LA COLBNIE MARCHANDE FLAMANDE AUX CANARIES
AU TOURNANT DU "CYCLE DU VIN" (1665 - 1705)
John 6. Everaert
Le XVIe siecle durant s'établit aux d e s Fortunées)) une nombreuse et
active colonie flamande, étant orientée vers cet archipel prometteur par
des marchands italiens (Florentins, Génois) et des marins franqais (Bre-tons)
qui en assurent respectivement les liaisons commerciales et mariti-mes
avec les Pays-Bas méridionaux. Profitant de l'essor economique
qu'offre le cycle du sucreu, des entrepreneurs anversois et brugeois -tels
que les Groenenberch (Monteverde) et les van de Walle (Vandova1)-
s'installent au sein de cette ((féodalité coloniale)) de type capitaliste en
acquérant des plantations, surtout dans l'ile de Palma (Tazacorte)'. Le
centre de distribution d'Anvers s'occupe de I'écoulement des sucres cana-riens,
qui, grgce a une qeilleure qualité, résisteront encorejusqu'a la fin du
siécle a la concurrence de Sao Thomé et d'Española.
Sur les traces des premiers seigneurs-colons déja enracinés et partielle-ment
entrainés par eux comme gérants ou facteurs, une deuxieme généra-tion
d'émigrants, encore en majorité d'origine anversoise et brugeoise,
s'expatrient vers les Canaries. En s'adonnant de plus en plus aux trafics
commerciaux complémentaires, c. i d. des envois de textile flamand (toi-les
écrues, draps médiocres) progressivement dépassés par des retours en
sucre, ils préferent s'installer dans les :les de la Grande Canarie et de
Tenerife, nouveaux centres de gravité de l'archipel. Cette colonie mar-chande
naissante se voit renforcée par une derniere vague de jeunes hom-mes
d'affaires flamands. Certains y feroht fortune et souche; mqntionnons
les van Eyewerven (alias Baneberbe), les de Witte (hispanisé en Blanco) et
les van Damme (Vandama)2.
Au cours de la premiere moitié du XVIIe siecle, l'économie canarienne
subit une profohde reconversion: de la phase «tropicale», basée sur la
culture de la canne a sucre languissante, elle glisse lentement dans une $re
Sur les débuts de l'activité rnarchande et coloniale flarnande aux Canaries, voir Fer-nández-
Armesto, F., The Canary Islands affer the conquesr. The making of a colonial,
society rn the eariy 16th. century, Oxford 1982, pp. 161, 167-68.
* La diaspora flarnande sur les íles atlantiques invehtoriée para Van Houtte, J. A. &
Stols, E., Les Pays-Bus et ia «M?diterranée atlantique)) au XVIe. riecle, Mélanges F. Braudel
(Paiis 19721, 1, pp. 645-659.
ccméditerranéenne)) axée sur la viticulturel. L'archipel se spécialise dans
des crus hautement qualifiés, en produisant des vins de dessert réputés et
destines a l'exportation, tels que l'excellent «malvasia» de Tenerife et le
vidueño, vin de table de moindre allure4.
Les colonies protestantes, composées d'Hollandais mais surtout d'An-glais,
dominent le commerce des vins, écoulés non seulement sur les mar-c
h é ~no rdiquess mais également vers les colonies antillaises, en servant de
camouflage aux cargaisons de textile frauduleusement réexportées depuis
les Canarias6. L'apogée de la présence anglo-batave se situe vers le milieu
du sikcle. Seulement a Tenerife, il y aurait eu en 1652-54 au moins 1.500
résidents réformés, chiffre de recensement avancé por I'Inquisition, des
lors, nous inspiran1 quelque méfiance7.
BientGt deux incidents vont miner la position britanique aux Canaries.
La destruction audacieuse par l'amiral R. Blake du convoi espagnol ren-trant
de la Nouvelle Espagne et refugié dans la baie de Santa Cruz de
Tenerife en 1657 -attaque cadrante dans la stratégie maritime anglaise
3 J. Matznerter, Die Kanarischen Inseln. Wirtsr~haftsgeschin<.hrue nd Agrargeographie.
Petermanns gerographische Mitteilungen, Erganzungsheft 266 (Gotha 1958), p. 94.
La malvasía (fr. malvoisie; ang. malrnsey), vigne d'origine grecque (Malvasíaj Monem-vaisa,
en Peloponnese) est assez repandue sur I'iie de Madere, quoiquesurpassée en quantité
par les vins du Type vidonho (fr. vidomie). Crf. N. Mauro. Le Portugal et I'Atlantique au
XVIIIe siecle (1750-1670). Paris 1960, pp. 353 & 356. Nulle part, on retrouve une spécification
exacte de la dénomination vidonholvidueno: les dictionnaires de I'époque. en mentionnant
seulement les termes congéneres de vidonha/viduño, les définissent vaguement comme une
espece de vigne ou de raisin. Néanmoins, un mémoire canarien, datant des années 1665-67,
énumere clairement «los viños vidueños, refugos, y malvasia, frutos únicos de las Islas de
Canaria)). Cfr. V. MORALES LEZCANO, Relaciones mercantiles entre Inglaterra y los
archipiélagos del Atlántico ibérico (1503-1783). La Laguna de Tenerife 1970, p. 143. D'au-tres
variantes (uva negromello, gual, baboso, marmajuelo, verdello, mollar tinto) ne se
prétent pas a la commercialisation. Cfr. F. MORALES PADRON, El comercio canario-americano
(siglos X VI- X VII-X VIII), Sevilla 1955, pp. 25-26.
Le type du malvasia le plus populaire aurait été un vin de consommation blanc et doux,
peu propre cependant i la conservation a la différence du malvasía actuel de Lanzarote, un
vin de liqueur pourpré et pressé également ?Téin erife au XVlle siecle. Le vidueño, vin plutot
orYi&re, serait pe- apprécié $iir !e marché ang!air?), qiioiquc, se!cn sources, on
I'eip6rtkif'assez régulierement en Hollande. Voir STECKLEY, C. F., The wine economy of
Tenerife in the 17th renrury: Anglo-Spanish partnership in a 1uxur.v trade. Economic history
review, 231 1980, pp. 335-350 (part. pp. 337-38 & p. 341).
5 A. DE BETHENCOURT MASSIEU, Canarias e Inglaterra. El comercio de vinos
(1650-1800). Anuario de Estudios Atlánticos, 2/ 1958, pp. 31-1 14.
6 Le régime restrictif des concessions pour les Indes sous forrnede navires de perrnission
se main!iendrait le long du XVIIe sikcle (lh14-171X)i quoiqu'avec des variations en ronnaee
(contingents globaux de 600 a 1.000 tonneaux) en en durée (autorisations de 2 a 8 ans.)
MORALES PADRON, F. Comercio Canario-americano, pp. 183-199.
7 MILLARES TORRES, A., Historia de la Inquisición en las Islas Canarias, Las Pal-mas,
1874, 11, pp. 152-157.
que de perturber les bases commerciales de l'empire hispano-américain
(mainmise sur la Jamaique, blocus de Cadix) -bat une premiere breche*.
Encore plus funeste se révkle la tentative avortée de monopoliser le trafic
des vins canariens au profit d'un trust londonien au moyen de l'instaura-tion
de la Canary Company, qui ne connait d'ailleurs qu'une existente
éphémere (mars 1665-sept. 1667)g. Les Canariens répliquent par une
action de sabotage (el Derrame del Vino) et de boycottage commercial,
tout en expulsant de l'ile de Tenerife d'abord le consul anglais et les
facteurs de la compagnielo, ensuite la presque totalité -sauf deux
collaborateurs- de la colonie marchande anglaise.
Les Provinces Unies et, dans une moindre mesure les Pays-Bas méri-dionaux,
profitent de l'impopularité croissante et de I'absence temporaire
des Anglais pour renforcer, respectivement regagner leurs positions. Pen-dant
les annés 1657-59, bon nombre de navires masques -c. a d. tranfor-més
en «canariens» apres vente simuiée ei avec un chargemeni partid de
vin en guise de couverture- abusent du régime de navigation quelque peu
libéralisé" pour trafique frauduleusement sur les hdes. Des bateaux
hollandais, bourrés de textiles chargés a Amsterdam, passent dans les
mains d'un homme de paille a Santa Cruz de Tenerife, s'infiltrent sur les
marchés coloniaux (Cuba, Cartagena, Campeche, Veracruz, etc.) et
.-Otl\llr,-.P,-.t O 10,-.70,.At~ '.A; rl;aont ,.A,,.. ., ,.OrP,-.nr * . r o n + rln rO*Om,-.nr Inr.,
I ~ L V U I I I L I I C a L i u i i L r r i v r r , > v i - u i i r u i i ~ pvui J b u i r i i b i u v u i i r ur i r 6 u g i i r i i r u i
patriel*. D'ailleurs les Anglais, une fois la paix avec 1'Espagne signée (sept.
1660), appliqueront, avec la complicité de marchands hispano-américains,
une technique de pénétration analoguel3.
8 FIRTH, CH. H., Blake and the battle of Santa Cruz, English historical review,
201 1905, pp. 228-250.
9 Sur le front canarien. la compagnie est sabotée par les secteurs intéressés Iésés (e. a. des
agents anglais), tandis que la contrebande et l'opposition des importateurs autonomes la
sapent en Angleterre. MORALES LEZCANO, V., Lo Compañía de Canarias: un capítulo
sobre la historia económica del archipiélago. Anales Universidad Hispalense, 271 1966, pp.
33-34. SKEEL, C.A., The Canary Compagny, Engl. hist. rev. 3111916, pp. 529-44.
'0 Les «cómplices» anglais, inculpés de ((tiranía ... en el comercio» sont: Daniel Negus
(frtre de Henry Negus, «assistant» dans le conseil d'administration de la compagnie), Tho-mas
Soiin, Guiiiermo Sus, Koberto Yecardus (Edwardslj, ihomas ivíarrin et Yuardo
Fallier. Cfr. MORALES LEZCANO, V., Relaciones mercantiles (op. cit.), pp. 140-143.
1 1 Aprts la défense absolue d'exporter des produits canariens vers les lndes décrétée en
1649, une nouvelle concession de 1.000 tonneauxlan, h répartir sur cinq baiiments, fut
promulguée en 1657, autorisation valable pour une période d'essai de trois ans. En plus, les
navires de permission navigueraient en dehors du régime des flottes régulieres. MORALES
PADRON, F., Comercio canario-americano, pp. 187-191.
;: PEñCZ-ivíA¿i.Aiiu'O BUENO, P. E., El Cun~uiuúu de Seviiia y el ~unrruúanciu
canario con américa en la segunda mitad del siglo X VIII, Actas del IV Coloqui de Historia
Canario-Americana, 111982, p. 622/n. 17; p. 624/n. 20. VAN DEN DRIESCH, W., Die
auslündischen Kaufleute wzhrend des 18. Jahrhunderts in Spanien und ihre Beteiligung am
Kolonialhandel, Koln-Wien 1972, p. 92.
' 3 En 1664, Juan Salido, originaire de Varinas (Venezuela), amkne a Londres une partie
de tabac et de cuirs, embarquée a lPle de Palma. Faisant contrat avec quelques négociants
Meme quelques Flamands s'immiscent dans la contrebande, en pre-tant
leurs noms pour une filiere de ventes de navire ~imulées'~.
Les importateurs de vins anglais, doublement handicapés -et par
l'octroi exclusif de la Compagnie des Canaries, et par la course due i la
deuxieme guerre maritime anglo-batave (1665-67) feront appel au port
flamand d'ostende. En 1666, les agents de la Compagnie a Plymouth
mettent I'embargo sur l'<tlndustria», appartenant au marchand J. De
Fimbry de Bilbao, avec un chargement de vin a destination d'Ostendei5.
La meme année, le capitaine londonien, J. Wadlow sollicite l'autorisation
d'importer, exempts de droits, les 300 barriques de vin canarien qu'il
retient en Flandrel6. En 1667, une prise pleine de vins est amenée a
Plymouth, malgré le fait qu'elle prétende etre ostendaise17. Or, en dehors
du monopole et des hostilités, des navires et les ports flamands restent
également en reiation directe avec les Canarieslg.
C * *
Les hommes d'affaires d'Anvers, de longue main intéressés au trafic
des Canaries, participeront 2 nouveau au «cycle du vim, quoique d'une
facon singulierement passive. En effect, non seulement ils se serviront
d'agents-commisisionnaires de nationalité diverse installés dans l'archipel
-du reste une tecnique indispensable vue la position dlAnvers, limitée au
anglais, qui lui procurent un navire (la C6ncordia/400 t.) avec sa cargaison de manufactures,
il se propose d'accoster i Palma dans le but de asacar registro para Caracas, tomando para
facilitar su entrada algunos marineros españoles y vender sus haciendas y emplear parte de
su procedido en corambre y tabaco y bolver con ello y la plata que les sobrasse a Inglate-rra...
». Manifesternent Salido est contrebandier de carrikre, puisqu'en 1654 on le signale a
Amsterdarn -en c o r n ~ ami ed e trois autres iraudeurs- en provenance de Caracas.'tout en
passant par les Canaries. MORALES PADRON, F., Ckdulario de Canarias, Sevilla 1970, 11,
núrns. 220 & 149.
l4 J. Salido Pacheco, trafiquant acharné deja signalé, pratiquait égalernent la contre-bande
de tabac vers les Pays-Bas. Ayant résidé une année i Bruxelles et Anvers, il regagnait
les Canaries comrne capitaine d'une bArque, arrnée pour cornpte de quelques Flarnands.
A p k un second séjour prolongé en Flandre (Dunkerque et Anvers), le négociant flarnand
Chr. Jorge Corseaberg (sic) lui confiait le comrnandernent d'un navire destination de
Tenerife, ou le bateau passait d'abord es rnains de Lorenzo de Valcárcel (cfr. note 53) pour
étre cédé finalement a deux autres rnarchands de'La Orotava. ayant obtenu une licence pour
I'Arnérique. Derriere cette cascade de transrnissions factices, se cache le vrai propriétaire, le
subrécargue hollandais P. Esquiper. La fraude fut découverte en 1665. PEREZ-MALLAI-NA
BUENO, P.E., arr.. cir. pp. 623, 627-28.
l 5 Calendrs of Srale Papers, Domesric Series, 1665-66 (Charles 11, t. 5) p. 274 & Addenda
1660-65, p. 163.
'6 Idem, 51 1666-67, p. 140. Le chai de Wadlow fut sinistré par le «Great Fire)). En 1667.
son navire, chargé de vins canariens et faisant partie du convoi d'Ostende a Londres, sera
porit Uispaiu. íu'ern, 7/ 1667, p. 67.
' 7 Ibidem, p. 227.
18 Passep_ort anglais pour le «St Tierre)) (Bruges d'Ostende aux Canaries (1665).
InterrogatoiG a Plyrnouth du «Ste Clairen (Yieupoít) en provenance des Canaries (1667). Le
«St J. Baptisten (Harnbourg) décharge a Ostende des vins cmbarqués a Santa Cruz de
Tenerife (1667). CSP-DS, 51 1665-66, p. i 1: 7, 1657. p. 559; S i 1667-68, p. i5.
r6le de «Dispositionsplatz))-, mais encore I'initiative des contacts leur
échappe, au moins dans une premiere étape. En effect les premiers offrant
leur bons services d'intermédiaires aux negociants anversois sont des
marchands espagnols qu'on pourrait aisément qualifier de «canariens».
Vers le milieu des annés 1660, Alonso de Palma Carrillo, négociant-banquier
appartenant a la nation espagnole d'Anversl9, se met en affaires
avec Pedro La Rosa. Celui-ci part pour les Canaries en emportant un lot
de marchandises. Pendant son Séjour auxiles, Palma Carrillo lui expédie
plusieurs cargasoenen)) (envois de marchandises) d'une valeur considéra-ble.
En meme-temps il lui ordonne, par procuration, de réclainer le pro-venu
des marchandises, consignées auparavant a d'autres commergants.
Nous supposons que La Rosa, connu a Anvers depuis 1662, ait revisité
régulierement la ville dans l'intervalle. De retour a Anvers en 1668, son
commettant exige le payement d'une solde de 600 6: flamandes, mais La
Rosa propose de régler la dette en prélevant le montant sur la vente des
100 pipes de vin de Canaries, rapportées par lui-meme et déposées a
~ o n d r e sc hez Jean-Baptiste van der Hoeven20, correspondant du mar-chand
anversois Guillaume Herinex. Lorsque ce dernice revendique les
vins a son tour, La Rosa se voit mettre en prison et il n'en sort que gr2ce
aux bons offices de deux autres négociants anversois21. Une décennie plus
tard, G. Herincx et P. La Rosa se disputent encore toujours la cession des
vins, tout en refusant l'arbitrage22.
Déja en 1677, La Rosa est cité comme marchand domicilié a Anvers.
Probablement il a continué 5 y résider, puisqu'en 1685, alors qualifié de
twezino)), il remet procuration au capitaine canarien Diego Soria de pas-sage
a Anvers. Celui-ci, tout en se confirmant aux instructions de María-
Anna La Rosa de Tenerife -sans doute une parente (soeur?) qui habite
l'i'le lors de la liquidation de ses affaires- doit récupérer tous les avoirs
commerciaux qui, aux Canariens, restent dfis a la personne de La Rosa23.
l9 Cfr. R. BAETENSD, e nazomer van Antwerpens welwaart. De dispora en het
handeishuis de Groote tijdens de eerste helft der 17de eeuw, Brussel 1976, 1, p; 229.
20 En 1665-66, J. B. Vanderhoeve, «a Spanish subject)) (sic) négociant flamand résidant a
Londres sollicite un passeport pour deux navires (nommés tous les deux ((Nuestra Señora de
la Concepción))) chargés de vins et de fruits, consignés pour Ostende, quoiqu'en réalité
Ues:ir,és u Lufidies. AU cvüis Ucs aiiiikes l660-73, i: füüriik la maririe angiaise des maiériaux
de constructions navales (madriers, toiles a voile d'Hollande, cordages). CSP-DS, 5/ 1665-66,
pp/ 124, 276; 141 1672-73, p. 350: 28/Add. 1660-85, pp. 271, 425, 427, 429.
21 Manuel Dias ajuste les comptes entre Palma Carillo et La Rosa, tandis que Jacomo
van Eyck acquitie la dette, ce qui pourrait révéler des relations de commerce. Archives
communales a Anvers, Protocoles notariales Em. H. Péres, 17 nov. 1677 (ACA/N 2815, Ps
417-18). Les documents a analyser ici plus fondamentalement ont déja été utilisés dans un
exposé purement chronologique et sont parfois mal interprétes par F. DONNET, Les
Ai i v e i~oai~ux Gmiries, Eüii. SOC.ü eogr. ciHnvers i9/ i8%, pp. 302-309; reprise dans ldem,
Histoire de I'établissement des Anversois aux Canaries au XVIe siecle. Anvers 1895, pp. 29-
36.
22 ACAIN2816, 5 feb. 1678 (Ps 79-80).
23 ACA/N 2818, 12 mai 1685 (Ps 118-119).
L'épisode la plus instructive por reconstituer le rnéchanisme du trafic
canarien son une série de voyages d'affaires, entrepis par le r n h e Diego
Soria, capitaine et bourgeois (vezino) du port dlOrotava a Tenerife.
Pendant l'arriere-été de 1682, il surgit une premiere fois en Hollande
ou Antoine Van Wechelen -un rnarchand flarnand, rapatrié de Tenerife
et qui habite (ternporairement?) Rotterdam- se rnet en rapport avec lui24.
A peine rentré aux Canaries, D. Soria se prépare déja a nouveau «para
hacer viaje al puerto de Roterdam)). Deux négociants flarnands établis a
La Laguna, Pablo Dubois et Juan Squinart (Schenaert?), profitent de
l'occasion pour lui donner mandant a recouvrer le produit de huit pipes de-'
vin de vidueño, envoyées en 1681 a Gerardo Vander Hoeve de Danzig25.
La tournée suivante de Soria, effectuée en 1683, l'arnene d'abord a Arns-terdarn,
ou il affrete la Ann Cornelia (maitre Laurens de Jonge) devant
partir vers la fin de mai a destination de Tenerife. Durant son séjour a
Anvers, avec au rnoins quatre négociants locaux il passe des contrats a la
grosse aventure, ernprunts 2 rembourser vingt jours apr'es le retour du
navire en Hollande ou Céiande. Le sunsnornrne Pedro La Rosa, en asso-ciation
avec Thornas Mullan, lui pretent 1.500 f de gros26. Francois Cai-llault
lui débourse 680 florins en argent, et complete cette bomerie par un
lot de marchandises (624 fl.), valeur peu aprks transférée en grande partie
a Jacques Houdernare, rnarchand demeurant a Paris27. Enfin Michel van
der Vorst lui avance 1576.9 £ de gros, sornme partiellement (176 E) mise a
sa disposition en Hollande sous forme de marchandises; si celles-ci s'ave-reaient
invendables, Soria les troquera por des vins28.
L'année suivante, Diego de Soria passe de nouveau a Anvers, puis-qu'en
aofit 1684 Pierre La Roza (la version francisée) signe avec son
«compadre» une autre ((escritura de riesgo a pagar a vuelta de viajen; la
grosse, y cornpris la prime, probablernent de l'ordre de 20 % s'élevait a
1740 fl.29. Pendant son séjour aux Canaries il laisse ses fils en pension a
Anvers. 11 sera de retour au début de février 1685, accompagné d'un
certain Luis Perez qui s'installe égalernent en pension30.
11 se déroule rnaintenant un scénario identique, Diego Soria, selon
toutes les probabités débarqué en Zélande, s'y reserve d'abord le passage
A.-. Archivo Eisitiico Prw"iricial íCJaii;a C~U&; eT ene;ife), Pio;GcG!Gs nGta;ia!es (dGréna-vant
AHPT-PN) 1266jaQ 1682, Ps 219v-220r. Une quinzaine plus tard, etant a Flessingue, A.
Van Wechelen révoque une procuration générale, donnée a D. Soria, et la transrnet a Bern.
Lor. Vencorno de La Laguna.
25 AHPT-PN 12661, aQ 1682, f% 236v-237r.
26 ACAIN 2817 (registre non folioté), 10 rnai 1683.
27 Idem, 10 mai & 8 juillet 1683.
28 Idem, I l mai 1683.
29 c.. por una escritura de riesgo de fl. 1740 que me hizo en agosto (1684) ... en que estava
comprendido el riesgo, el qual se le baxa y sin interes alguna le cargo (le 8 fév. 1685)
Peut-étre parce que Soria va s'occuper de la rentrée des fonds canariens de La Rosa.
10 ACAj h' 2818, extrait de balance, 1 rnai 1685 (fols. 125-126).
pour lui et les marchandises a receuillir 2 bord de La Fortuna (maitre Job
Willemsen) a destination de Tenerife. Puis a Anvers, il rassemble les fonds
nécessaires pour finnancier ses opérations commerciales. Les amateurs
inclinés a faire des avances «a bodemaria y riezgo de mar» ne lui man-quent
guire, tant parmi les négociants que d a n ~I'a ristocracie de souche
espagnole. Au cours des moins d'avril et de mai 1685, il conclut marché
avec Francisco de Silva, marquis de Monforte (2.000 fl.) et avec le négo-ciant
Jean-Baptiste van Praet (607 & fl. et 1.959 fl.) Agissant pour compte
de Lazaro de Herrera Leyvaj', un collegue et compatriote canarien égale-ment
présent k Anvers, il convainc le marchand Balthazar Bosschert d'ac-ceptér
a son tour une «carta de bodemaria)) de 200 fl0rins3~.
Cette fois, les clausules sont plus explicites: la prime sur la grosse
oscille entre 16 et 25 % ce dernier, tant itant appliqué dans la majorité des
cas; le capital ernprunté plus I'intéret sont a restituer dans un délai qui
varie d'un a trois mois apris I'arrivée du bateau a Tenerife. Tous preferent
des remises par !ettreu de chunge sw Cudix, SCvi!!e ~u Mudrid en 51
désignant leurs correspondant locaux33, sauf B. Bosschaert qui exige le
remboursemente au terme de six mois aprks contract et payable a Anvers.
Cette technique quelque peu médiévale du marchand ambulant, qui
parcourt les pays du Nord a la quete d'un bateau, de bailleurs de fonds et
d'un cargaison a constituer, n'a rien de surprenant aux Canaries. En 1672,
le juge-surintendant Juan de Altolaguirre fait remarquer que les insulaires
ont la coutQme d'aller chercher au Nord des navires, lorsqu'ils font défaut
aux ?les pour naviguer aux I n d e ~ 3E~n, outre, il signale A Madrid comment
un habitant de 151e de Palma était rentré de la Hollande avec un batiment
de 140 tonneaux, chargé de bois, de moules de pain a sucre et d'autres
marchandises pareilles. Vu la pénurie d'argent régnait a Tenerife par suite
de la mévente des vins de malvoisie aprks les vendanges de 167135, un
31 En 1663-65, ses deux freres Simón et Jerónimo Herrera Leiva, habitants de La Laguna
et exportateurs de vin vers I'Anglaterre, organisaient I'armement d'un navire hollandais pour
La Havane et Campeche, operation clandestine manifestement financée au moyen de prets a
la grosse. PEREZ-MALLAINA BUENO, P.E., art. cit., pp. 628-29.
32 ACA/ N 2818, 19 avril ífols. 230-31 ); 15 mai (fols. 122-23); 28 mai 1685 (fols. 13 1-32),
33 Pour J. B. van Praet, Cadix: la firme Justo y Guiilermo Forchoudt, a Madrid:
Melchior van Hove & Paulo Beckers. Cfr. J. EVERAERT, De internationale en kiloniale
handel der Vlaamse firma's te Cádiz (1670-1700), Bruges 1973, passim. J. DENUCE. Na '
P.P. Rubens. Documenten uit de kunsthandel te Anlwerpen in de XVIIe eeuw... Anvers
1949, pp. 400-408.
34 «...como en esas islas (h) allasteis por estilo y costumbre ... el permitir que algunos
vezinos de ellas (para navegar a las Indias frutos de tierra ...) enbiasen al norte en algunas
ocasiones (aunque pocas) a comprar vageles...)). La reine-gouvernante «...les conzede (los
navios) puedan ser extrangeros pero esto en caso que no aya vageles de fabrica natural»
(cédula 24 mai 1673).
35 «(por) ... mucha corredad de todos los vezinos de esas islas no obra quien les fie cien
reales, ni ninguno de los naturales de ellos se alla con caudal por la mala saca de los vinos
autre habitant essaie, en vain, de se procurer a Londres un navire -et
vraisernblablernent aussi les fonds de quoi le payer. 11 va de soi que I'achat
ou I'affreternent d'un vaisseau a l'étranger, soi-disant par contrainte, cons-titue
souvent un subterfuge pour organiser le cornrnerce interlope vers les
colonies. Néanrnoins ce double témoignage dernontre que les pratiques de
D. Soria ne sont nullernent inaccouturnées. Ce qui est de plus, la balance
cornmerciale des firmes exportatrices de vins s'avere de plus en plus défici-taire.
D'une part, au cours de le période 1665-95, le malvasía atteind des
prix exorbitants; d'autre part la vente de textiles, premier produit d'irn-portation,
se voit limitée tant par le pouvoir d'achat des insulaires, que
par le clirnat doux et peu favorable a la consornrnation de tissus. Cette
disproportion non seulernent aggrave le problerne des liquidités (cash
Jow), rnais oblige les négociants, et surtot les Canariens, de faire appel au
crédit étranaer36.
Griice a la correspondance cornrnerciale d'une rnaison anversoise37,
nous sornrnes rnieux renseignés sur l'objet, les difficultés et les résultats du
trafic canarien. Les freres le Candele, sans doute convaincus par D. Soria
lors de sa tournée en 1685, lui consignent k trois reprises -en déc. 1685,
mai et juillet 1686 -des marchangises diverses par voie de la Zélande et
de Rotterdarn en utilisant des bateaux zélandais et a n'~, l a i s .L es colis
contiennent surtout des textiles, soit de production nationale (toiles
écrues, serges de Bruges, soieries), soit irnportés d'Allernagne (toiles blan-ches
d'osnabrück, platilles de Silésie), et en outre des articles rnétalliques,
tels que des ustensiles en cuivre (bassins, poéles 2 confiter), d'aiguilles et
des clous. En dehors de $a, Soria recornrnande de lui envoyer toute une
garnme de produits liniers et lainiers38. En somrne, tout cela resemble
beacoup aux exportations traditionalles anglaises vers les ?les atlan-tiques39.
Aux Canaries, les débouchés sont forternente conditionnés par les
résultats des vendanges et la cherté des grains. Accessoirement, la rentrée
des navires retournant des Antilles, pourrait stirnuler le négoce. Cepen-malvasias
que es en lo que consisten todad sus haziendas ... y el que las tengan en voluntadad
de los ingleses de si quieren o no sus vinos...)) Cedulario (ibídem). Cependant, d'apres les
sources anglaises, (c.. they have made a good vintage this yeam. CSP-DS, 1 1 / 1671, p. 552.
36 Cfr. C. F. STECKLEY, art. cit., pp. 344-45
37 ACA/ Fonds des Faillites 986, copies-lettres du 29 dec. 1685; 28 mai, 12 et 22 juill., 3
sept. 1686. A rernarquer que la correspondance i destination d30rotava est rédigée en
flamand.
38 Lainages: draps, serges de Bruges; saies de Liege: bourracans, picottes et larnparilles
(de Lille). Toiles: nappage de Courtrai, présilles. Tissus mixtes: camelots. Mercerie: fil ?i
coudre, boutons. Pour la descrption tecnique de ces articles, voir J. EVERAERT, VIaamse
firma's (o. c.), glossaire en annexe.
39 Cfr. T. BENTLEY DUNCAN, Atlantic Islands. Madeira, The Azores et the Cape
Verdes in 17th.-century cornmerce and navigation, Chicago-London 1972, p. 73. G. F.
STECKLEY, arr. cit., p. 344.
dant, malgré les belles perspectives -les vendanges de 1686 s'annoncant
bien, ce qui promet un bon débit (cgoet vertien))- la vente traine pendant
plusieurs mois et les résultats son décevants. La firme le Candéle reproche
a D. Soria de laisser la clientele sélectionner la marchandise au lieur de
I'assortir lui-meme au préalable, de sorte que les restants deviennent
invendables. En plus, il vend trop bon marché et pour le lui démontrer on
fait un petit calcul40. Finalement une remise éventuelle, qui s'opere forck-ment
via la place bancaire de Cadix, entraine une nouvelle perte sur le
change de 14 a 15 %41. En moyenne, compte tenu des retours effectués en
monnaie d'argent et par lettre de change, la transaction ne se solde que
par une avance de 15 a 16 %, bénéfice beaucoup plus modeste -selon le
Candele- que les prévisions optimistes, énoncées par leur collegue B..
Bosschaert.
Probablement D. Soria n'est jamais revenu en Flandre. En 1686, il
substitue a une de ses relations d'affaires a Anvers, J. B. van Praet, une
n r- n-r -i -i r- n-t - -i n- n- - I- i-i i- d-n - n- - n- - &- - para !es s~euyrv an G-mertj hahitants de lfle de
Palma, pour toucher I'héritage d'une niece42. Encore en-1688, il donne
délégation a Jan van Delft, négociant anversois, de récupérer une solde
(173.15 & fl.) lui due par Jacob Fallie a Dunkerque43. Des 1690 les roles
sont renversés: une série de procurations, ordonnant le recouvement des
arriérés restés a La Orotava, émanent cette fois des anciens correspon-dants
anversois de S0ria4~. Cela ne signifie cependant pas qu'il ait quitté
les affaires, puisqu'en 1695 il reste en relation avec 1'Anglais Samuel
Swan, exportateur de vins de petite envergure, domicilié au Puerto de la
Cruz. Encore en 1703, Diego (de) Soria y Santa Cruz, vivant toujours a
La Orotava, passe une procuration a sa femme, María Esteplin45.
40 Lors de I'expédition, les droits, frais et I'assurance maritime s'élevent a 10% environ;
aux Canaries les frais de vente sont normalement de I'ordre de 12 a 13%, bien qu'elles
montent k 20% calculées 2 base d'un premier achat. Donc, si le consignataire n'y prévoit
qu'en marge bénéficitaire brute de 50%, le profit net oscille seulement entre 15 et 20%.
ACA/ FF 986, 28 mai 1686.
41 VU la rareté d'argent aux Canaries, on y exige 8% par-dessus le change au pair sur
Cadix. La les lettres de change en provenance de I'archipel ne se convertissent qu'en petites
espece., ~e qli C&gre une nc:$?e!!e ~c i~~- l :&!&u p 2 2 3%. luiy&n! !e CQurr Sur .4nvpy~e n
perd derechef 4 a 6%. Ibídem.
42 Maria van Gemert x Juan Rodriguez de la Cruz (alferes); Luise van Gemert x Joseph
Péres Volcan. F. DONNET, Anversois aux Canaries, BSGA 201 1895, p. 277.
43 ACA/N 2821, 4 sept. 1688 (fol. 232).
44 Helena Denis de Velasco Juan Janssen Verschueren (négociant flamand a La
Laguna); Maria-Anna Coymans, veuve de Jan de Man, a Nicolas Coymans (marchand 5
Cadixj; J. E, van Prae: a Matheu Ea: (ex-j:agiaii fiamand Cru:ara qUi ie;uürfie a Teiie-rife).
ACA/N 2823, 26 oct. 1690 (fol. 209); N 2824, 13 juill. 1691 (fol. 84); N 2825, 24 déc.
1692 (fols. 183-184). Sur N. Coymans, voire J. EVERAERT, VlaamsefirmaS (o. c.), passim.
45 AHPT-PN 12681 aQ 1695, fols. 115r - 117r & 12691 aQ 1703, fols. 120 r - 121v. Cfr. G.
F. STECKLEY, art. cit.. p. 347.
Bien sür que les négociants anversois s'intéressant aux Canaries se
servent aussi bien des marchands étrangers -flamands et autres- quasi
toujours installés a Tenerife. On sait déja que les résidentes hollandais y
étaient nombraux vers 1655. La colonie francaise semble peu considéra-ble,
quoiqu'assez importante pour y fonder un consulat despuis 167046.
On verra plus loin comment s'y porte la nation flamande.
L'insécurité des mers, par suite de la guerre des alliances qui infestait
1'Europe au cours des années 1672-73, genait beacoup les opérations cana-riennes
du commercant anversois Ascanaio Martini. Ses correspondants ti
La Laguna, le duo Nicolas Mustelier & Pedro Bardonas4', ont vainement
attendu un navire sous pavillon libre por rapatrier, par voie d'lcspagne,
quelques 5.000 réaux atroqués en monnoyes double)) (doblón/pistolle
= piece d'or de 32 réaux). Forcés de remetre la somme au moyen d'une
traite (132 f st) tirée, sur son pere a Londres48, par Jean Seyer jr., habitant
de Tenerife, la letre de change retoune protestée faute de provision, puis-qu'il
n'y avait pas eu de Canary fleet vers la fin de 167349. Intenter un
procés contre le tireur aurait été de longue durée aux Canaries. Par
ailleurs, la flotte anglaise peut arriver d'un jour a I'autre, vu que la naviga-gation
vient d'etre rétablie avec la paix (de Westminster/firv. 1674). Puis-que
le change consititue un intermédiarie peu sur, Mustelier & Bardonas
proposent a A. Martini «... de remettre des vins cette prochaine vendange,
malvoysie pour Londres ou vidomies por Blande...)), retours ti expédier
par le «Postillon des Iles de Canarie)) qui regagnera bient6t Tenerife por
charger des vins nouveaux a destination de la Hollande. 11s lui font entre-voir
aussi la possibilité de convertir le provenu «... en marchandises d'In-des
s'il y en a...». Toutefois, Martini, ti qui cette solution de rechange
inspire peu de confiance50 laisse enregistrer une procuration en blanc pour
revendiquer sa créance51.
Apparemment, les Canaries, tiles sensibles a la conjoncture des vins,
subissent, lors des annés 1673-74, une grave crise commerciale qui y coin-
46 W. VAN DEN DRIESCH, Auslandischen Kauflrute (o. c.), p. 388.
47 N. Mustelier est probablernent d'origine wallone (Valenciennes, territoire fransais
depuis 1668).
48 En 1668, John Sayer Sr, conjointement avec huit autres capltalistes, avancent au roi un
emprunt de 300.000 Lst., 5 rembourser par des accises sur le vin. CSP-DS, 171 1675-76, pp.
99-100.
49 Septembre c.. is the usual time for sending frorn England ships for the vintage at
Malaga and the Canaries ... », normalernent de retour de novernbre febrier. CSP-DS,
13-1672, p. 636.
50 11 avait grandement raison, puisqu'en 1674 (L.. wines are very good ... but dearer than
ordinary, being not rhe usual quantiry ... », voire rnEme a,.. wincs are veiy scarce, iiaif UUI
ships must come away in ballast ... D. CSP-DS, 1611673-75, pp. 442-444.
51 ACA/N 2813, 27 aout 1674 avec extraits de correspondance, datant de 1673-74 (fols.
20 1-204).
ce égalemente les exportateur étrangeurs. Ainsi le marchand flamand
Antoine Van Wechelen, installé 5 Tenerife et en relation d'affaires avec le
négociant anversois Gaspar yan Breuseghem, était redevable d'un mon-tant
de 1587 £ fl., somme trés importante. Ce dernier essayait de se
rattraper sur le pere, Mathias Van Wechelen, commeqant anver~ois5~
résidant en Hollande, au moyen de plusieurs lettres de change «por la
valor recibido en mercadurías)).
La dette exigible trainant en 1675, la fille de créancier décéd? laisse
saisir chez le héritiers d'Andres de Barcarsel (Valcárcel) a Tenerife les
avoirs dus par la maison mortuaire aux Van Wechelen53. Toutefois un
compromis rapproche les deux parties: pour se libérer partiellement de la
dette, Mathias van Wechelen s'engage 2 faire livrer par son fils lors des
prochaines vendages aux Canaries, 25 pipes de vin de vidonie au prix de
22 £ fl.1 pipe franco b bord, arrangement qui s'averera assez avantageux54,
En outre, pour le payament de la solde, on lui accorde un surcis de quatre
ans55.
Lorsqu'en 1683 D. Soria se présente 2 Anvers, quelques négociants
locaux font appel au capitaine canarien pour percevoir des arriérés auprks
de leurs agents 2 Tenerife. Par procuration, B. Bosschaert exige le trans-fert
de tourt ce que Gerardo Grashuysen y Compa. -une firme hollan-daise
de longue t r a d i t i ~ n ~ ~lu-i doivent «... por cargazones que le ha
embiado)). De meme, Anna-Maria de Pret réclame de Juan-Bautista del
52 Cfr. ACA/N 3031, not. Ambrosius Sebille, 3 jan. 1669.
53 Andres de Valcárcel fut successivement capitaine de cavallerie en Flandres et mestre
de camp aux Canaries. Depuis Anvers, sa veuve, María Pastrana, Dame de Mongardin,
avait envoyé en 1670 une procuration aux négociants (wallon et flamand) Nic. Mustelier et
Ant. Van Wechelen afin de recouvrer 13.000 ducats de la part des exécuteurs testamentaires.
En 1671, Anna-Maria de Roy, épouse de Math. Van Wechelen, et M. Pastrana se sont mises
d'accord pour que la maison mortuaire ajuste «en los efectos de vino, asucar o dipero en
contado», la dette commerciale de 14.000 florins, indépendamment d'une autre créance sous
forme de lettres de change. En 1681, le litige ne semble pas encore Etre liquidé. AHPT-PN
1266/aQ 1681, fols. 6v-7r.
54 En 1675, N,.. by reason of dry weather, the vintage has proved very good, and for many
yeas such good wines have not been known, but being less in quantity it is very dearn.
CSP-ES, 171 !675-76, p. 4%.
55 ACA/N 2814, 4 juill. & 6 aout 1675 (fols. 132 & 156).
56 En 1680, Gerardo Grasuisen exporte du vin et de l'eau-de-vie vers La Havane. En
1714, le capne Pedro Grazvisen (sic), demeurant a La Laguna, commande la frégate Santa-
Maria (la Mayor) a destination de La Guayra/ Venezuela. En 1718-19, un certain J. Tello de
Silva, habitant I'ile de Palma, lui (Pedro Manuel Grashuisent) fait un proces pour «haber
desembarcado su persona en un desierto». En 1750, Matías Grashuisen réexporte du cacao
et de I'argent monnayé verr Cadix F. MORALES PADRON, Cn ~ e r c i.n.., pp. 33!, 270. J.
ORTlZ DE LA TABLA Y DUCASSE, Comercio colonial canario, siglo XVIII. Actas 11
Coloqui can.amer., 11, apéndice. F. DE SOLANO PEREZ-LILA, El Juzgado de Indias en
Canarias .... Actas I Coloquio can.-amer. p. 124. En 1686, Gerardo Grasuysen exerce les
fonctions de consul de la nation hollandaise. AHPT-PN 1267/aQ 1686, fol. 96r.
Campo, établi a Santa-Cruz, le raport de ((dos surtimientos de puntas
blancas)), dentelles lui envoyées par son mari défunt, J. B. Huart le
jeunes7. Deux ans plus tard, en 1685, Peeter van Heurck veut récupérer le
restant (98 E fl.) «de una partida de telas duras para hazer camas)), partie
vendue par Franqois Thibault, d'ypres, 2 un habitant d'orotava, nommé
Luis Ellebo58.
Comment et pourquoi des marchands flamands parviennet-ils s'ins-taller
aux Canaries et dans un nombre suffisant pour obtenir un consul-général?
Ce ne sont pas les fils de maisons notoires dlAnvers qui émigrent
temporairement afin de se perfectionner dans le négoce, comme ils le font
ordinairement 2 Cadix, Lisbonne et ailleur. Normalement il s'agit de
jeunes adolescents, d'origine sociale plutbt moyenne, qui, attirés para un
contract de service (et service d'apprentissage!) s'engagent comme garpns
de ccmpteir uu service U'EE cimmerpnt canarien ou é t r ang~rE n anr nr re-nant
le métier, ils continuent souvent exercer la meme besogne pour leur
prope compte ... et parfois ils réussiront bien comme on le verra plus loin.
Lors de son dernier passage 5 Anvers en 1685, Diego Soria nous
donne un a p e r p de cette technique de recrutement. 11 passe un premier
contratS9 avec Gaspar van Grevenbroeck, celui-ci aggissant au nom de son
nevue hollandais Mathias Franciscus Bal, agé de 18 ans. Ce dernier
s'oblige a travailler pendant quatre ans au comptoir de Soria a Orotava en
qualité de «comptoirknecht» et de l'assister diligemment dans ses affaires.
Outre Ie voyage gratuit, le git et le couvert, son patron lui fournira de . - -
l'habillment et du linge convenables. En contre-partie, le salaire reste
assez modeste: de la premiere ?lai quatrieme année, les appointements
annuels augmenteron de 25 5 50, jusqu'a 100 «pattagons» ou pesos60. Une
semaine plus tard, Soria embauche un second serviteur de 14 ans, Jean
Franqois Stooter, fils de Léonard, habitant d'Anvers. Le garcon, engagé
pour un terme analogue, bénéficiera des memes avantages matériels que
son collegue. Cependant, vu son tout jeune age, il ne recevra point de
traitement, mais seulement une «courtoisie» de 50 pattacons 2 l'expiration
du contrat6'.
Qi?e!qi?es nkgoriants anversois, ayant confié a D. Soria des marchan-dises
ou des prets a la grosse, remettent avant de don départ pour Tene-
5' ACA/N 2817 (rég. non folioté), 10 mai 1683.
58 ACA/N 2818, 28 mai 1685 (fols. 133-134).
59 !&m, 25 ~lvri! !685 ( f ~ ! r . !M).
60 (L.. 48 placas (stuivers/sous) meneda de Flandes, por un pattacon)), cours de change
entre les Canaries et Anvers convenu en 1685.
6 ) ACA/N 2818, 2 rnai 1685 (fol. 98).
rife, A M. F. Bal des procurations d'urgence. Vu son titre de premier
assistant, ils le jugent déja assez compétent por qu'il remplace Soria en cas
de déces por gérer leurs avoirs. Ainsi agissent, par précaution, B. Boss-chaert,
J. B. van Praet et Louis & Robert le Candele -déjA mentionnés
plus haut- ainsi que Jean Francois Senoutzen62. Nous avons repéré
Matheo Bal Anvers en 1692. étant sur le uoint de retourner aux Cana-ries.
11 va probablement essayer d'y lancer sa prope affaire, car J. B. van
Praet lui chargue de reprende «... generalmente todo quanto D. Soria
tiene en su poder»@. Nous ignorons sa réussite, mais déja en 1695, rési-dant
A La Laguna, il donne carte blanche A un groupe de procuradores de
causas (genre d'assistance judiciare) pour défendre ses intérSt~6~.
La preuve éclatante d'une telle promotion socio-commerciale est
manifestée par la carriere-éclair de l'immigrant Jan Janssen Verschue-ren6s.
Né A Anvers -et des lors «de nasion Brabante»- en tant que fils de
Jan Verschueren et de Eva Bastiaenssen, une femme illétrée, il fut baptisé
!e ! Juniier 1655, a !'@!ise Saint-Pndré. A !'@ de !4 aíis, doíic eii i669, i:
s'embarque, engangé Anvers par Estevan de Mongruel, qui I'accom-pagne66,
sur un navire ostendais ?i destination de Santa Cruz de Tenerife.
D'abord il entre en service chez le capitaine Juan Ramón67, en l'assistant
en permanence («a la continua))) dans sa maison commerciale située A la
Gran Canaria. Puis, a un moment indéfini (en 1677?), il pase ti l'ile de
Tenerife et va s'installer ?i La Laguna. U, dans la paroisse de Los Reme-dios,
il contracte mariage (30 juill. 1681) avec María-Ana Le Sur (Lesour)
de la Torre, alliance d'oh naitront plusieurs enfants. Ultérieurement, il
remplit les fonctions de capitaine du régiment des étrangers (milice civile) a Tenerife. Les époux fondent également une chapelle de pélerinage
(ermita). Jusqu'ici pour ce qui est de I'ascension sociale.
Le démarrage commercial de J. Janssen Verschueren reste assez obs-cur.
Dans les minutes de tabellionage de Diego Ambrosio Milán -qui
restera d'ailleurs son notaire préféré La Laguna- il n'apparait qu'a la
b2 Idem, 4 & 14 mai 1685 (fols. 98-99, 117, 233-34).
63 ACA/X 2825, 24 dic. !6?2 (fok. :83-84).
64 AHPT-PN 1268/aQ 1695, fols. 184v-18%.
65 Les principales informations pour reconstituer son curriculum vitae sont puisés au
dossier de naturalisation, conservé 1'Archivo General de Indias/Sevilla. Contratación
596A, legajo 2.0, auto 41 (1684-85). Voir aussi F. FERNANDEZ DE BETHANCOURT,
Nobiliario de Canarias, La Laguna 1952, 1, pp. 805-807.
68 FGre de Domingo Morales Mongruel, ((theniente de capitan de cavallos corasos
\,-.,:,'.C\.., ".
67 Peu apres 1666, le juge oyr itendant du cornmerce des Indes aux Canaries nomme J.
Ramón dépositaire des biens confisqués, appartenant au feu Ant. de Castro (alias J. López
de Miranda), condamnk pour infractions sur la Carrera de Indias. F. MORALES
PADRON, Cedulario de Canarias, 11, núms. 230 2 232.
fin de 1680 en donnat ses pleins pouvoirs judiciaires deux équipes de
procuradores de causas, respectivament a Tenerife et h Gran Canaria68.
Au cours de l'été de 1682, il essaie, h deux reprises, de se rattraper sur le
marchand flamand Antoine Van Wechelen -une vieille connaissance de
La Laguna et actuellement bourgeois d'Anvers- pour une dette de 4.000
réaux. Le premier mandataire sera son compatriote Francisco del Campo
-installé d'abord h Santa Cruz et peu apres h la Laguna- qui est sur le
point de partir pour la Flandre. Ensuite, puisque Van Wechelen séjourne
> Rotterdam, il délkgue une procuration a Abran Exsaque (Abraham
Isaac?) Carillo et Cie. d'Am~terdarn6~.
L'activité commerciale de J. Janssen Verschueren nous révkle des
facettes encore plus fascinantes. En 1684, 2 peine quinze ans apres son
arrivée aux Canaries, il entame une procédure de naturalisation quelque
peu prématurée, dans le but principal d'obtenir l'autorisation de pouvoir
trafiquer légalemente aux Indes. 11 receuille tous les témoignages favora-bles
pour démontrer qu'il se sent déjh be1 et bien hispanisé. Néanmoins, vu
les avis négatifs de ia part du Consuiado de Seviiia -argumentant qu'au-cune
des trois conditions fondamentales requises n'etaient en remplies70 -Le
Fiscal, détaché aupres de la Casa de Contratación, déconseille de lui
((conceder la lizencia que pretende para tratar y contratar en la Carrera de
Indias)).
Pouquoi donc cette démarche précipitée? A-t-il voulu profiter de l'atti-tude
plus concilante du gouvernement qui, depuis 1683 et pour des motifs
essentiellement pécuniaires, accordait plus facilement des naturalisations
de gracia? Peut-&re une explication supplémentaire réside dans la déclin
qui s'amorce vers 1685 dans l'exportation des malvoisies vers la Grande-
Bretagne au profit du sherry meilleur marché. Beacoup d'Anglais quittent
les iles7l. Signalons également que depuis 1680 environ les vins rougues
ordinaires de Madeira se débitent de plus en plus dans les colinies anglo-américaines,
sans doute au détriment des vidonies, vins similaires des
Canaries72. Tres plausible donc, que J. Janssen Verschueren se soit efforcé
68 AHPT-PN 1266/aQ 1680, fols. 1 19v-120r.
69 Idem, aQ 1682, fols. 102v-103v; 197v-199r.
70 II ne pouvait alléguer que 15 ans de résidence continue et 3 ans de mariage avec une
indigene (contre respectivement 20 et 10 années requises) et ne mentionne nulle part ses biens
immeubles (4.000 ducats au minimum).
Cfr. A. DOM INGUEZ ORTIZ. La concesión de «naturalezas para comerciar en Indias»
durante el siglo XVII. Revista de Indias, 191 1959, pp. 236-37.
7' A. DE BETHENCOURT MASSIEU, Canarias e Inglaterra (arr. cit.), p. 69. V.
MORALES LEZCANO, Relaciones niercantiles (o. c.). p. 11 1. Indice symptomatique, la
courbe du prix des malvasías, qui s'était augmentée considérablernent entre 1666-76, se
repliait Iégerement jusqu'en 1686 pour repartir jusqu'a 1695 environ. Cette apogee est suivie
d'une chute spectaculaire qui, en 1705 deja, ramenera les prix au niveau de 1645. Cfr. G. F.
STECKLEY, art. +., fig. 2 & 3.
72 T. BENTLEY DUNCAN, Atlantic Islands (o. c.). pp. 39-42.
de soutirer une permission en regle au lieu de se risquer dans le trafic
clandestin florissant, issue unique pour absorber le surplus de la produc-tion
vinicole73.
Pendant l'hiver de 1685-86, J. Janssen Verschueren marchera sur les
traces de D. Soria. Manifestement en tournée d'affaires, il surgit A Anvers,
oii, se trouvant sur le point «para hazer differentes viajes largos)), il laisse
enregistrer son testament par devant notaire. Léguant sa fortune 5 sa
femme,' il confire a sa mere une rente viajere de 30 florins, A toucher
annuellement si elle lui survit74.
Séjournant Rotterdam durant l'été de 1686, il y passe plusieurs
contrats A la grosse aventure, sous forme de marchandises lui consignées
par divers négociants et chargées dans le navire de Geertruyd (capne. Jean
Messiers) a destination des Canaries. La ((bodemarye)), majorée de la
prime de 25 % (une fois de 10 %) couvre aussi les risques sur les retours 5
rapporter par le meme vaisseau. Comme bailleurs de fonds figurent res-pectivemente
Clara Specx, épouse du commerc7a- n- -t- a- nver soi Anteine
Moermans -le vieux- (1.888 florins)'*, Cornelis Blieck, marchand de
drogues A Rotterdam (747 fl.) et Charles Hoguel, également un négociant
local (204 fl.) Chaque fois Antoine Van Wechelen se porte garant pour
I'amortissement dei prets & la grosse; manifestement ses arriérés dui a J.
Janssen Verschueren n'ont pas encore Cté réglés. D'ailleurs, l'été suivant
Van Wechelen contractera ii son tour avec Verschueren, en acceptant une
bomerie (680 fl.) sur le meme bateau76.
De retour aux Canaries, en 1688, il commande L. Henriques da
Costa, négociant demeurant A Anvers, des lingeries et des tissus d'habille-ment,
A la demande du marquis de Villanueva del Prado de Tenerife7'.
Celui-ci s'est proposé d'organiser, ?sie s propres frais, l'émigration de
quelques familles aux Indes en récompense de certaines «faveurs» (licence
de commerce)78, d'ob peut-&re cette commission. En 1690, un nouveau
voyage d'affaires amene J. J. Verschueren une derniere fois h Anvers et il
7 3 Allu~ionsk et accusations (1676) de contrebande chez V. MORALES LEZCANO,
Relaciones mercantiles (o. c.), p. 89 et F. MORALES PADRON, Comercio canario-americano
(o. c.). p. 3 1 1.
74 ACA/N 2819, 19 jan. 1686 (fols. 5-6).
75 ACA/N 2823, 24 oct. 1690 (fols. 174-75). Le titre hypothécaire ne sera amorti qu'en
1690 'a Anvers, lorsque J. J. Verschueren rembourse h la veuve du feu A. Moermans les 2360
fl., en assignant la dette sur plusieurs marchands hollandais.
76 Archives Communales de Rotterdam, Notariele Protocollen (dorénavant ACP-NP)
n.Q 1.473 (Gommer van Bortel), aQ 1686, doc. 16, 20, 25; año 1687, doc. 27.
77 J . EEN!!CE, ,4,n~rsoisa zn Cmü i i e ~{a y:. ci:.), p. 308. Xuüs i i ' ~ ~ ü ijiisas sü repcier
I'acte originale.
75 F. MORALES PADRON, Cedulario II, pp. 314-15. Pour cette soidisante contribu-ción
de sangre)), voire Idem, Comercio canario-americano, pp. 195-96 (5 familles/ 100 ton-neaux
de permission), p. 197 (arrangement particulier).
en profite por subtiliser a D. Soria une partie de sa clientele flamande79.
11 repasse également a Rotterdam, ou la veuve du feu Mathias van
Wechelen, un marchand anversois, lui confie une partie (680 fl.) de soie-ries
et d'autres marchandises, a charger dans le St.-Marten (capne. Joris
de Coster). La prime de 30% -taux augmenté vu les risques de la
guerre- non seulement couvre le trajet Amsterdam-Tenerife, mais prote-ge
aussi la cargaison de retour, dédoubler sur un délai de trois mois80.
Vers 1696-97, au moment au le prix et l'exportation des malvasías
commencent A décliner, la firme de J. Janzen Verschueren y Cmpa., «de
nazion Olandesa)) (sic), essaie de diversifier ses débouches. En nov. 1696,
elle s'asocie avec Juan Lorquin, un négociant anglais de La Laguna, pour
affréter, A raison de 425 réaux par tonneau (soit deux pipes), une galiote
hollandaise de 20 lastes, nommée le Sn. Francisco et appartenant au
capitaine Joseph Nicolas (alias Joosen Klaassen) de Delftshaven. En se
réservant le tiers de la capacité du petit navire, Verschueren chargera ses
pipes de vin h Santa Cruz de Tenerife, tandis que Lorquin amenera ses
hari!s au rort q i i dessert La Orotava. Dani la quinzaine, le bateau devra
quitter Puerto de La Cruz a destination de Gallovai (Galway Bay) en
Irlande; aprks y avoir pris une cargaison de retour a consignation de J.
Lorquin, il regagnera le port de La 0rotava81.
En marge du dossier de naturalisation de J. J. Verschueren figuerent
encore d'autres Flamands qui s'étaient installés l'ile de Tenerife. Deux
de ses amis personnels, qui avaient «assisté» (en tant que témoins) a son
mariage et au bapteme de ses enfants, attestent en 1684: Pablo Dubois
(01645) et Pedro de Roo (01639), marchands demeurant k La Laguna. Le
premier mentionné 5 déjh revu sa patrie en 166782, ce qui prouve qu'il est
arrivé assez jeune a l'archipel. Pedro de Roo est originaire d'Anvers, ob il
connu les parents et autres membres de la famille de Verschueren. En
1672 il fait un bon mariage, en épousant Ana-María de Bigot y Villarreal,
d'ascendance noble bretonne. Antérieurement, le roi Philippe IV lui Li déjb
assigné le grade de capitaine d'infanterie pour ses bons services rendus a
Tenerife. Plus tard, il obtient le poste de consul-général de la nation
flamande aux Canaries83.
79 Cfr. supra, ñote 44.
80 ACR-NP 1.476:ano 1690, doc. 160.
81 AHPT-NP L.268/aQ 1696, fols. 95r-96v. Dans le trafic des vins Tenerife, les Irlandais
(catholiques) prendront de plus en plus la relevedes Anglais. Voir A. GULMERA RAVINA,
Burguesía extranjera y comercio atlánfico: la empresa comercial irlandesa en Canarias
1703-1 771 (sous presse).
82 ((Paul Dubois, rnerchantn rentre sur un bateau de Nieuport. CSP-DS, 7/ 1667, p. 359.
83 J. 1. RUBIO MANE, Ascendencia wallona de Andrés Quintana Roo, Boletín del
Arch. Gen. de la Nación/ México, 191 1948, pp. 540-41. Son oncle, Alexandre de Roo, fut
Ensuite viennent A témoigner Francisco del Campo (Q1639), natif
d'Anvers et résidant La Laguna -sans doute proche parent de J. B. del
Campo du port de Santa Cruz-, ainsi que le capitaine Francois Muste-lier
(Q1636), demeurant a l'ile voisine de «Canaria» et probablement d'ori-gine
wallone. Tout a début du XVIlle sikcle, il entreprend encore le
voyage de la Gran Canaria Cuba en commandant une minuscule fré-gates4.
Nous avons déjh fait la connaissance du marchand Nicolas Muste-lier,
associé de Pedro Bardonas en 1673-74. En 1680, quatre marchands de
La Laguna -A savoir Nicolas et Pedro Mustellier, J. B. del Campo et
Gerardo Grasvisen (sic)- se retrouvent réunis pour participer A la cargai-son
de la Santa Ana, capitaine Matheo de Palacios; ils exportent vers La
Havana des pipes de vin et de l'eau-de-vie, ainsi que de la cire blanche85.
Durant les années 1699-1706, Pedro Mustelier occupe le poste de consul
franqais; stationné lui-méme A La Laguna, il dispose encore de quelques
vice-consuls disperses sur l'archipel86. Encore en 1704, il confirme en tant
qi?e c ~me r c imt e ! ? ,! 'ci~?the~?ticifdk'u r?e p r c c ~ r u t i ~ nC,m anan: d'ün tiio
flamand qu'on retrouverá bientot.
La guerre de succession d'Espagne apporte de nouveau un coup dur
aux Canaries. Le conflit y provoque en 1704, I'exode de la colonie mar-chande
anglaise. En déc. 1703, un traité de commerce, habilemente négo-cie
par lord Methuen, ouvre le marché britannique aux portos portugais
tres concurrentiels. Les prix des vins canariens s'effondrent d'une facon
dramatique (de 75-80 ducados k 18-20 pesos). Cependant, au fur et A
mesure que les convois a partir de Cadix/Séville se rétrecissent, le trafic
canarien i destination d7Amérique s1intensifie87.
En pleine marasme, trois éminents négociants flamands joignent les
mains por préserver, voire effermir les intérets commerciaux de la nation
consul-général de Flandre en Galice. Cfr. J. EVERAERT, L'implanrarion de manufactures
texriles flamandes en Espagne 6 la fin du XVIIe si?cle, Bull. Inst. hist. belge de Rome,
441 1974 (Miscellanea Ch. Verlinden), p. 2631 n. 20. En 1688 apparait un Henrique de Roa,
mis que ia fiiiaiion soii ciaire. Cfr. F. MORALES PAUKVN, Cedulario 11, p. 323.
84 P. E. PEREZ-MALLAINA BUENO, La navegación canaria a Indias y la Junta de
Restablecimiento del Comercio (1700-1708). Actas 11 Coloquio ... canario-americana, 1, p.
414. Le tonnage ridiculement faible (16 tonn.) du San Jose est snrement falsifié. Cfr. Ibídem,
pp. 403-06.
85 F. MORALES PADRON, Comercio canario-americano, p. 330-31.
86 Archives nationales Paris, Affaires Etrangeres, serie Bl/reg. 1.072. Nous remercions
ivír. A. Zabanrous a'avoir er ia gentiiiesse de vérifier cette correspondance consulaire. W.
VAN DER DRIESCH, Ausl¿indischen Kaujleure (o. c.) p. 388.
87 V. MORALES LEZCANO, Relaciones mercanriles (o. c.), pp. 93, 11 1. F. MORA-LES
PADRON, Comercio canario-americano (o. c.), p. 200. P. EMILIO PEREZ-MALLAINA
BUENO, La navegación canaria a Indias (arr. cit.), pp. 388-89.
flamande aux Canaries. Présentons-les d'abord: J. Janssen Verschueren-une
vieille connaisance-, Juan Antonio Moermans et Juan Pedro Dujar-din,
tous des Anversois installés 2 (San Cristóbal de) La Laguna.
Sans doute, J. A. de Moermans est le fils du négociant anversois
Antonio Moermans deja cité et qui, en 1686, avait preté 2 la grosse
aventure 2 J. J. Verschueren. Apparamment ce dernier 2 introduit le jeune
stagiaire dans le milieu canarien. Les liens se reserrent encore plus quand.
en épousant Petronila Lesur, l'ancien collaborateur devient beau-frere88.
Une épisode antérieure 2 relater se situe en 1696, lorsque Juan Anto-nio
Moermans témoigne i Anvers (lors d'une tournée d'affaires?) i la
requete de son collegue anversois Simon Conrado de Schot. Au début de
l'année 1695, J. A. Moermans avait fait charger, par ordre de Thomas
Beyerly, une partie de vins a bord du ((heghboot99 nommé la Prudentia
(ca 150 lastlcapne. Dan. Ellenbrouck), arrivé A Santa Cruz de Tenerife en
provenance d'Hambourg90. Malheureusement le navire avait fait naufrage
sur les falaises dans la rade d'Orotavagl.
Au moment de sa naturalisation, en 1728, le domicile de Juan Pedro
Dujardin, natif d'Anvers, était depuis plus de 30 ans établi A Tenerife. A
l'époque sa fortune immobiliere dépasse deja les 80.000 réaux. Des 1705, il
avait contracté deux mariages: entre en premieres noces avec Feliziana de
Higueras Lesur, il s'est remarié en 1720 avec María Antonia Mormans,
natif de Tenerife et fille de Juan Antonio Moermans. Occasionellement il
s'était enrolé comme soldait de cavalerie9*. On sait le repérer également
parmi les exportateur de vin et sourtout d'eau-de-vie produit en vogue93
-vers les Indes, en 1715 (La Guayra/ Venezuela) et de nouveau en 1731
(La Guayra/ La Habana)94. Cette derniere fois il figure en compagnie de
María Normans -manifestement sa femme- et de Chistoval de Grafe,
possiblemente aussi flamand95.
88 Nobiliario de Canarias, 1, p. 806.
89 «Heghboot» = hekboot: navire marchand hollandais de type mixte, c. A d. une combi-naison
de la flute (coque) et de la pinasse (superstructure), ayant pour résultat une capacité
de chargement et de logement augmentée.
90 Rappelons au passage qu'en 1668, Joanes Dierickx d'Hambourg affrete le navire
hollandais nommé Gerechricheyf ende Vredm (capne Jan Keun) pour les Canaries et y
charge des g r a i ~est des marchandisesi entre autres pour compte de Geraard Boon dlAnvers
qui passe une assurance maritime de 400 £fl. 5%. ACA/ FF 1.435 (rnémorial), sept. 1668.
91 ACA/N 2828, 14 juill. 1696 (fol. 168).
92 AIS/ Indiferente General, 1536 (cédula 24 aofit 1728).
93 AUX colonies, la vente d'eau-de-vie a augmenté considérablement h partir de 1679 et
finira bientot par dépasser les vins. A. LOPEZ CANTOS, El tráfico comercial entre Cana-rias
y América durante elsiglo XVII. Actas 11 Coloquio de his. can amer. (1977), Las Palmas
:Y!?, 1, pp. 3i5-17.
94 F. MORALES PADRON, Comercio canario-americano. pp. 333, 334, 336.
95 Naturalisé en 1728, Cristóbal Graf, natif de ((Riepalmontte~(R upelmonde?) réside
également H La Laguna. En 1707, il a épousé María Rafaela Sarmiento, originarie d'orotava
Alertés, tant par le changemente de dynastie que par la nouvelle
ambiance anti-espagnole dans leur pays natal, et encouragés par le retrait
des marchands anglais aux Canaries les dirigeants de la nation flamande
se hfitent de faire garantir leur futur commercial. Déjh en 1683, Charles 11
avait conféré aux marchands flamands en Andalousie le statut de la
nation la plus privilégiée, statut en vertu duque1 tous les privileges pré-sents
et futurs, acquis par les autres colonies marchandes étrangkres,
tchoyaient automatiquement a la nation flamande. Augmenté d'une nou-velle
concession (1686), mettant les Flamands sur le meme pied que les
indigenes, le statut définitif ad'égalité préférentille)) est corroboré en
169296. Le nouveau roi Philippe V revalide ces prérogatives por 1'Anda-lousie
en juin 1702; la cédule originale'se conserve es mains du consul-général
flamand A Cadix.
Au début de 1704, Verschueren, Moermans et Dujardin (hispanisé en
Del Jardín) entament une procédure pour qu'ils jouissent eux trois des
memes priviieges que ies négociants flamands en Andaiousie. Munie
q'une procuration, ils remettent la requete a Juan Hubin, consul flamand
Cadix, qui 2 son tour, sustitue le dossier J. Sánchez de Cosio auprks de
la cour de Madrid. Sur l'avis favorable du Conseil d7Etat, ils obtiennent
vite gain de cause le 6 aoGt 1704, quatre mois au juste apres leur déma-rrage9'.
Par aprks, le traité de Vienne (1725) garantira aux ressortissants
impériaux, résidants aux Canaries, les memes droits que les Hollandais98.
La filikre comercio-familiale se cldture par Guillermo Vanden Heede
Duxardin (sic), originaire d70stende. Attiré par son oncle (Juan?) Pedro
Dujardin, el s'installe, lui aussi a La Laguna. L'hispanisation se dessine
assez t6t: en 1728, il s'affilie A une confrerie, puis A un autre; en 1734, il
s'engage comme soldat-cavalier dans une compagnie de milices insulaires;
en 1737 finalement il épouse María Antonia de la Candelaria, Yansen,
Mesa y Castilla, long patronyme sugguérant 2 la fois une descendance de
bonne maison et une origine partiellement nordique99. Independem-et
fortunée. II s'est construit plusieurs maisons qui valent plus de 6.000 pesos. Accompag-nant
son frzre Juan Bauptista Graf, il a entrepris deux voyages de permission en Amérique.
V. VAN DEN DRIESCH, Ausliindischen Kaufleuie (o. c.), p. 574.
96 J. EVERAERT, Vlaamse firma5 (o. c.), pp. 646-649.
97 Archivo Histórico Nacional/ Madrid, Estado 1.849, caja 1 (Tres flamencos residentes
en Canarias piden se den a sus mercancías el mismo trato que a los otros súbditos extranje-ros);
Estado 661, caja 2 (Cédula 1.704).
98 W. VAN DEN DRIESCH, Ausl2ndischen Kaufleute, p. 27.
99 En 1762-63, un certain Domingo Jancen est propriétaire de deux navires allant aux
Indes. F. MORALES PADRON, Comercio can.-amer., pp. 134-35 (núms. 9 & 11). 11s s'agit
probablement du capne Domingo Yansen y Ossorio, petit-fils de J. J. Verschueren.
ment de l'important héritage recu de la parte de son oncle (vers 1744), les
propes biens irnmeubles de G. Vanden Heede, depassent les 80.000 réaux
au moment de sa naturalisation en 1753'00. Autorisé, par conséquent,
practiquer le cornrnerce des Indes, il figure, en 175-59, comme coproprié-taire
d'un navire de registre (Ntra. Sra. de la Candelaria/218 tonn.) A
destination de La Havane. Ses fils et héritiers -il avait une famille nom-breuse
de neuf enfants- arment a destination de la meme ?le, en 1768-69
une petite frégate (Jesús Nazareno175 tonn.) et qui restera i La Havane
au cours des années 1770-73. Pedro Vandenhede -sans doute un fils- en
est copartenairel0'.
!E AiSi i i i d ~ f . Gen. l.:% (c&5ü:a dc na:üia!eza, 1753).
F. MORLAES PADRON, Comercio can.-amer. p. 131 (n.o 12); pp. 138, 141, 144,
147 (chaque fois n.o 11). J. ORTIZ DE LA TABLA Y DUCASSE, Comercio colonial
canario (art. cit.), table-annexe.
FILIATJBN GENEALOGIQUE DE LA COLONIE MARCHANDE FLAMANDE A LA LAGUNA
Jan Verschueren Miguel Francisco Lezur de la Torre Antonio Mourmans
X X X
Eva Bastiaenssen Mariana López Guerra Clara Specx I Jan Janssen Verschueren X María-Ana rm Feliciana Petronila X Juan Antonio 1 Mourmans
o Anvers 1684 (1681) o La Laguna 1665 P.Q de
+1705 l Juan José Salvador Miguel
(1683-1722)
María de la O.
de Mesa y Castilla
gueras o Anvers
testament 1730
I natuialisé 1728 \ (neveu & héritier) LMarí a Antonia de la Candelaria, . Yansen, Mesa y Castilia (17X3 7)
Guillermo ~ebastián*~andeHne ede Duxardin
(1719-1757) I z;:;et.::4 l E o
naturalisé 1753
(e. a.) Pedro Vanden Heede