dont la situation pittoresque ajoute encore au charme du paysage.39 Après un séjour d’un mois au Maroc, fin août, début septembre 1888, le baron Lahure s’arrêta aux Canaries: il visita Tenerife, Gran Canaria, et aussi, l’un des rares à l’époque, Lanzarote. Même s’il ne resta que peu de temps sur l’archipel, il se rendit même à l’intérieur du pays. En une phrase, il résume le mélange enchanteur des Canaries : Je t’assure que ces Canaries méritent bien le nom “d’îles fortunées” que leur donnaient les anciens: climat, lumière, air sain, végétation, fruits, productions, fleurs à profusion, elles ont tout pour elles, et principalement cet aspect gai des contrées exceptionnellement privilégiées.40 2140 L’un des spectacles le plus surprenant était le majestueux Pico de Teide. Il se dévoila au regard du capitaine Emile Monthaye, en route vers le Congo pour l’inauguration de la ligne de chemin de fer Matadi - Léopoldville, comme féerique, prestigieux, digne d’un conte des Mille et une Nuits.41 Le baron Lahure s’intéresse à la signification étymologique du nom (Pic de Teyde... ce qui veut dire pic d’enfer dans l’ancienne langue du pays) et compare le pic avec d’autres montagnes qu’il connaît : Il produit une impression d’altitude supérieure à celle de l’Etna, et à celles des grandes cimes de l’Atlas, quoique d’aspect moindre que le Mont Rosa et le Mont Blanc.42 L’une des pièces d’anthologie sur le Pico de Teyde est celle du journaliste James Vandrunen, qui tomba béat d’admiration avec ses compagnons de voyage à la vue du volcan: Le spectacle est d’une magie solennelle, d’une tressaillante délicatesse de coloration, d’un nuancé imprécis, fragile, changeant... Cette vision nous retient sur le pont dans du recueillement, de l’adoration, dans une sensation de sublime: une exaltante joie de nature dans la grande cérémonie du soir.43 Même les passagers les plus routiniers soulignaient le caractère paradisiaque des îles. Pour le médecin Raymond Rihoux, se rendant au Congo à bord du Bruxelles-Ville en 1898, la ville de Las Palmas n’avait rien d’extraordinaire, elle ressemblait plutôt à une petite “ville de province”. Mais le fait que les Canaries étaient un avant-poste du monde exotique était en soi déjà remarquable: [si ce] n’était la nouveauté du spectacle d’une ville sise en pays tropical où les palmiers s’épanouissent en larges panaches, où les bananes mûrissent et les figues, où les maisons multicolores sont couvertes en terrasse, où les jeunes filles coiffent la mantille, il n’y aurait rien d’extraordinaire, sinon le soleil radiant qui dore et illumine.44 Ce caractère exotique valait en lui-même le déplacement et satisfaisait en général l’intérêt, à peine plus aiguisé. De toute façon, les voyageurs présentèrent les Canaries comme un prélude de paradis terrestre. Un paradis en Afrique ou en Europe? D’un point de vue strictement géographique, la question ne se posait pas. En effet, avant même d’arriver aux Canaries, l’Europe avait disparu. Tous les voyageurs plaçaient la limite entre les eaux d’Europe et celles d’Afrique à la latitude de Gibraltar.45 Pour Emile Sinkel, aspirant de première classe à bord du Louise- Marie, la réponse à la question géographique était claire. Arrivé aux Canaries, il écrit sans détours : Pour la première fois me voici hors d’Europe. Pour situer les îles en Afrique, il recourait à des données géophysiques. Les Canaries appartiennent encore à l’Espagne; ces îles sont rangées parmi celles d’Afrique. En effet, le sol y a la couleur marron, de minéral propre à la terre africaine, couleur toute différente de celle des terrains volcaniques ordinaires, des environs du Vésuve, par exemple.46 Mais en dehors des critères purement géographiques, la différence n’était pas aussi nette. Les différences entre les Canaries et le reste de l’Europe étaient décrites, pour l’essentiel, en termes de glissement ou d’évolution progressive de cultures connues vers d’autres cultures, inconnues. Les Canaries étaient surtout le rendez-vous de brassages ‘européens’ et ‘exotiques’. Certains auteurs soulignent par exemple le caractère naturel diversifié des îles, éclectique par excellence et très différent de la faune et de la flore de Belgique. Jules Flamme trouve qu’à Las Palmas, dans les jardins et le long des avenues, la flore de la zone torride se marie à la flore de la zone tempérée. A côté d’un palmier ou d’un bananier croît soit un 2141 peuplier, un bouleau, un marronnier d’Inde ou un orme.47 Cette grande diversité de plan-tes n’était pas le résultat du hasard. De Mey, parlant de Madère, raconte comment les premiers colons avaient mis le feu à la flore autochtone pour créer la ville de Funchal. Cet incendie ne fut contrôlé que des années plus tard et beaucoup d’espèces furent détruites, ce qui ouvrit la porte à l’importation et la plantation d’espèces extérieures. A la fin du XIXe siècle, la profusion de plantes diverses en était le résultat. De Mey prétendait que l’on pouvait même y trouver toutes les plantes qui n’étaient pas typiques des pôles ou des tropiques. Mais il relevait aussi quelques anciennes espèces de végétation, comme le dragonnier de Tenerife, très menacé.48 En route vers le Congo en 1896, l’avocat et homme politique Edmond Picard visita les îles. Il trouva aussi que la ville de Las Palmas, la cité des palmiers, ne méritait plus cette qualité car la fureur arboricide a tondu sa parure glorieuse et ce n’est plus qu’en de rares points de sa surface calvitiaire que se dressent les fûts architecturaux qui inspirèrent l’art égyptien.49 Les descriptions architecturales sont empreintes de comparaisons avec l’Europe, avec l’architecture maure d’Andalousie, par exemple, pour les maisons à toits plats, à cours intérieures et patio selon le modèle mauresque. Une sorte de barrière mentale persistait cependant entre les européens et les habitants des Canaries. Comme le remarquait Fritz Van Der Linden, qui fit un voyage d’études en 1908 en tant qu’envoyé spécial pour le journal L’étoile belge vers la nouvelle colonie du Congo Santa Cruz met une certaine pudeur à ne pas laisser immédiatement apercevoir aux Européens son curieux groupement de maisons blanches, roses, vertes et jaunes, à façades plates, comme des blocs de nougat.50 Edmond Picard qui connaissait mieux l’Afrique du Nord, voyait les réalisations architecturales des Canaries comme un curieux mélange d’oeuvres inachevées: la cathédrale de Las Palmas, par exemple, était un témoignage de la prompte lassitude des volontés espagnoles, avec des éléments plus exotiques, ses tours surmontées de hautes guérites cylindriques à coupoles, qui lui faisaient penser aux minarets quadrangulaires du Maroc. Les expressions les plus typiques sur le caractère des Canaries se retrouvent dans les descriptions de la population locale. Certains auteurs présentent les habitants comme des européens, d’autres comme des ‘indigènes’, d’autres encore les distinguent comme des métisses. Pour la classe entreprenante des coloniaux qui voulait représenter par excellence le dynamisme de l’Etat belge, les Canaries n’étaient qu’une terre d’oisiveté et d’improductivité. Fritz Van Der Linden, par exemple, dédaigne la population et signe des remarques très acerbes sur Santa Cruz: Trois heures nous suffisent pour vider un verre au café belge, place de la Constitution (il y en avait donc un), visiter le pittoresque marché aux fruits, l’église, le jardin public, et constater la roublardise des commerçants. Le peuple de San-ta- Cruz est fainéant et pouilleux. Singulier mélange de plusieurs races, notamment de Guanches et d’Espagnols, il n’a rien de sympathique, et les policiers, sous leur uniforme bleu pâle, n’inspirent nullement confiance. Nous n’avons aucun regret de devoir regagner le steamer.51 Parlant de Madère, le capitaine Monthaye n’est pas plus flatteur sur les habitants des îles paradisiaques: Madère est, en effet, la zone de transition idéale entre les régions 2142 tempérée et tropicale, un de ces points du globe traité en enfant gâté par la nature, où tout croît à merveille, où l’air est doux à respirer, l’île fortunée, en un mot. Si ses habitants... pouvaient se résoudre à travailler au lieu de mendier ou de vivre de l’étranger... L’îlien se laisse vivre, il n’aperçoit pas la “contingence” de l’idée du travail.52 Un autre auteur, anonyme cette fois, s’exprime avec la même arrogance en 1900: Les Canariens sont essentiellement doux, mais incapables d’initiative; l’Espagnol, lui, n’a pas l’énergie voulue pour mener à bien une entreprise. De plus, il fait la différence entre les Canariens et les Espagnols, qui semblaient donc être exclus de la population indigène.53 En réalité, cette arrogance traduisait probablement une certaine forme de jalousie. Seulement Emile Sinkel avait l’honnêté de l’admettre; par ailleurs, son jugement sur la vie des Canaries était nettement plus positif. Selon lui, la nature des Canaries y invitait au bien-être et inspirait les sentiments poétiques. En un mot, Sinkel se livrait aux pensées nostalgiques d’un occidental qui a bien conscience que sa civilisation a un prix.54 Les voyageurs les plus intéressés s’attardaient à l’histoire de la population locale: l’intérêt pour l’archéologie se rencontrait aussi chez le visiteur possédant une formation classique. Voyageur très ouvert et éclectique, Pieter De Mey ajoute quelques détails ethnologiques dans son journal. Il savait par exemple que les Guanches étaient une branche issue de la racine berbère, dont on retrouvait des traces surtout à Tenerife et Gomera.55 Le baron Lahure s’intéressait aussi aux Guanches et visita les momies et les squelettes énormes du musée de La Laguna. Il raconte en détail le combat perdu contre l’expédition d’Alonzo de Lugo en 1494. En outre, il pensait que la population des îles arides Lanzarote et Fuertaventura avaient d’autres origines que celle des îles principales. La population, bien différente de celle de Ténériffe, a évidemment des origines autres que les Guanches et anciens Espagnols; il y a là du sang phénicien ou carthagénois, car les navigateurs de l’antiquité qui suivaient les côtes... ont touché aux îles rapprochées du continent, tandis qu’ils n’ont pu s’aventurer vers les autres situées plus au large.56 L’intérêt historique se concentrait sur l’arrivée des blancs, la conquête de Jean de Bethancourt, l’escale de Colomb. André Van Iseghem s’extasia devant la grandeur des vestiges d’anciennes fortifications de Puerto de La Luz. Il ajoutait amèrement que la première pensée des conquistadores blancs est d’élever des forteresses puissantes contre d’autres blanc. Car ces fortifications sont trop puissantes pour avoir été bâties dans un but de protection contre de simples indigènes.57 L’idée de contacts entre les simples indigènes et la civilisation occidentale était un thème central. Du reste, personne ne doutait que l’arrivée des Espagnols se traduisît par un progrès effectif de la civilisation sur les îles. Ce raisonnement se retrouve chez le père De Deken. La population autochtone des îles Canaries a eu la chance d’être éclairée par la foi des Espagnols. Là où il y avait jadis une différence évidente entre les espagnols civilisés et les indigènes, le métissage avait eu des effets salutaires. Il est intéressant de retranscrire in extenso les impressions de De Deken: Gelukkige streken die Spanje, voor alles en overal katholiek, met het kruis voorop in bezit genomen heeft ! [Spanje]... heeft... deze voorheen wilde en heidense eilanden een grondige christen beschaving gebracht; het heeft er een provincie van gemaakt, die in niets voor de rijkste van het vaderland moet onderdoen. De 2143 vermenging der veroveraars met de inboorlingen heeft een schoon volk voortgebracht, kloek van gestalte, tegelijk zachtmoedig, rechtschapen en fier van karakter, een ras dat rijp is voor iedere vooruitgang der christene beschaving.58 Il n’est guère étonnant de voir surtout les religieuses apprécier la piété de la population, ou supposée telle. Pour une soeur gantoise, cette piété était le résultat d’un apport extérieur, introduite par l’Europe. L’apparente candeur des indigènes servait de pâte pour y modeler la civilisation apportée par l’Espagne. La soeur allait si loin dans ce raisonnement qu’elle comparait les résultats obtenus par l’Espagne chez les ‘indigènes’ des Canaries, avec les objectifs que sa compagnie devrait poursuivre au Congo, afin d’obtenir des progrès semblables de civilisation chrétienne chez les Congolais!59 Un autre trait caractéristique des descriptions des Canaries est la probité de la population. Le père De Deken parle de sa première impression de Santa Cruz: edele voorkomendheid der Spaanse gidsen en voerlieden, qui semblaient tous polyglottes. Les Canaries relevaient sans aucun doute de la culture espagnole. En opposition avec son appréciation des Portugais à Madère, De Deken est très positif sur les Espagnols, een volk dat thans ingesluimerd lijkt te zijn op de lauweren van een roemrijk verleden, maar wiens ontwaken de wereld eens zal verbazen.60 Les Canaries étaient un échelon plus haut sur l’échelle de la civilisation, simplement parce que le curé de Santa Cruz parlait couramment le latin, alors que celui de Funchal avait regardé les voyageurs comme s’ils avaient été des peaux rouges ou des Mongols. Soeur Marie-Godelieve trouvait en 1892 que la population des Canaries était tout aussi brune et métissée que celle de Madère, mais que les gens y semblaient bien plus bavards... ce qu’une bonne soeur ne pouvait apprécier que modérément! De toute façon, remarquait-elle, C’est un petit défaut à côté d’une grande qualité: ils sont plus droits que nos ciceroni de Funchal. Et en général, du point de vue religieux, les Canaries l’emportaient sur leur voisin portugais. Les religieuses quittèrent Tenerife emportant de Santa Cruz un meilleur souvenir encore que de Funchal: une dévotion plus solide parmi le peuple.61 Elles accordaient du reste principalement leur attention aux églises et chapelles, pour lesquelles un sentiment d’aliénation les inspiraient très fortement: les statues de la Vierge et des saints étaient représentées d’une façon qui nous permet à peine de les reconnaître; mais ce qui passe tout sous ce rapport, ce sont les anges adorateurs, costumés à l’espagnole: robe rouge, jaune ou bleue avec écharpe de couleur tranchante.62 Le baron Lahure fut l’un des rares voyageurs à s’intéresser dans son récit aux habitants de Lanzarote: On vante, et avec raison, la simplicité et la proverbiale honnêteté des gens de Lanzarote; c’est certainement la population la plus hospitalière, la plus primitive qu’on puisse imaginer; c’en est même renversant quand on est habitué au perpétuel qui vive qu’exigent les relations avec les Arabes et aussi, disons-le franchement, avec nos Européens.63 D’après Lahure, les femmes de Lanzarote étaient polyandres. Cette coutume n’est évidemment pas mentionnée par les religieuses, mais pour le baron elle était signe de douce simplicité et de candeur romanesque... Si le jugement est relativement positif, il n’est pas dépourvu d’une grande dose de paternalisme et la distance entre les habitants des Canaries et les Européens se fait ressentir. 2144 Pour Flamme, l’archipel appartient naturellement à l’Espagne: il le considère, pour le moins, comme une colonie espagnole. Lorsqu’il posa le pied à terre, il parla de notre arrivée sur le sol espagnol, et il décrivait les femmes comme de jolies Andalouses au visage fin et à la prunelle noire et provocatrice.64 Le baron Lahure, lui aussi, parlait des Espagnols des Canaries plutôt que d’indigènes, et décrivait les femmes qu’il rencontrait sur la route de La Laguna, comme de types espagnols, piquets de fleurs dans les cheveux et dentelles noires sur la tête. A Santa Cruz même, ce dernier rencontrait pas mal de gens élégants; du type et du charme chez ces dames ténériffaines; modes espagnoles, pieds cambrés, attaches fines, petites mains, taille ronde, hanches provoquantes.65 Emile Sinkel inclinait vers le ‘modèle européen’ lors de ses promenades sur la place de Santa Cruz. Ce qu’il voyait correspondait assez bien avec les stéréotypes qu’il véhiculait sur l’Espagne: on se croirait dans l’Andalousie, près de Cadix, de Malaga... je suis étonné du beau mon-de, des toilettes élégantes que nous admirons vers la brune <>... Ici comme à l’église se rencontrent, l’éventail en main, de charmantes et gracieuses femmes réalisant le type de l’Espagnole dépeint dans les ballades, les chansons.66 Van Iseghem situait les coutumes vestimentaires des Canaries dans la lignée de l’Amérique du Sud : les femmes portent un voile sur la tête, assez analogue au manto des Chiliennes, qui leur avantage le visage. Mais tout y est sale.67 Dans les écrits de Carton de Wiart, ministre d’État et voyageur de grande envergure, on retrouve encore ce caractère diversifié des îles et de leurs habitants: les enfants aux dents blanches et aux yeux noirs dans des visages d’un teint café au lait, ou Las Palmas qui mêle d’agréables visions et parfum d’Orient et d’Espagne. Comme la plupart des voyageurs, Carton cherchait à confirmer cette image exotique des îles qu’il s’était forgé. Il fut particulièrement charmé par le pittoresque d’adorables géraniums et bougainvilliers en masses touffues, mais aussi par les mendiants typiques, étalant avec ostentation leurs difformités. Cet art de vivre des Canaries ne relevait pas de la culture africaine ou orientale, mais plutôt de la culture européenne. Il décrivit le spectacle qui s’offrait à lui de manière picturale, en tableaux vivants, faisant clairement référence à l’imaginaire espagnol: Des duègnes et des sénoritas qui entrent à l’église, enveloppées de leurs mantilles. Un important chanoine, en camail, coiffé d’un bonnet à houpette verte, qui s’arrête sur le seuil pour échanger quelques propos avec un vieil hidalgo monté sur une sorte de poney noir à l’oeil vif et à longue crinière. Autant de scènes qui rappellent tour à tour le Greco, Murillo, Goya ou Zuloaga. La ville en tant que telle laissa au premier ministre l’image d’une cité prospère et animée. Les cottages le faisaient rêver. On les devine dans la montagne au milieu des orangers : lieux exquis pour le repos et la villégiature.68 L’appréciation belge sur la population des Canaries était donc assez divergente: de l’arrogance méprisante d’un Van der Linden à une véritable théorie des races prônée par le père De Deken. Pour la plupart des voyageurs, les Canaries appartenaient au monde de la civilisation occidentale. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les premières impressions enthousiastes du baron Lahure: des beaux grands phares illuminent la côte; des quais couverts de réverbères; le gaz; des magasins éclairés; dans la rade, des vaisseaux portant leurs fanaux; tout cela n’est plus le Maroc, comme tu vois; c’est l’Europe en pleine Afrique; c’est la civilisation sous un beau ciel plein de scintillantes étoiles. Ah! les pays qui possèdent 2145 ainsi de par le monde de belles îles, de belles possessions lointaines, sont-ils assez heureux ! Tous les éléments de la civilisation européenne sont en place: les rues propres, les magasins bien installés, d’excellentes routes, un opéra.69 Pour Carton de Wiart, de retour du Congo, l’Europe commence aux Canaries. Dakar était le dernier bastion bigarré où les modes parisiennes côtoiaient les amples gandouras en toile bleue des trafiquants de Mauritanie. A ce point précis, la proximité de l’Europe se fait sentir. Suivant ce raisonnement, Tenerife était ...à peine africaine. C’est plutôt un coin de l’Espagne andalouse, avec d’admirables vues de terre et de mer, sous un climat exquis. Il apprécia surtout l’architecture de Tenerife, où il fut étonné de la magnifique architecture espagnole de San Cristofo à La Laguna, Tacoronte, Orotava, retrouvant un étrange sentiment de déjà connu. Même si l’Espagne et la Belgique, depuis l’époque du duc d’Albe n’avaient plus grand chose en commun, Carton voyait des ressemblances entre les églises de son pays et celles de l’archipel, soeurs de certaines de nos églises west-flamandes. Le passé de l’Espagne trouvait ainsi une continuation évidente aux Canaries: L’Espagne mystique et chevaleresque côtoie... ici une vie très moderne et élégante.70 Il n’est pas étonnant que les îles Canaries sont moins présentes dans les récits de retour. Certes, leur caractère exotique qui avait touché les voyageurs à l’aller était entre-temps dépassé par les expériences coloniales du Congo. Sur la route du retour, surtout, l’archipel était la première lucarne vers le monde familier. Edmond Picard trouve les maisons plates de Las Palmas toujours très pittoresques; elles lui semblent même plus belles qu’à l’aller. Le retour vers le monde occidental n’était pas aisé, surtout s’il était trop brutal. Les Canaries appartenaient encore à moitié au monde féerique de l’exotisme. Mais pour certains, de trop nombreux Anglais y erraient. Picard était irrité par leurs hôtels à Las Palmas, en tous points identiques aux trente-six mille hôtels anglais qui grèvent la surface du monde; les Anglais et leur style de vie entachaient le charme des Canaries.71 Le même Picard était pourtant très heureux de trouver au marché des produits européens, comme les raisins, les figues et pommes, qui remplaçaient l’assiette africaine. Après un séjour en Afrique, les produits des Canaries étaient déjà considérés comme européens, qui avaient sans aucun doute la préférence des voyageurs. Sur la route du retour, les Canaries étaient un dernier soupçon d’exotisme. A Tenerife, les Belges du Congo portaient encore leurs vêtements coloniaux. Le soleil apaisait déjà ses ardeurs, les casques et les vêtements blancs disparaissaient. Deux jours plus tard, le vent piquant allait bientôt leur rappeler que l’hiver avait commencé en Belgique.72 2146 NOTAS 1 E. PICARD, En Congolie, Bruxelles, 1896, p. 17. 2 E. STOLS, Les Canaries et l’expansion coloniale des Pays-Bas méridionaux au seizième siècle et de la Belgique vers 1900, tiré à part du IV Coloquio de Historia Canario-Americana (1980), [Las Palmas de Gran Canaria], II, 1982, pp. 903-934. 3 Archives générales du Royaume, Bruxelles (AGR), Administration de la Marine, nº 4169. 4 M. LAFONTAINE, L’enfer belge de Santo Tomas. Le rêve colonial brisé de Léopold Ier, Ottignies, 1997, p. 45. 5 Sur cette tentative de colonisation, voir S. VAN DEN BOSSCHE, Een kortstondige kolonie. Santo- Tomas de Guatemala (1843-1854), een literaire documentaire, Tielt, 1997 et M. LAFONTAINE, 1997. 6 A. LAHURE, Sur la route de Congo. Lettres d’Afrique, Maroc et Sahara Occidental, Bruxelles, 1905, p. 73. 7 G. DEVOS et G. ELEWAUT, CMB 100, een eeuw maritiem ondernemerschap 1895-1995, Tielt, 1995. 8 E. STOLS, 1982, p. 922. 9 Exemple de la fonction d’escale: à Las Palmas, on hissait dix taureaux à bord, abattus tous les deux ou trois jours pour se procurer de la viande fraîche. R. RIHOUX, Congo 1898, Tournai, 1948, p. 37. 10 J. POSSEMIERS, Barcos de vapor belgas sobre el Río de la Plata (1906-1939), dans: B. DE GROOF, P. GELI, E. STOLS et G. VAN BEECK (eds.), En los deltas de la memoria. Bélgica y Argentina en los siglos XIX y XX, Louvain, 1998, pp. 93-98. Aussi J. POSSEMIERS, De Belgische handel en scheepvaart op Latijns-Amerika (1830-1914), dans: E. STOLS et R. BLEYS (eds.), Vlaanderen en Latijns-Amerika, 500 jaar confrontatie en métissage, Anvers, 1993, pp. 262-281. 11 P. DE MEY, Van Antwerpen naar Stanley-Pool. Reisindrukken, Turnhout, 1899, p. 59. 12 Cfr. e.a. les rapports du diplomate Verhaeghe de Naeyer, années 1894-1898, E. VANDEWOUDE et A. VANRIE, Guide des sources de l’histoire d’Afrique du Nord, d’Asie et d’Océanie conservées en Belgique, Bruxelles, 1972, pp. 119, 121, E. STOLS, 1982, p. 924. 13 J. LECLERCQ, Voyage aux Iles Fortunées; Lettres des Canaries, Paris, 1898, pp. 11-12. 14 A. VAN ISEGHEM, Au Congo Belge en 1896, Bruxelles, 1924, p. 35. 15 Le ministre Carton de Wiart avait encore observé qu’à Tenerife le pavillon belge était depuis longtemps familier. Mais désormais les bateaux belges du Congo stationnaient à Casablanca, à l’aller et au retour. H. CARTON DE WIART, Mes vacances au Congo, Bruxelles, 1923, p. 140. 16 J. FLAMME, Notes de voyage dans la Belgique africaine, Bruxelles, [1908], pp. 4, 17. Sur Flamme, voir Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, V, Bruxelles, 1958, pp. 324-325. 17 A. LAHURE, 1905, p. 74. 18 Vandervelde a été activement mêlé au débat de l’annexion de l’Etat libre du Congo à l’Etat belge en 1908, cfr. J. POLASKY, “Vandervelde, Emile” dans: Nouvelle Biographie nationale, I, Bruxelles, 1988, pp. 344-354. 19 E. VANDERVELDE, Les derniers jours de l’Etat du Congo, Journal de voyage (Juillet-Octobre 1908), Mons; Paris, 1909, p. 185. E. STOLS, 1982, p. 926. 20 A. VAN ISEGHEM, 1924, p. 38. A son sujet, voir Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, V, Bruxelles, 1958, pp. 464-467. E. STOLS, 1982, p. 922. 21 R. RIHOUX, 1948, pp. 32-33. 2147 22 H. CARTON DE WIART, 1923, p. 16. 23 Voir par exemple le Voyage au Congo du lieutenant C. Lemaire en 1895, qui contient quelques belles photos de J. Malvaux, et des dessins du port de Las Palmas. Lemaire a mené une brillante carrière et fut ensuite nommé directeur de l’Université coloniale de Belgique à Anvers. Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, II, Bruxelles, 1951, pp. 603-608. 24 Tant de voyageurs, en mal d’écrire, se sont arrêtés à Tenériffe !, F. VAN DER LINDEN, Le Congo, les Noirs et Nous, Paris, 1908, p. 12. 25 C. WARLOMONT, Correspondance d’Afrique, Bruxelles, 1888, p. 8. Il fut commandant en second de la Force Publique au Congo mais mourut peu de temps après son arrivée. Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, I, Bruxelles, 1948, pp. 962-964 et E. VAN BALBERGHE et N. FETTWEIS, “À propos du séjour au Congo de Charles Warlomont, frère de Max Waller: le comité littéraire jeune Belgique” dans: Archives et Bibliothèques de Belgique - Archief-en Bibliotheekwezen in België, 65, 1994, pp. 229-238. 26 P. DE MEY, 1899, p. 11. 27 Demey se réfère probablement à sa Nouvelle Géographie universelle: la terre et les hommes, Paris, 1876. 28 J. VANDRUNEN, Heures Africaines, L’Atlantique - Le Congo, Bruxelles, 1899, p. 23. 29 E. STOLS, 1982, p. 923. 30 Voyage au Congo. Lettres d’une Soeur de Charité de Gand, Bruxelles, 1905, p. 4. 31 E. VANDERVELDE, 1909, p. 31. 32 A son sujet, voir Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, I, Bruxelles, 1948, pp. 289- 290. 33 C. DE DEKEN, Twee jaar in Congo, Antwerpen, 1952, p. 16. Traduction : étonnées qu’elles étaient, elles qui n’avaient rien vu d’autre que les plaines de leur Flandre chérie et qui pensaient que les poissonnières de Gand étaient les plus bavardes du monde. 34 C. DE DEKEN, 1952, p. 18. Traduction : où la propreté compte pour vertu. 35 A. LAHURE, 1905, p. 82. A son sujet, voir Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, V, Bruxelles, 1958, pp. 522-523. 36 P. DE MEY, 1899, p. 53. 37 J. FLAMME, [1908], p. 15. 38 Lettres d’une Soeur de Charité de Gand..., 1905, p. 3. 39 AGR, Administration de la Marine, n∞ 4169. 40 A. LAHURE, 1905, p. 68. 41 [E.] MONTHAYE, Mon journal de bord. D’Anvers à Léopoldville par le chemin des écoliers. Mijne dagelijksche reisaanteekeningen aan boord. Van Antwerpen naar Leopoldville langs den weg der scholieren, Bruxelles, 1900, p. 26. Cfr. Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, IV, Bruxelles, 1955, pp. 627. 42 A. LAHURE, 1905, p. 72. 43 J. VANDRUNEN, 1899, pp. 39-40. Vandrunen se rendait au Congo comme correspondant du journal Petit Bleu. A son sujet ,voir Biographie coloniale belge- Belgische koloniale biografie, III, Bruxelles, 1952, pp. 263-265. 44 R. RIHOUX, 1948, p. 34. 45 J. VANDRUNEN, 1899, p. 25, E. VANDERVELDE, 1909, p. 186. 46 E. SINKEL, Ma vie de marin, I, Bruxelles, 1872, pp. 14-19. 47 J. FLAMME, [1908], p. 17. 2148 48 P. DE MEY, 1899, p. 50. 49 E. PICARD, En Congolie, Bruxelles, 1896, pp. 18-19. A son sujet, voir Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, III, Bruxelles, 1952, pp. 689-697. 50 F. VAN DER LINDEN, Le Congo, les Noirs et Nous, Paris, 1909, p. 12. 51 F. VAN DER LINDEN, 1909, p. 12. 52 [E.] MONTHAYE, 1900, pp. 20-21. 53 E.W. [Emile Walton ?]: ‘Aux Canaries’ dans: Le Mouvement Géographique, 1900, pp. 544-546. 54 E. SINKEL, 1872, I, pp. 16-17. 55 P. DE MEY, 1899, p. 58. 56 A. LAHURE, 1905, p. 80. 57 A. VAN ISEGHEM, 1924, p. 35. 58 C. DE DEKEN, 1952, p. 18. Traduction: Heureuses les régions que l’Espagne, pour tout et partout catholique, a pris en possession avec la croix en tête. [L’Espagne]... a... apporté à ces îles, jadis sauvages et païennes, une culture chrétienne solide; elle en a fait une province qui n’est en rien inférieure à la richesse de la patrie. Le mélange des conquérants avec les indigènes a apporté un beau peuple, fort et en forme, doux en même temps, droit et fier de caractère, une race qui est mûre pour tout progrès de la civilisation chrétienne. 59 Lettres de Soeur Marie-Godelieve à sa Supérieure et ses consoeurs de la Maison-mère de Gand, s.l.n.d., p. 19. 60 C. DE DEKEN, 1952, p. 17. Traductions: La noble prévenance des guides et cochers espagnols. Un peuple qui semble à présent endormi sur les lauriers d’un passé glorieux, mais qui éveillé surprendra le monde. 61 Lettres de Soeur Marie-Godelieve, s.l.n.d., pp. 16-18. 62 Voyage au Congo. Lettres d’une Soeur de Charité..., 1905, p. 4. 63 A. LAHURE, 1905, pp. 82-83. 64 J. FLAMME, [1908], pp. 16-17. 65 A. LAHURE, 1905, pp. 70, 73. 66 E. SINKEL, 1872, I, p. 16. 67 A. VAN ISEGHEM, 1924, p. 37. 68 H. CARTON DE WIART, 1923, pp. 16-18. 69 Le baron n’ignorait pas l’influence africaine. Il trouvait par exemple que les marchés des Canaries avaient déjà une vague ressemblance avec les souks africains. (A. LAHURE, 1905, pp. 68, 82). 70 H. CARTON DE WIART, 1923, pp. 139-140. 71 E. PICARD, 1896, pp. 188-189. 72 E. VANDERVELDE, 1909, p. 186.
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Título y subtítulo | Les Îles Canaries, escale de la navigation belge au XIX siècle |
Autor principal | De Groof, Bart |
Publicación fuente | XIII Coloquio de historia canario - americano |
Numeración | Coloquio 13 |
Tipo de documento | Congreso y conferencia |
Lugar de publicación | Las Palmas de Gran Canaria |
Editorial | Cabildo Insular de Gran Canaria |
Fecha | 1998 |
Páginas | P. 2135-2148 |
Materias | Congresos ; Historia ; Canarias ; América |
Copyright | http://biblioteca.ulpgc.es/avisomdc |
Formato digital | |
Tamaño de archivo | 137838 Bytes |
Texto | 2135 145 LES ÎLES CANARIES, ESCALE DE LA NAVIGATION BELGE AU XIXe SIÈCLE Bart De Groof ‘Séjour mystique du bonheur et de la paix’ 1 Voilà plus de quinze ans, déjà, que le professeur Eddy Stols publiait un article sur Les Canaries et l’expansion coloniale des Pays-Bas méridionaux au seizième siècle et de la Belgique vers 1900, dans les actes du IVe coloquio de historia canario-americana. L’auteur montrait comment le nouvel état indépendant de Belgique, au XIXe siècle, avait pris d’une certaine façon le relais du dynamisme colonial des anciens Pays-Bas.2 Il mettait au jour l’intérêt, modeste mais sincère, d’un certain nombre d’entreprises belges, en vue d’investir dans les îles, surtout dans les domaines des travaux publics (tramways, électricité) et de l’agriculture (plantations de betteraves et bananes). Les investisseurs s’aventuraient sur base des rapports très prometteurs, rédigés par les consuls belges de Santa Cruz de Tenerife, Santa Cruz de la Palma et de Las Palmas, au sujet des possibilités d’exploitation et de débouchés des Canaries. La présence de ces consuls s’expliquait surtout par la situation géographique des îles, à la croisée de nombreux itinéraires maritimes, empruntés à cette époque par les bateaux belges. Pendant longtemps, il n’y eut cependant pas de liaison régulière entre la Belgique et les Canaries. Quelques bateaux belges s’y arrêtaient rarement. En 1837, par exemple, le navire Clotilde d’Anvers fut affrété pour une campagne d’instruction des jeunes officiers et aspirants de la marine de l’État. Il croisa aux Canaries, aux îles du Cap Vert et aux Açores. Cependant, l’intérêt commercial pour les îles n’était pas très soutenu: le ministre des affaires étrangères n’avait pas jugé utile ou avantageux d’y embarquer un agent commercial.3 Le premier bâtiment belge à mouiller l’ancre aux îles aurait été la goélette de l’Etat Louise-Marie.4 Transportant des émigrants belges vers la nouvelle colonie de Santo-To-mas de Guatemala, elle fut bien accueillie lors de son passage aux Canaries, en 1843, obligée de séjourner dans le port de Santa Cruz pendant trois semaines, en raison de la maladie du directeur de la colonie.5 Il faut attendre la dernière décennie du XIXe siècle pour que les liaisons entre la Belgique et les Canaries s’accentuent. Depuis la fondation de l’Etat indépendant du Congo (1885), une liaison entre Anvers et les nouveaux territoires de Léopold II était devenue indispen-sable: les Canaries, parfois avec une halte supplémentaire à Madère, formaient l’escale idéale pour les longs voyages à destination de l’Afrique. Pourtant, l’engagement colonial belge au Congo ne fut pas tout de suite facilité par l’émergence d’un trafic maritime national vers le Continent Noir. Un voyageur indiquait en 1888 que des bateaux anglais et français, en route vers l’Amérique du Sud, accostaient aux Canaries, mais que la Belgique restait privée de lignes maritimes nationales vers l’Afrique. Le plus souvent, il fallait en effet embarquer dans des ports étrangers, comme Liverpool.6 2136 La constitution de la Compagnie Maritime Belge du Congo (1895) encouragea fortement le trafic maritime belge intercontinental. D’emblée les Canaries se profilèrent comme une latitude de passage sur les cartes marines belges.7 Les statistiques du consulat le prouvent: en 1899, 35 navires au pavillon belge jetaient l’ancre au port de Las Palmas, en 1908, 45 à Tenerife.8 L’archipel offrait l’occasion de se réapprovisionner et de se reposer.9 D’autres bateaux belges vont d’ailleurs s’ajouter à ceux de la ligne congolaise: les paquebots en route vers l’Amérique de Sud (Argentine, Brésil), exploités par la Navigation Belge Sud-Américaine (1877), plus tard par la Compagnie Royale Belgo-argentine (depuis 1906) ou par la Lloyd Royal Belge (à partir de 1916).10 Depuis les années 1890, les navires belges s’arrêtaient donc régulièrement aux Canaries, avec parfois des périodes de moindre fréquentation, comme pendant la guerre hispano-américaine (1898) quand les îles perdirent leur intérêt parce que les Belges préféraient emmagasiner leurs provisions à Madère, par peur d’une attaque de la flotte américaine. Le passage par les Canaries n’était d’ailleurs pas toujours nécessairement dicté par une halte technique. L’intérêt touristique des Canaries progressait et les lignes belges s’adaptaient, à tel point que le bateau à vapeur Albertville, par exemple, en 1899, fit le détour par l’archipel pour offrir à ses voyageurs le spectacle du panorama de Tenerife.11 A cette époque, les Canaries revêtaient une telle importance que la diplomatie belge envisagea même de négocier leur achat. Il n’y a cependant jamais eu de vrais engagements, probablement parce que les Belges ont vite pris conscience qu’ils ne faisaient pas le poids dans leurs revendications.12 La navigation belge restait modeste par rapport aux lignes allemandes ou françaises; par ailleurs, les Canaries n’étaient qu’une des nombreuses possibilités d’escale, comme Madère ou le Maroc. En outre, le môle de Tenerife ne garantissait pas la sécurité souhaitable, ce qui hypothéquait par conséquent sa position comme point de relâche des navires.13 Aussi, la situation des Belges installés aux Canaries pour profiter de la fonction d’escale de l’archipel, était précaire et imprévisible. Un voyageur raconte qu’en 1896 il rencontra un compatriote à Las Palmas qui vivait dans l’espoir de servir de correspondant pour les Belges se rendant au Congo, peut-être aussi pour les lignes de navigation. Pour cet observateur, c’était risqué, à la merci du moindre changement d’itinéraire des vapeurs.14 Dans les années 1920, la fonction d’escale des Canaries apparaît en effet concurrencée par le passage de Casablanca au Maroc.15 Mais en dehors des nécessités de la navigation, la température et le climat des îles apparaissaient comme une raison suffisante pour y descendre. Au tournant du siècle, beaucoup de passagers accompagnaient les bateaux belges pour débarquer à Las Palmas et y passer les mois d’hiver, sous un ciel plus clément. Jules Flamme, officier de la Force Publique congolaise, remarquait en 1899 qu’à Las Palmas la ville regorge d’étrangers qui viennent, les uns y passer l’hiver, les autres pour rétablir leur santé, parce que le climat y est aussi doux qu’aux îles Madères, mais la vie y est moins chère, dit-on.16 Les Belges s’en émerveillaient et dressaient des comparaisons avec leur terre natale. A Gran Canaria ou à Tenerife, ils rencontraient des familles anglaises [qui] y font une villégiature, sans plus de façon qu’on n’en met chez nous à aller passer la saison à Spa ou à Blankenberghe.17 Il est complexe de déterminer dans quelle mesure les touristes belges participèrent à de tels voyages d’agrément, mais la fonction résidentielle des îles a certainement contribué à éveiller l’intérêt pour les Canaries. 2137 Quelques récits de voyage mentionnent un cercle d’expatriés qui s’affichaient comme cicérones des îles. Le célèbre socialiste Emile Vandervelde18 par exemple, de retour du Congo en 1908, rencontra à Santa Cruz plusieurs membres de la colonie belge et prit le tramway électrique des frères Fichefet pour descendre à La Laguna.19 En 1896, l’avocat André Van Iseghem se rendit au Congo en qualité de secrétaire; il rencontra à Las Palmas le colonel Emile Walton, un vétéran de l’expédition belge au Mexique, qui servait de guide zélé. Cependant, le juriste n’apprécia que modérément ces services parce qu’il se sentit obligé de suivre les goûts et les intérêts de son hôte, sans beaucoup de liberté de découvertes.20 En dépit de cette modeste présence belge sur les îles, la Belgique ne devait pourtant pas être tellement réputée aux Canaries: pour solliciter les voyageurs, les enfants criaient en courant derrière eux “viva Francia, viva Inglaterra, viva Italia”. La Belgique était glorieusement absente de la liste des nations connues des gamins de Las Palmas !21 Cette communication se concentre sur l’image des îles Canaries, et dans une moindre mesure de Madère, resté dans la mémoire des voyageurs belges descendus sur l’archipel. Pour en présenter une analyse, j’ai retenu une quinzaine de récits de voyageurs qui ont emprunté cette route maritime vers le Congo. Mon choix est évidemment éclectique et n’est certainement pas exhaustif. La plupart des narrateurs consacrent à peine quelques pages sur leur séjour dans les îles, où ils ne firent qu’une simple halte. Le plus souvent, ils ne décrivent que ce qui leur sautait aux yeux. Certains ne descendaient même pas à terre, se souvenant du conseil prôné par le commandant du Durham Castle, qui conduisit en 1922 le ministre Carton de Wiart en Afrique, et qui prétendait que toutes les îles gagnent à être ainsi vues du large, et qu’à y mettre le pied, la chance des déceptions est la seule que l’on coure.22 Beaucoup de voyageurs trouvaient néanmoins leurs expériences tellement nouvelles et intéressantes qu’ils publiaient leur journal de voyage. Ces publications étaient très soignées, en papier de premier choix et souvent joliment reliées. Les témoignages plus tardifs sont parfois illustrés avec des vues remarquables et parfois exceptionnelles de paysages ou des habitants de Madère et des Canaries. 23 Que les voyageurs ressentent la nécessité de diffuser leur récit est signicatif du caractère exceptionnel et aventurier de leur voyage. Bien sûr, la vraie aventure commençait surtout en Afrique ou en Amérique, mais dans presque chaque récit de voyage les Canaries sont aussi mentionnées, avec plus ou moins de détails. Pourtant à la fin du XIXe siècle, il n’était pas évident d’écrire sur les îles en dehors des sentiers battus. Le chapitre consacré à l’archipel était en fait souvent un exercice de style obligatoire, un échauffement pour les aventures plus spectaculaires et grandioses qui allaient suivre. Certains auteurs affirment que l’on visitait les Canaries par ennui, parce qu’il fallait bien avoir un sujet pour écrire.24 En 1837, le lieutenant de vaisseau Nuewens jugeait qu’il n’y avait plus un mot à ajouter sur la Canaries: L’île Téneriffe, ancienne patrie des Guanches, peuple si intrépide, si vertueux, & dont il ne nous reste plus que quelques traditions bien peu positives, & quelques momies renfermées dans les cavernes sépulcrales du Pic de 2138 Teneriffe, a été si souvent décrite par les voyageurs qu’il ne reste plus rien a en dire. Un demi siècle plus tard, le lieutenant Warlomont écrivait: rien à vous signaler depuis notre arrivée à Santa-Cruz de Ténériffe... nous n’avons eu que quelques heures pour visiter la ville qui, d’ailleurs, n’est pas très curieuse.25 Plusieurs précautions critiques sont nécessaires à la lecture de ces sources. Tout d’abord, la question de l’originalité des témoignages doit être soulevée. Les observations des voyageurs n’étaient pas exemptes de préjugés: en effet, des stéréotypes au sujet des Canaries s’étaient très vite répandus et se répétèrent plus tard dans de nouvelles descriptions. Ces stéréotypes trouvèrent surtout un écho dans les guides commerciaux. La plupart des bateaux disposaient à bord d’une petite bibliothèque où les passagers les plus curieux bouquinaient pour épater ensuite la galerie. En 1899, l’anversois Pieter De Mey monta à bord de l’Albertville pour le Congo, afin d’y inaugurer en compagnie d’une délégation de personnalités belges le chemin de fer entre Matadi et Stanleyville. Il s’agissait de voyageurs presque sans expérience de la vie coloniale.26 Malgré cette inexpérience, De Mey pouvait à maintes reprises broder sur l’histoire des villes et des régions visitées. Sa documentation sur Tenerife, par exemple, est certainement issue des publications géographiques d’Élisée Reclus.27 Tous les passagers n’étaient pas nécessairement satisfaits par ces guides, qui voyagent suivant les formules, [ces] dociles dont Baedeker est l’évangile itinérant.28 D’autres connaissaient la situation par la lecture de l’un ou l’autre des nombreux articles parus sur les Canaries dans les revues géographiques, comme le Mouvement Géographique ou le Bulletin de la Société d’Etudes Coloniales.29 Deuxième constatation critique: les récits sont très inégaux, au niveau du contenu ou du point de vue littéraire. Tous les voyageurs n’étaient certes pas doués d’un même talent de plume et leurs descriptions de l’archipel étaient parfois banales ou mélodramatiques. Les récits étaient rédigés à des périodes différentes par des personnes aux bagages culturels et aux intérêts divers. En général, la teneur des journaux dépend surtout de l’expérience des voyageurs. Une grande difficulté pour l’observation plus pointue était évidemment le handicap des langues. Ainsi, une soeur de la Charité de Gand remarque que les habitants de Santa Cruz de Tenerife ne savent que l’espagnol, et qu’il est donc inutile d’en choisir un pour guide.30 Bien que par manque de préparation leur observation fût plus limitée, ceux qui n’avaient eu que leur village pour horizon étaient généralement plus enthousiastes que les voyageurs invétérés. Pour ces derniers, le caractère exotique avait perdu un peu de son mystère maintenant que les distances étaient en fait relativement vite franchies. Un bateau à vapeur comme le Léopoldville mettait une semaine, en 1908, pour naviguer d’Anvers à Tenerife. On ne voyageait plus comme explorateur solitaire vers l’inconnu, mais on s’amusait entre compatriotes sur le pont des passagers, sous des plaids confortables. Le sentiment d’étrangeté était donc terni. Emile Vandervelde trouva presque dérangeant d’entendre sur le bateau les mêmes langues qu’à la maison: sur le pont comme dans l’entrepont, toutes les variétés de l’accent belge nous donnent l’illusion d’être encore à la Maison du Peuple de Bruxelles, ou dans les couloirs du Palais de la Nation.31 2139 Enfin, presque tous les voyageurs se forgèrent une opinion selon des paramètres et des critères européens. La plupart de leurs descriptions proposent des comparaisons avec la mère patrie. Le rapport amusé du missionnaire scheutiste Constant De Deken, vétéran de Chine et du Tibet, envoyé par son Général en voyage d’inspection vers les missions nouvelles du Congo, est révélateur.32 A bord du bateau allemand Ella Woerman, il rencontre des soeurs de la Charité de Gand en route vers le Congo. Le missionaire était assez flegmatique et préféra flâner à Santa Cruz, pendant que les soeurs couraient à leurs dévotions dans les couvents et les églises. Il s’est amusé de l’enthousiasme naïf des religieuses qui n’en croyaient pas leurs yeux à la découverte d’expériences aussi nouvelles, verbaasd als ze waren, zij die nooit anders gezien hadden dan de groene vlakten van hun geliefd Vlaanderen en die dachten dat de viswijven van Gent de grootste babbelaarsters ter wereld waren.33 Mais le père compare aussi le degré de civilisation avec des normes européennes. Il est par exemple tout étonné de voir un orphelinat à Santa Cruz reluisant de propreté, aussi net qu’il n’en a même jamais vu en Belgique, écrit-il, waar zindelijkheid voor een deugd geldt.34 Dans quelques cas, l’amusement cédait la place à la stupéfaction, même chez des voyageurs comme le baron Auguste Lahure, colonel d’Etat major, chargé en 1888 par le roi d’une mission en Afrique du nord et centrale: lors d’une grand-messe, le baron fut surpris de voir des femmes, très brunes, en jupes courtes, toutes sans exception armées d’un éventail. Son étonnement grandit encore lorsqu’il observa qu’à la sortie de la messe, ces dames montaient sur les mules et les chameaux qui les attendaient pour rentrer chez elles. Il écrivit à son correspondant: Absolument rien, comme tu vois, qui rappelle la sortie de la messe de Sainte-Gudule ou de Saint-Joseph!35 Les comparaisons avec la Belgique sont légions dans tous les récits de voyage. De Mey compare la flore des côtes de Belmonte derrière Funchal avec la Campine anversoise36 et Jules Flamme trouve qu’une des montagnes de Tenerife ressemble étonnament, par sa forme conique, au mont sur lequel les Anglais ont érigé le lion, à Waterloo.37 La première impression des Canaries restait pour tous les passagers un moment inoubliable. Dès que les îles s’annonçaient, la plupart des passagers s’élançaient à l’avant, sur le pont, lunette de tout calibre à la main, se réjouissant de voir enfin la terre.38 En 1837, le commandant Nuewens écrivait au ministre des travaux publics [et de la marine]: au premier abord l’île paraît très stérile, & l’on dirait que les montagnes dont elle est formée, ne sont qu’un amas de débris volcanique à peine couverts d’une croûte de terre végétale; mais en s’approchant l’aspect change, & l’on aperçoit des vallons bien cultivés, des coteaux couverts de vignes, & des maisons placées ça & là sur la pente des montagnes, dont la situation pittoresque ajoute encore au charme du paysage.39 Après un séjour d’un mois au Maroc, fin août, début septembre 1888, le baron Lahure s’arrêta aux Canaries: il visita Tenerife, Gran Canaria, et aussi, l’un des rares à l’époque, Lanzarote. Même s’il ne resta que peu de temps sur l’archipel, il se rendit même à l’intérieur du pays. En une phrase, il résume le mélange enchanteur des Canaries : Je t’assure que ces Canaries méritent bien le nom “d’îles fortunées” que leur donnaient les anciens: climat, lumière, air sain, végétation, fruits, productions, fleurs à profusion, elles ont tout pour elles, et principalement cet aspect gai des contrées exceptionnellement privilégiées.40 2140 L’un des spectacles le plus surprenant était le majestueux Pico de Teide. Il se dévoila au regard du capitaine Emile Monthaye, en route vers le Congo pour l’inauguration de la ligne de chemin de fer Matadi - Léopoldville, comme féerique, prestigieux, digne d’un conte des Mille et une Nuits.41 Le baron Lahure s’intéresse à la signification étymologique du nom (Pic de Teyde... ce qui veut dire pic d’enfer dans l’ancienne langue du pays) et compare le pic avec d’autres montagnes qu’il connaît : Il produit une impression d’altitude supérieure à celle de l’Etna, et à celles des grandes cimes de l’Atlas, quoique d’aspect moindre que le Mont Rosa et le Mont Blanc.42 L’une des pièces d’anthologie sur le Pico de Teyde est celle du journaliste James Vandrunen, qui tomba béat d’admiration avec ses compagnons de voyage à la vue du volcan: Le spectacle est d’une magie solennelle, d’une tressaillante délicatesse de coloration, d’un nuancé imprécis, fragile, changeant... Cette vision nous retient sur le pont dans du recueillement, de l’adoration, dans une sensation de sublime: une exaltante joie de nature dans la grande cérémonie du soir.43 Même les passagers les plus routiniers soulignaient le caractère paradisiaque des îles. Pour le médecin Raymond Rihoux, se rendant au Congo à bord du Bruxelles-Ville en 1898, la ville de Las Palmas n’avait rien d’extraordinaire, elle ressemblait plutôt à une petite “ville de province”. Mais le fait que les Canaries étaient un avant-poste du monde exotique était en soi déjà remarquable: [si ce] n’était la nouveauté du spectacle d’une ville sise en pays tropical où les palmiers s’épanouissent en larges panaches, où les bananes mûrissent et les figues, où les maisons multicolores sont couvertes en terrasse, où les jeunes filles coiffent la mantille, il n’y aurait rien d’extraordinaire, sinon le soleil radiant qui dore et illumine.44 Ce caractère exotique valait en lui-même le déplacement et satisfaisait en général l’intérêt, à peine plus aiguisé. De toute façon, les voyageurs présentèrent les Canaries comme un prélude de paradis terrestre. Un paradis en Afrique ou en Europe? D’un point de vue strictement géographique, la question ne se posait pas. En effet, avant même d’arriver aux Canaries, l’Europe avait disparu. Tous les voyageurs plaçaient la limite entre les eaux d’Europe et celles d’Afrique à la latitude de Gibraltar.45 Pour Emile Sinkel, aspirant de première classe à bord du Louise- Marie, la réponse à la question géographique était claire. Arrivé aux Canaries, il écrit sans détours : Pour la première fois me voici hors d’Europe. Pour situer les îles en Afrique, il recourait à des données géophysiques. Les Canaries appartiennent encore à l’Espagne; ces îles sont rangées parmi celles d’Afrique. En effet, le sol y a la couleur marron, de minéral propre à la terre africaine, couleur toute différente de celle des terrains volcaniques ordinaires, des environs du Vésuve, par exemple.46 Mais en dehors des critères purement géographiques, la différence n’était pas aussi nette. Les différences entre les Canaries et le reste de l’Europe étaient décrites, pour l’essentiel, en termes de glissement ou d’évolution progressive de cultures connues vers d’autres cultures, inconnues. Les Canaries étaient surtout le rendez-vous de brassages ‘européens’ et ‘exotiques’. Certains auteurs soulignent par exemple le caractère naturel diversifié des îles, éclectique par excellence et très différent de la faune et de la flore de Belgique. Jules Flamme trouve qu’à Las Palmas, dans les jardins et le long des avenues, la flore de la zone torride se marie à la flore de la zone tempérée. A côté d’un palmier ou d’un bananier croît soit un 2141 peuplier, un bouleau, un marronnier d’Inde ou un orme.47 Cette grande diversité de plan-tes n’était pas le résultat du hasard. De Mey, parlant de Madère, raconte comment les premiers colons avaient mis le feu à la flore autochtone pour créer la ville de Funchal. Cet incendie ne fut contrôlé que des années plus tard et beaucoup d’espèces furent détruites, ce qui ouvrit la porte à l’importation et la plantation d’espèces extérieures. A la fin du XIXe siècle, la profusion de plantes diverses en était le résultat. De Mey prétendait que l’on pouvait même y trouver toutes les plantes qui n’étaient pas typiques des pôles ou des tropiques. Mais il relevait aussi quelques anciennes espèces de végétation, comme le dragonnier de Tenerife, très menacé.48 En route vers le Congo en 1896, l’avocat et homme politique Edmond Picard visita les îles. Il trouva aussi que la ville de Las Palmas, la cité des palmiers, ne méritait plus cette qualité car la fureur arboricide a tondu sa parure glorieuse et ce n’est plus qu’en de rares points de sa surface calvitiaire que se dressent les fûts architecturaux qui inspirèrent l’art égyptien.49 Les descriptions architecturales sont empreintes de comparaisons avec l’Europe, avec l’architecture maure d’Andalousie, par exemple, pour les maisons à toits plats, à cours intérieures et patio selon le modèle mauresque. Une sorte de barrière mentale persistait cependant entre les européens et les habitants des Canaries. Comme le remarquait Fritz Van Der Linden, qui fit un voyage d’études en 1908 en tant qu’envoyé spécial pour le journal L’étoile belge vers la nouvelle colonie du Congo Santa Cruz met une certaine pudeur à ne pas laisser immédiatement apercevoir aux Européens son curieux groupement de maisons blanches, roses, vertes et jaunes, à façades plates, comme des blocs de nougat.50 Edmond Picard qui connaissait mieux l’Afrique du Nord, voyait les réalisations architecturales des Canaries comme un curieux mélange d’oeuvres inachevées: la cathédrale de Las Palmas, par exemple, était un témoignage de la prompte lassitude des volontés espagnoles, avec des éléments plus exotiques, ses tours surmontées de hautes guérites cylindriques à coupoles, qui lui faisaient penser aux minarets quadrangulaires du Maroc. Les expressions les plus typiques sur le caractère des Canaries se retrouvent dans les descriptions de la population locale. Certains auteurs présentent les habitants comme des européens, d’autres comme des ‘indigènes’, d’autres encore les distinguent comme des métisses. Pour la classe entreprenante des coloniaux qui voulait représenter par excellence le dynamisme de l’Etat belge, les Canaries n’étaient qu’une terre d’oisiveté et d’improductivité. Fritz Van Der Linden, par exemple, dédaigne la population et signe des remarques très acerbes sur Santa Cruz: Trois heures nous suffisent pour vider un verre au café belge, place de la Constitution (il y en avait donc un), visiter le pittoresque marché aux fruits, l’église, le jardin public, et constater la roublardise des commerçants. Le peuple de San-ta- Cruz est fainéant et pouilleux. Singulier mélange de plusieurs races, notamment de Guanches et d’Espagnols, il n’a rien de sympathique, et les policiers, sous leur uniforme bleu pâle, n’inspirent nullement confiance. Nous n’avons aucun regret de devoir regagner le steamer.51 Parlant de Madère, le capitaine Monthaye n’est pas plus flatteur sur les habitants des îles paradisiaques: Madère est, en effet, la zone de transition idéale entre les régions 2142 tempérée et tropicale, un de ces points du globe traité en enfant gâté par la nature, où tout croît à merveille, où l’air est doux à respirer, l’île fortunée, en un mot. Si ses habitants... pouvaient se résoudre à travailler au lieu de mendier ou de vivre de l’étranger... L’îlien se laisse vivre, il n’aperçoit pas la “contingence” de l’idée du travail.52 Un autre auteur, anonyme cette fois, s’exprime avec la même arrogance en 1900: Les Canariens sont essentiellement doux, mais incapables d’initiative; l’Espagnol, lui, n’a pas l’énergie voulue pour mener à bien une entreprise. De plus, il fait la différence entre les Canariens et les Espagnols, qui semblaient donc être exclus de la population indigène.53 En réalité, cette arrogance traduisait probablement une certaine forme de jalousie. Seulement Emile Sinkel avait l’honnêté de l’admettre; par ailleurs, son jugement sur la vie des Canaries était nettement plus positif. Selon lui, la nature des Canaries y invitait au bien-être et inspirait les sentiments poétiques. En un mot, Sinkel se livrait aux pensées nostalgiques d’un occidental qui a bien conscience que sa civilisation a un prix.54 Les voyageurs les plus intéressés s’attardaient à l’histoire de la population locale: l’intérêt pour l’archéologie se rencontrait aussi chez le visiteur possédant une formation classique. Voyageur très ouvert et éclectique, Pieter De Mey ajoute quelques détails ethnologiques dans son journal. Il savait par exemple que les Guanches étaient une branche issue de la racine berbère, dont on retrouvait des traces surtout à Tenerife et Gomera.55 Le baron Lahure s’intéressait aussi aux Guanches et visita les momies et les squelettes énormes du musée de La Laguna. Il raconte en détail le combat perdu contre l’expédition d’Alonzo de Lugo en 1494. En outre, il pensait que la population des îles arides Lanzarote et Fuertaventura avaient d’autres origines que celle des îles principales. La population, bien différente de celle de Ténériffe, a évidemment des origines autres que les Guanches et anciens Espagnols; il y a là du sang phénicien ou carthagénois, car les navigateurs de l’antiquité qui suivaient les côtes... ont touché aux îles rapprochées du continent, tandis qu’ils n’ont pu s’aventurer vers les autres situées plus au large.56 L’intérêt historique se concentrait sur l’arrivée des blancs, la conquête de Jean de Bethancourt, l’escale de Colomb. André Van Iseghem s’extasia devant la grandeur des vestiges d’anciennes fortifications de Puerto de La Luz. Il ajoutait amèrement que la première pensée des conquistadores blancs est d’élever des forteresses puissantes contre d’autres blanc. Car ces fortifications sont trop puissantes pour avoir été bâties dans un but de protection contre de simples indigènes.57 L’idée de contacts entre les simples indigènes et la civilisation occidentale était un thème central. Du reste, personne ne doutait que l’arrivée des Espagnols se traduisît par un progrès effectif de la civilisation sur les îles. Ce raisonnement se retrouve chez le père De Deken. La population autochtone des îles Canaries a eu la chance d’être éclairée par la foi des Espagnols. Là où il y avait jadis une différence évidente entre les espagnols civilisés et les indigènes, le métissage avait eu des effets salutaires. Il est intéressant de retranscrire in extenso les impressions de De Deken: Gelukkige streken die Spanje, voor alles en overal katholiek, met het kruis voorop in bezit genomen heeft ! [Spanje]... heeft... deze voorheen wilde en heidense eilanden een grondige christen beschaving gebracht; het heeft er een provincie van gemaakt, die in niets voor de rijkste van het vaderland moet onderdoen. De 2143 vermenging der veroveraars met de inboorlingen heeft een schoon volk voortgebracht, kloek van gestalte, tegelijk zachtmoedig, rechtschapen en fier van karakter, een ras dat rijp is voor iedere vooruitgang der christene beschaving.58 Il n’est guère étonnant de voir surtout les religieuses apprécier la piété de la population, ou supposée telle. Pour une soeur gantoise, cette piété était le résultat d’un apport extérieur, introduite par l’Europe. L’apparente candeur des indigènes servait de pâte pour y modeler la civilisation apportée par l’Espagne. La soeur allait si loin dans ce raisonnement qu’elle comparait les résultats obtenus par l’Espagne chez les ‘indigènes’ des Canaries, avec les objectifs que sa compagnie devrait poursuivre au Congo, afin d’obtenir des progrès semblables de civilisation chrétienne chez les Congolais!59 Un autre trait caractéristique des descriptions des Canaries est la probité de la population. Le père De Deken parle de sa première impression de Santa Cruz: edele voorkomendheid der Spaanse gidsen en voerlieden, qui semblaient tous polyglottes. Les Canaries relevaient sans aucun doute de la culture espagnole. En opposition avec son appréciation des Portugais à Madère, De Deken est très positif sur les Espagnols, een volk dat thans ingesluimerd lijkt te zijn op de lauweren van een roemrijk verleden, maar wiens ontwaken de wereld eens zal verbazen.60 Les Canaries étaient un échelon plus haut sur l’échelle de la civilisation, simplement parce que le curé de Santa Cruz parlait couramment le latin, alors que celui de Funchal avait regardé les voyageurs comme s’ils avaient été des peaux rouges ou des Mongols. Soeur Marie-Godelieve trouvait en 1892 que la population des Canaries était tout aussi brune et métissée que celle de Madère, mais que les gens y semblaient bien plus bavards... ce qu’une bonne soeur ne pouvait apprécier que modérément! De toute façon, remarquait-elle, C’est un petit défaut à côté d’une grande qualité: ils sont plus droits que nos ciceroni de Funchal. Et en général, du point de vue religieux, les Canaries l’emportaient sur leur voisin portugais. Les religieuses quittèrent Tenerife emportant de Santa Cruz un meilleur souvenir encore que de Funchal: une dévotion plus solide parmi le peuple.61 Elles accordaient du reste principalement leur attention aux églises et chapelles, pour lesquelles un sentiment d’aliénation les inspiraient très fortement: les statues de la Vierge et des saints étaient représentées d’une façon qui nous permet à peine de les reconnaître; mais ce qui passe tout sous ce rapport, ce sont les anges adorateurs, costumés à l’espagnole: robe rouge, jaune ou bleue avec écharpe de couleur tranchante.62 Le baron Lahure fut l’un des rares voyageurs à s’intéresser dans son récit aux habitants de Lanzarote: On vante, et avec raison, la simplicité et la proverbiale honnêteté des gens de Lanzarote; c’est certainement la population la plus hospitalière, la plus primitive qu’on puisse imaginer; c’en est même renversant quand on est habitué au perpétuel qui vive qu’exigent les relations avec les Arabes et aussi, disons-le franchement, avec nos Européens.63 D’après Lahure, les femmes de Lanzarote étaient polyandres. Cette coutume n’est évidemment pas mentionnée par les religieuses, mais pour le baron elle était signe de douce simplicité et de candeur romanesque... Si le jugement est relativement positif, il n’est pas dépourvu d’une grande dose de paternalisme et la distance entre les habitants des Canaries et les Européens se fait ressentir. 2144 Pour Flamme, l’archipel appartient naturellement à l’Espagne: il le considère, pour le moins, comme une colonie espagnole. Lorsqu’il posa le pied à terre, il parla de notre arrivée sur le sol espagnol, et il décrivait les femmes comme de jolies Andalouses au visage fin et à la prunelle noire et provocatrice.64 Le baron Lahure, lui aussi, parlait des Espagnols des Canaries plutôt que d’indigènes, et décrivait les femmes qu’il rencontrait sur la route de La Laguna, comme de types espagnols, piquets de fleurs dans les cheveux et dentelles noires sur la tête. A Santa Cruz même, ce dernier rencontrait pas mal de gens élégants; du type et du charme chez ces dames ténériffaines; modes espagnoles, pieds cambrés, attaches fines, petites mains, taille ronde, hanches provoquantes.65 Emile Sinkel inclinait vers le ‘modèle européen’ lors de ses promenades sur la place de Santa Cruz. Ce qu’il voyait correspondait assez bien avec les stéréotypes qu’il véhiculait sur l’Espagne: on se croirait dans l’Andalousie, près de Cadix, de Malaga... je suis étonné du beau mon-de, des toilettes élégantes que nous admirons vers la brune <>... Ici comme à l’église se rencontrent, l’éventail en main, de charmantes et gracieuses femmes réalisant le type de l’Espagnole dépeint dans les ballades, les chansons.66 Van Iseghem situait les coutumes vestimentaires des Canaries dans la lignée de l’Amérique du Sud : les femmes portent un voile sur la tête, assez analogue au manto des Chiliennes, qui leur avantage le visage. Mais tout y est sale.67 Dans les écrits de Carton de Wiart, ministre d’État et voyageur de grande envergure, on retrouve encore ce caractère diversifié des îles et de leurs habitants: les enfants aux dents blanches et aux yeux noirs dans des visages d’un teint café au lait, ou Las Palmas qui mêle d’agréables visions et parfum d’Orient et d’Espagne. Comme la plupart des voyageurs, Carton cherchait à confirmer cette image exotique des îles qu’il s’était forgé. Il fut particulièrement charmé par le pittoresque d’adorables géraniums et bougainvilliers en masses touffues, mais aussi par les mendiants typiques, étalant avec ostentation leurs difformités. Cet art de vivre des Canaries ne relevait pas de la culture africaine ou orientale, mais plutôt de la culture européenne. Il décrivit le spectacle qui s’offrait à lui de manière picturale, en tableaux vivants, faisant clairement référence à l’imaginaire espagnol: Des duègnes et des sénoritas qui entrent à l’église, enveloppées de leurs mantilles. Un important chanoine, en camail, coiffé d’un bonnet à houpette verte, qui s’arrête sur le seuil pour échanger quelques propos avec un vieil hidalgo monté sur une sorte de poney noir à l’oeil vif et à longue crinière. Autant de scènes qui rappellent tour à tour le Greco, Murillo, Goya ou Zuloaga. La ville en tant que telle laissa au premier ministre l’image d’une cité prospère et animée. Les cottages le faisaient rêver. On les devine dans la montagne au milieu des orangers : lieux exquis pour le repos et la villégiature.68 L’appréciation belge sur la population des Canaries était donc assez divergente: de l’arrogance méprisante d’un Van der Linden à une véritable théorie des races prônée par le père De Deken. Pour la plupart des voyageurs, les Canaries appartenaient au monde de la civilisation occidentale. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les premières impressions enthousiastes du baron Lahure: des beaux grands phares illuminent la côte; des quais couverts de réverbères; le gaz; des magasins éclairés; dans la rade, des vaisseaux portant leurs fanaux; tout cela n’est plus le Maroc, comme tu vois; c’est l’Europe en pleine Afrique; c’est la civilisation sous un beau ciel plein de scintillantes étoiles. Ah! les pays qui possèdent 2145 ainsi de par le monde de belles îles, de belles possessions lointaines, sont-ils assez heureux ! Tous les éléments de la civilisation européenne sont en place: les rues propres, les magasins bien installés, d’excellentes routes, un opéra.69 Pour Carton de Wiart, de retour du Congo, l’Europe commence aux Canaries. Dakar était le dernier bastion bigarré où les modes parisiennes côtoiaient les amples gandouras en toile bleue des trafiquants de Mauritanie. A ce point précis, la proximité de l’Europe se fait sentir. Suivant ce raisonnement, Tenerife était ...à peine africaine. C’est plutôt un coin de l’Espagne andalouse, avec d’admirables vues de terre et de mer, sous un climat exquis. Il apprécia surtout l’architecture de Tenerife, où il fut étonné de la magnifique architecture espagnole de San Cristofo à La Laguna, Tacoronte, Orotava, retrouvant un étrange sentiment de déjà connu. Même si l’Espagne et la Belgique, depuis l’époque du duc d’Albe n’avaient plus grand chose en commun, Carton voyait des ressemblances entre les églises de son pays et celles de l’archipel, soeurs de certaines de nos églises west-flamandes. Le passé de l’Espagne trouvait ainsi une continuation évidente aux Canaries: L’Espagne mystique et chevaleresque côtoie... ici une vie très moderne et élégante.70 Il n’est pas étonnant que les îles Canaries sont moins présentes dans les récits de retour. Certes, leur caractère exotique qui avait touché les voyageurs à l’aller était entre-temps dépassé par les expériences coloniales du Congo. Sur la route du retour, surtout, l’archipel était la première lucarne vers le monde familier. Edmond Picard trouve les maisons plates de Las Palmas toujours très pittoresques; elles lui semblent même plus belles qu’à l’aller. Le retour vers le monde occidental n’était pas aisé, surtout s’il était trop brutal. Les Canaries appartenaient encore à moitié au monde féerique de l’exotisme. Mais pour certains, de trop nombreux Anglais y erraient. Picard était irrité par leurs hôtels à Las Palmas, en tous points identiques aux trente-six mille hôtels anglais qui grèvent la surface du monde; les Anglais et leur style de vie entachaient le charme des Canaries.71 Le même Picard était pourtant très heureux de trouver au marché des produits européens, comme les raisins, les figues et pommes, qui remplaçaient l’assiette africaine. Après un séjour en Afrique, les produits des Canaries étaient déjà considérés comme européens, qui avaient sans aucun doute la préférence des voyageurs. Sur la route du retour, les Canaries étaient un dernier soupçon d’exotisme. A Tenerife, les Belges du Congo portaient encore leurs vêtements coloniaux. Le soleil apaisait déjà ses ardeurs, les casques et les vêtements blancs disparaissaient. Deux jours plus tard, le vent piquant allait bientôt leur rappeler que l’hiver avait commencé en Belgique.72 2146 NOTAS 1 E. PICARD, En Congolie, Bruxelles, 1896, p. 17. 2 E. STOLS, Les Canaries et l’expansion coloniale des Pays-Bas méridionaux au seizième siècle et de la Belgique vers 1900, tiré à part du IV Coloquio de Historia Canario-Americana (1980), [Las Palmas de Gran Canaria], II, 1982, pp. 903-934. 3 Archives générales du Royaume, Bruxelles (AGR), Administration de la Marine, nº 4169. 4 M. LAFONTAINE, L’enfer belge de Santo Tomas. Le rêve colonial brisé de Léopold Ier, Ottignies, 1997, p. 45. 5 Sur cette tentative de colonisation, voir S. VAN DEN BOSSCHE, Een kortstondige kolonie. Santo- Tomas de Guatemala (1843-1854), een literaire documentaire, Tielt, 1997 et M. LAFONTAINE, 1997. 6 A. LAHURE, Sur la route de Congo. Lettres d’Afrique, Maroc et Sahara Occidental, Bruxelles, 1905, p. 73. 7 G. DEVOS et G. ELEWAUT, CMB 100, een eeuw maritiem ondernemerschap 1895-1995, Tielt, 1995. 8 E. STOLS, 1982, p. 922. 9 Exemple de la fonction d’escale: à Las Palmas, on hissait dix taureaux à bord, abattus tous les deux ou trois jours pour se procurer de la viande fraîche. R. RIHOUX, Congo 1898, Tournai, 1948, p. 37. 10 J. POSSEMIERS, Barcos de vapor belgas sobre el Río de la Plata (1906-1939), dans: B. DE GROOF, P. GELI, E. STOLS et G. VAN BEECK (eds.), En los deltas de la memoria. Bélgica y Argentina en los siglos XIX y XX, Louvain, 1998, pp. 93-98. Aussi J. POSSEMIERS, De Belgische handel en scheepvaart op Latijns-Amerika (1830-1914), dans: E. STOLS et R. BLEYS (eds.), Vlaanderen en Latijns-Amerika, 500 jaar confrontatie en métissage, Anvers, 1993, pp. 262-281. 11 P. DE MEY, Van Antwerpen naar Stanley-Pool. Reisindrukken, Turnhout, 1899, p. 59. 12 Cfr. e.a. les rapports du diplomate Verhaeghe de Naeyer, années 1894-1898, E. VANDEWOUDE et A. VANRIE, Guide des sources de l’histoire d’Afrique du Nord, d’Asie et d’Océanie conservées en Belgique, Bruxelles, 1972, pp. 119, 121, E. STOLS, 1982, p. 924. 13 J. LECLERCQ, Voyage aux Iles Fortunées; Lettres des Canaries, Paris, 1898, pp. 11-12. 14 A. VAN ISEGHEM, Au Congo Belge en 1896, Bruxelles, 1924, p. 35. 15 Le ministre Carton de Wiart avait encore observé qu’à Tenerife le pavillon belge était depuis longtemps familier. Mais désormais les bateaux belges du Congo stationnaient à Casablanca, à l’aller et au retour. H. CARTON DE WIART, Mes vacances au Congo, Bruxelles, 1923, p. 140. 16 J. FLAMME, Notes de voyage dans la Belgique africaine, Bruxelles, [1908], pp. 4, 17. Sur Flamme, voir Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, V, Bruxelles, 1958, pp. 324-325. 17 A. LAHURE, 1905, p. 74. 18 Vandervelde a été activement mêlé au débat de l’annexion de l’Etat libre du Congo à l’Etat belge en 1908, cfr. J. POLASKY, “Vandervelde, Emile” dans: Nouvelle Biographie nationale, I, Bruxelles, 1988, pp. 344-354. 19 E. VANDERVELDE, Les derniers jours de l’Etat du Congo, Journal de voyage (Juillet-Octobre 1908), Mons; Paris, 1909, p. 185. E. STOLS, 1982, p. 926. 20 A. VAN ISEGHEM, 1924, p. 38. A son sujet, voir Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, V, Bruxelles, 1958, pp. 464-467. E. STOLS, 1982, p. 922. 21 R. RIHOUX, 1948, pp. 32-33. 2147 22 H. CARTON DE WIART, 1923, p. 16. 23 Voir par exemple le Voyage au Congo du lieutenant C. Lemaire en 1895, qui contient quelques belles photos de J. Malvaux, et des dessins du port de Las Palmas. Lemaire a mené une brillante carrière et fut ensuite nommé directeur de l’Université coloniale de Belgique à Anvers. Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, II, Bruxelles, 1951, pp. 603-608. 24 Tant de voyageurs, en mal d’écrire, se sont arrêtés à Tenériffe !, F. VAN DER LINDEN, Le Congo, les Noirs et Nous, Paris, 1908, p. 12. 25 C. WARLOMONT, Correspondance d’Afrique, Bruxelles, 1888, p. 8. Il fut commandant en second de la Force Publique au Congo mais mourut peu de temps après son arrivée. Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, I, Bruxelles, 1948, pp. 962-964 et E. VAN BALBERGHE et N. FETTWEIS, “À propos du séjour au Congo de Charles Warlomont, frère de Max Waller: le comité littéraire jeune Belgique” dans: Archives et Bibliothèques de Belgique - Archief-en Bibliotheekwezen in België, 65, 1994, pp. 229-238. 26 P. DE MEY, 1899, p. 11. 27 Demey se réfère probablement à sa Nouvelle Géographie universelle: la terre et les hommes, Paris, 1876. 28 J. VANDRUNEN, Heures Africaines, L’Atlantique - Le Congo, Bruxelles, 1899, p. 23. 29 E. STOLS, 1982, p. 923. 30 Voyage au Congo. Lettres d’une Soeur de Charité de Gand, Bruxelles, 1905, p. 4. 31 E. VANDERVELDE, 1909, p. 31. 32 A son sujet, voir Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, I, Bruxelles, 1948, pp. 289- 290. 33 C. DE DEKEN, Twee jaar in Congo, Antwerpen, 1952, p. 16. Traduction : étonnées qu’elles étaient, elles qui n’avaient rien vu d’autre que les plaines de leur Flandre chérie et qui pensaient que les poissonnières de Gand étaient les plus bavardes du monde. 34 C. DE DEKEN, 1952, p. 18. Traduction : où la propreté compte pour vertu. 35 A. LAHURE, 1905, p. 82. A son sujet, voir Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, V, Bruxelles, 1958, pp. 522-523. 36 P. DE MEY, 1899, p. 53. 37 J. FLAMME, [1908], p. 15. 38 Lettres d’une Soeur de Charité de Gand..., 1905, p. 3. 39 AGR, Administration de la Marine, n∞ 4169. 40 A. LAHURE, 1905, p. 68. 41 [E.] MONTHAYE, Mon journal de bord. D’Anvers à Léopoldville par le chemin des écoliers. Mijne dagelijksche reisaanteekeningen aan boord. Van Antwerpen naar Leopoldville langs den weg der scholieren, Bruxelles, 1900, p. 26. Cfr. Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, IV, Bruxelles, 1955, pp. 627. 42 A. LAHURE, 1905, p. 72. 43 J. VANDRUNEN, 1899, pp. 39-40. Vandrunen se rendait au Congo comme correspondant du journal Petit Bleu. A son sujet ,voir Biographie coloniale belge- Belgische koloniale biografie, III, Bruxelles, 1952, pp. 263-265. 44 R. RIHOUX, 1948, p. 34. 45 J. VANDRUNEN, 1899, p. 25, E. VANDERVELDE, 1909, p. 186. 46 E. SINKEL, Ma vie de marin, I, Bruxelles, 1872, pp. 14-19. 47 J. FLAMME, [1908], p. 17. 2148 48 P. DE MEY, 1899, p. 50. 49 E. PICARD, En Congolie, Bruxelles, 1896, pp. 18-19. A son sujet, voir Biographie coloniale belge - Belgische koloniale biografie, III, Bruxelles, 1952, pp. 689-697. 50 F. VAN DER LINDEN, Le Congo, les Noirs et Nous, Paris, 1909, p. 12. 51 F. VAN DER LINDEN, 1909, p. 12. 52 [E.] MONTHAYE, 1900, pp. 20-21. 53 E.W. [Emile Walton ?]: ‘Aux Canaries’ dans: Le Mouvement Géographique, 1900, pp. 544-546. 54 E. SINKEL, 1872, I, pp. 16-17. 55 P. DE MEY, 1899, p. 58. 56 A. LAHURE, 1905, p. 80. 57 A. VAN ISEGHEM, 1924, p. 35. 58 C. DE DEKEN, 1952, p. 18. Traduction: Heureuses les régions que l’Espagne, pour tout et partout catholique, a pris en possession avec la croix en tête. [L’Espagne]... a... apporté à ces îles, jadis sauvages et païennes, une culture chrétienne solide; elle en a fait une province qui n’est en rien inférieure à la richesse de la patrie. Le mélange des conquérants avec les indigènes a apporté un beau peuple, fort et en forme, doux en même temps, droit et fier de caractère, une race qui est mûre pour tout progrès de la civilisation chrétienne. 59 Lettres de Soeur Marie-Godelieve à sa Supérieure et ses consoeurs de la Maison-mère de Gand, s.l.n.d., p. 19. 60 C. DE DEKEN, 1952, p. 17. Traductions: La noble prévenance des guides et cochers espagnols. Un peuple qui semble à présent endormi sur les lauriers d’un passé glorieux, mais qui éveillé surprendra le monde. 61 Lettres de Soeur Marie-Godelieve, s.l.n.d., pp. 16-18. 62 Voyage au Congo. Lettres d’une Soeur de Charité..., 1905, p. 4. 63 A. LAHURE, 1905, pp. 82-83. 64 J. FLAMME, [1908], pp. 16-17. 65 A. LAHURE, 1905, pp. 70, 73. 66 E. SINKEL, 1872, I, p. 16. 67 A. VAN ISEGHEM, 1924, p. 37. 68 H. CARTON DE WIART, 1923, pp. 16-18. 69 Le baron n’ignorait pas l’influence africaine. Il trouvait par exemple que les marchés des Canaries avaient déjà une vague ressemblance avec les souks africains. (A. LAHURE, 1905, pp. 68, 82). 70 H. CARTON DE WIART, 1923, pp. 139-140. 71 E. PICARD, 1896, pp. 188-189. 72 E. VANDERVELDE, 1909, p. 186. |
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