! Almogaren XXXII-XXXIII/ 2001-2002 j Wien 2002
Alain Rodrigue
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Un gisement acheuléen du Sud Marocain
Keywords: Morocco, Palaeolithic, Acheulean, bifacial tools, hatchet,
pebble tools
Abstract:
An Acheulean layer in the South ofMorocco. The Paleolithic surface layer of
Tafnidilt was identified fifty years ago. Despite many recognition missions,
the industry is still unpublished. It is really difficult to make comparisons
between a surface deposit and one of the many prehistoric industries of the
region. Nevertheless, this layer is important enough to deserve more than old
and incomplete notifications.
Zusammenfassung:
Eine Acheuléen-Schicht in Süd-Marokko. Die paliolithische Oberflichenschicht
von Tafnidilt wurde schon for 50 Jahren identifiziert. Trotz vieler
Erkundungs-Missionen ist diese Abschlagstiitte noch nicht veroffentlicht. Es
ist in der Tat schwierig, Oberflichenfunde mit einer der vielen prihistorischen
Industrien der Region zu vergleichen. Trotzdem verdient diese wichtige
Schicht mehr als überholte und unvollstindige Notizen.
Résumé:
Le gisement de surface de Tafnidilt a été découvert il y a cinquante ans. Malgré
plusieurs missions de reconnaissance, l'industrie est restée inédite. Il est
dificile d'établir des comparaisons entre un gisement de surface et l'une des
innombrables industries de la région. Cependant, ce gisement offre assez
d'intérêt, pour mériter bien plus que d'anciennes et brèves notules.
Le contexte paléolithique du Dra inférieur
Une première reconnaissance, efectuée en 1950, de l'embouchure du fleuve
à El Ayoun du Dra, a conduit à la découverte d'une dizaine de stations paléolithiques
de surface, d'importance variable (Puigaudeau et Senones 1953). Les
auteurs remarquent l'extraordinaire abondance et la variété des pièces du gisement
de Tafnidilt. Une deuxième mission archéologique, quelques années
plus tard, fait de nouveau connaître plusieurs stations se prolongeant jusqu'à
Aouinet Torkoz, toujours sur la rive nord du Dra. Le gisement de Tafnidilt est
de nouveau mentionné, livrant de l'Acheuléen, d'ailleurs fort beau, avec d'énormes
éclats qui, comme ceux de Goulimine, servaient à la confection des bifa-
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ces, mais n'étaient pas utilisés en tant qu'éclats (Biberson 1954). Les reconnaissances
effectuées ultérieurement ne feront que confirmer la diversité et
l'abondance du matériel des stations des rives du Dra (Letan 1968-1972), dont
la localisation sur une carte de la région ne donne qu'une faible idée (Fig. 1 ).
Les auteurs sont unanimes à reconnaître la prédominance des séquences «
abbevillienne»,« acheuléo-chelléenne », « levalloisienne», selon la terminologie
alors en usage. Leurs rapports de mission ne comportent malheureusement
ni dessins des pièces récoltées ou inventoriées ni photographies,
tandis que les déterminations chrono-typologiques sont aujourd'hui totalement
dépassées.
Ces notes sont donc de peu de secours pour permettre d'identifier un des
faciès évolutifs du Paléolithique inférieur du Maroc saharien. Certes, il reste
encore aujourd'hui très dificile de replacer ces industries dans un système de
terrasses et d'âges géologiques, pour pallier le manque de références chronologiques
directes (P. Biberson 1965). L'approche typologique que nous proposons
ici, loin de résoudre ces dificultés, permet de fixer un des faciès typologiques
de !'Acheuléen du Maghreb (1).
L'Acheuléen de l'Hassi Tafnidilt
Après avoir longé l'étroite barrière de Jbel Ourkziz, le Dra s'engage dans le
défilé du Mkarz. Au niveau d' El Aïoun du Dra apparaît un système très complexe
de terrasses, la plus haute et la plus marquée étant celle de 60 m. Une
terrasse plus basse, visible sous la forme de regs étagés ou en lambeaux de
décrochement, se prolonge au niveau des 30-40 m jusqu'à l'embouchure du
Dra. Le gisement de Tafnidilt se trouve en bordure de la terrasse supérieure,
les pièces apparaissant sur les pentes d'un lambeau démantelé et au sein même
d'un conglomérat de gros galets de grès très peu encroûtés. Entre deux dunes
souflées, le ravinement fait ressortir les galets ainsi que l'industrie en mélange.
L'amplitude des encroûtements, la complexité des emboîtements de
terrasses, le ravinement puissant, sont autant d'éléments qui ne permettent
pas de restituer de façon satisfaisante la séquence de formation de ce gisement
qui demeure, quoi qu'il en soit, in situ.
L'industrie se compose essentiellement de bifaces obtenus sur galets de
grès. Les trois hachereaux que nous avons récoltés sont peu typiques et il serait
plus exact de les qualifier de bifaces à biseau terminal, cette nuance prenant
tout son sens si l'on compare ces pièces avec les hachereaux de Ourzazate
(Rodrigue 1986). Les éclats sont très nombreux mais nous n'avons recueilli
qu'un seul outil uniface ayant fait l'objet d'une retouche. La prépondérance
des bifaces à base réservée est ainsi à rapprocher de l'absence totale de la
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technique Levallois ou même proto-Levallois sur ce gisement. Cette première
appréciation est d'importance lorsque l'on sait l'extraordinaire profusion de
l'outillage sur éclats Levallois sur les regs sahariens du Maroc (Camps et Riser
1978).
La série est très patinée, les outils ayant une teinte beige clair, alors que le
grès est blanc bleuté à la fracture actuelle. Toutes les pièces sont d'une grande
fraîcheur, les arêtes et les bords étant très vifs. Ceci permet une observation
précise des méthodes de débitage et de la formation des esquilles ou des écrasements
d'utilisation qui intéressent les bords et très rarement l'extrémité
distale, celle-ci restant très acérée dans la plupart des cas. C'est un outillage
relativement massif. Quels que soient les paramètres, la technique est identique:
grands enlèvements de mise en forme, puis retouches secondaires (Fig.
2, 2). Les normes maximales sont les suivantes (biface) 17,5 cm de L., 9 cm de
l., 5,5 cm d'E., 1 Kg. La longueur moyenne se situe vers 12 cm.
Galet aménagé: 4
Il s'agit d'outils subcirculaires obtenus sur galets, suivant les techniques de
débitage rappelant celles des industries pré-acheuléennes (Fig. 2, 1 ). Il ne saurait
être question ici de repères chronologiques, la technique et les modules
restant quoi qu'il en soit différents de ceux des industries dites, un peu inconsidérément
peut-être, «oldowaiennes» du plateau de Salé, par exemple (Choubert
et Roche 1956). On sait en effet qu'un pourcentage non négligeable de
galets taillés accompagne des faciès évolués de l'Acheuléen, notamment dans
la région de Casablanca (Neuville et Ruhlman 1941) et parfois même des faciès
de l'Atérien atlantique du Maroc. Les galets de Tafnidilt passent progressivement
aux bifaces partiels par augmentation du tranchant utile (Fig. 2, 2)
ou morphologie générale (Fig. 2, 3).
Pièce sur éclat: 1
Il s'agit d'un éclat non Levallois, conservant sur l'avers une plage de surface
du galet d'origine (Fig. 3, 1). La configuration naturellement spatulée de
l'éclat a été améliorée par quelques retouches sur l'avers et par un amincissement
du bulbe sur la face d'éclatement (trois écaillures récentes sur cette face,
en blanc sur notre dessin). C'est l'exemple même des « bifaces-unifaces »,
déjà décrits par Antoine ( 1933) et qui sont particulièrement nombreux sur les
gisements de technique Levallois. Ce type d'outil a été par ailleurs décrit en
tant que« biface sur éclat » (Jodin 1964). La pièce, recueillie à Fam el Hisn, a
été ménagée dans un éclat massif débité sur enclume, sans préparation d'un
nucléus et suivant une technique qui conduit à l'obtention d'éclats beaucoup
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plus grands que ceux que l'on produit avec un percuteur à main, description
qui convient à l'ensemble de l'industrie de Tafnidilt.
Hachereau: 3
Les trois pièces recueillies correspondraient assez bien au type 5 dans la
classification de Tixier (1956): les retouches envahissant les deux faces ne
laissent intacte qu'une partie du biseau (Fig. 3, 2). Aucun de ces objets ne laisse
préjuger de la technique d'obtention de l'éclat. Un outils à biseau terminal a
d'ailleurs conservé sa base réservée. Un des tranchants est large (Fig. 3, 2)
avec une arête médiane, ce qui rapprocherait cette pièce du type 2 de Tixier
(hachereau sur nucléus non préparé). Les deux autres pièces ont des tranchants
plus étroits.
Biface: 14
Les outils sont cette fois entièrement dégagés du galet d'origine ou conservent
une zone réservée très localisée (Fig. 5, 2), à la base essentiellement.
Tous ces bifaces sont épais, l'indice mie (largeur maximale sur épaisseur
maximale) utilisé par Bordes (1981) étant inférieur à 2,35. L'indice du biface le
plus plat de la série (Fig. 5, 2) est de 1, 77. Ces objets entrent ainsi dans la
catégorie des amygdaloïdes, selon la classification simplifiée proposée par
Camps (1979):
- biface amygdaloïde, type 2.2. (Fig. 4, 2). mie < 2,35, L/m (longueur maximale
sur largeur maximale)> 1,5.
- biface amygdaloïde court, type 2.2. bis (Fig. 4, 1 ), m/e < 2,35, 1/m < 1,5.
Les types 2.3. (lagéniforme), 2.4. (lancéolé), 2.5. (micoquien), toujours dans
la série des bifaces épais, ne semblent pas exister à Tafnidilt.
Biface à base réservée: 48
Toutes les pièces de cette série ont conservé une partie plus ou moins importante
du galet d'origine. La partie acérée du biface est dégagée du galet (Fig.
2, 3), la base réservée représentant la plupart du temps le tiers total de la surface
de la pièce. Du fait de leur épaisseur, dans tous les cas supérieure à celle
des bifaces « vrais » (i.e. totalement dégagés du bloc d'origine), ces pièces
entrent toutes dans la catégorie des bifaces amygdaloïdes.
Commentaires
L'industrie de Tafnidilt, malgré une technique qui apparaît rapidement répétitive,
possède quelques particularités qui entraînent des réflexions.
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Nous nous basons uniquement sur la typologie pour dénier à cette industrie
le caractère d'« abbevillien» que pourrait lui conférer l'indice très élevé des
bifaces à base réservée et les galets aménagés présents. Le biface partiellement
dégagé du galet d'origine nous paraît ici beaucoup plus le résultat d'une
nécessité dictée par le choix de la matière première et par la configuration des
galets matrices que d'un signe d'archaïsme. Les petits bifaces amygdaloïdes
bien retouchés (Fig. 4, 1 et 2) annoncent un Acheuléen bien individualisé.
Les regs du Maroc saharien ont en effet, jusqu'à présent, fourni une quantité
notable de nucléus Levallois et une débauche d'outils unifaces et de grands
éclats à encoches, d'allure faussement clactonienne. Le complexe« levalloisien
» est d'autant plus ardu à appréhender au sein des séquences du Paléolithique
inférieur que la technique du nucléus préparé semble elle-même apparaître
très précocement, consécutivement aux premiers bifaces et hachereaux.
Rien de tel à Tafnidilt. Si les éclats de débitage et les chutes corticales de
galets sont nombreux, on a vu que les outils sur éclats étaient inexistants, y
compris les véritables hachereaux, par définition sur éclats. Il semble donc
qu'il existe sur les rives du Dra des faciès antérieurs au complexe fort mal
défini du« levalloisien» (et que l'on a trop rapidement voulu omniprésent),
faciès caractérisés par un faible pourcentage de bifaces vrais et de galets aménagés
ainsi que d'une forte proportion de bifaces à base réservée.
Il est aléatoire de vouloir dater un faible échantillon sur les seules caractéristiques
typologiques. Tel qu'il se caractérise, le gisement de Tafnidilt aurait
quelques affinités avec des faciès acheuléens sahariens, tels ceux de la Saoura
(Algérie). Les stades I et II de !'Acheuléen des dépôts du Taourirtien inférieur
comprennent en efet jusqu'à 50% de galets aménagés mais dont un grand
nombre d'entre eux sont des proto-bifaces (ou bifaces à base réservée), des
bifaces vrais et quelques hachereaux assez mal venus (Alimen 1981). Ce faciès
saharien correspondrait aux stades I et II de !'Acheuléen ancien du Maroc,
contemporains du cycle continental amirien (Alimen 1977). L'aspect de
fraîcheur des pièces non roulées de Tafnidilt s'accommode certes assez mal
d'un cycle daté de 0, 7 à 0,6 millions d'années, mais ne serait pas en contradiction
avec le fait que toutes ces pièces proviennent d'un gisement en place, mis
à jour par érosion éolienne très lente.
Note:
(1) Toutes les pièces de Tafnidilt ont été remises à l'Institut National des
Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine, à Rabat.
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Figure 2:
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Figure 3:
Industrie de Tafnidilt. 1: outil sur éclat. 2: hachereau.
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Figure 4:
Industrie de Tafnidilt. Bifaces amygdaloïdes.
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Figure 5:
Industrie de Tafnidilt. Bifaces amygdaloïdes.
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