Lionel GALAND, Paris
INSCRIPTIONS BERBERES DU SAHARA OCCIDENTAL
1. Le beau livre consacré par H. Nowak et par S. et D. Ortner aux «gravures
rupestres du Sahara espagnol» signale des inscriptions de type libyco-berbère dans les
sites suivants: Loma de Aasli (p. 37), El FarsJ'.a (p. 61), Gleibat Ensur (p. 63),
Leyuad III (p. 66), Abrigo del Capitan Justo (Galb Admar) (p. 67), Esmamit (p. 68).
J'ai étudié le premier de ces documents dans Almogaren IV (1973). Tout
récemment, des préhistoriens et des archéologues espagnols ont publié dans la revue
Tabona 2 les inscriptions de Gleibat Ensur et de Leyuad III, ainsi que des textes
d' Assaig Bedrag. Les lectures sont dues à M. Alvarez Delgado. Elles appellent
quelques commentaires, auxquels fera suite la présentation d'une nouvelle inscription
de Leyuad, qui m'a été obligeamment communiquée par M. Nowak.
2. J'ai eu plusieurs fois l'occasion - et ce fut le cas notamment au colloque de
l'Institutum Canarium en 1975 - d'exposer les graves difficultés auxquelles se
heurte le déchiffrement des inscriptions libyco-berbères et qui rendent souvent
impossible toute traduction sérieuse. Je ne peux donc qu'approuver M. Alvarez
Delgado lorsqu'il souligne, dans Tabona 2, le caractère hypothétique de certaines des
interprétations qu'il propose. Malheureusement cette précaution n'est pas toujours
prise par les auteurs qui le citent et le lecteur peut croire (ainsi p. 24) que la version
qu'on lui présente est sûre ou du moins probable. Je crains qu'il n'en soit rien.
Chacune des trois phases de l'étude comporte, on va le voir, une part d'incertitude:
l'identification des signes, leur transcription, l'analyse du texte. Pour éviter tout
malentendu, je conserverai les numéros donnés aux inscriptions dans Tabona 2,
fig. 46. Sauf indication contraire, les lettres berbères seront disposées ici comme elles
le sont dans une écriture verticale.
2.1. Identification des signes: J'entends par là le travail qui consiste à reconnaître
les tracés. Les auteurs disent et les photographies confirment que les inscriptions,
déjà frustes et malhabiles dans la plupart des cas, ont souvent souffert de l'érosion
éolienne. Si dans l'ensemble les clichés paraissent justifier les copies proposées par
Tabona 2, fig. 46, ils autorisent parfois d'autres lectures:
N° 1: M. Alvarez Delgado considère les deux barres horizontales comme une lettre
unique, qu'il lit l (p. 27). C'est possible. Mais on pourrait aussi voir là deux lettres
successives (n n ? ), car la fig. 43, A et C, montre que les barres sont assez éloignées
l'une de l'autre.
N° 2: Lecture très incertaine: le signe I, qui se présente en réalité comme un H
placé à l'extrémité gauche d'une ligne d'écriture horizontale, est le seul de tous les
signes publiés ici qui ne semble pas figurer dans les inscriptions relevées en
Mauritanie par M. Th. Monod. L'autre signe se laisse mal identifier.
N° 3: Le signe du haut n'a que deux points d'après la fig. 44.
75
© Del documento, los autores. Digitalización realizada por ULPGC. Biblioteca, 2017
76
LECTURES PROPOSÉES PAR T ABONA 2
I- INSCRIPTIONS OR.liJ!ES1
A') Tombes d I Assaig Bed.rag1
(D TombH l
-
-
V\
.!li (?) "il est
et 2
l
y
auspendu"
® Tombe 2
HE
Il d. azze "meuler, ou ei11ad. "provisions
ou mieux ia11 •11 rit"· de bouche"
t,) Monolithe de Oleibat Eneur (maintenant à Villa Cisneros),
1 0
...
'Il
8 •
sa;reg "je donne
rai en quantité"
=
* n
Olscur. Le
signe pour î'
eat moderne.
0
+
+
u
0
:>
:>
l
r
t
g
t
m
r
d
d
Nom double.
derumea "sourire"
0
1 n
Il -
R
. .
0
\.)
t
u
r
Il
m(fairlai ua-tfioen1)1 ani
...
0
Ill
w
..
0
©
g
r/s ?
g/u
w•
g
r
Filiation. Ou bien
ergaaeg erasig
"jsuei ssu diees cmoenntdué•, . je
:n:;._ INSCRIPTIONS PEINTES (Le;ruad. III)1
qg)
-
0
-1-i•la "et
entendit"
1
8
t/1
il
••• @.g
e •
l
gellei "jai
Par!, douuineid:"
©
111
l.). .
0
+
Ill
0...
•
u
•
t
;r
O"a0r. afyaitlie a d'u-AlKa!Y ayu•
0
1
Il
C
..
u
n
l
d.
u
•
aLmueotgeurde uilannc ertaines
"amoureux des ooeura•
@
X t
w
w y/i
i-a.dut "au vent"
© Del documento, los autores. Digitalización realizada por ULPGC. Biblioteca, 2017
N° 4: Les éléments du dessin sont tellement emboîtés les uns dans les autres qu'on
peut se demander s'il s'agit bien de trois lettres successives.
N° 6: Le signe du bas pourrait-il compter quatre points, dont l'un serait
partiellement effacé? ( v. fig. 44 et ci-dessous, § 3, e).
N° 7: Il y a désaccord entre la fig. 44 et les trois derniers signes présentés par la
fig. 46 en haut de l'inscription: la lecture + n'est pas évidente; la lettre ronde 0
n'apparaît pas et les deux barres horizontales sont peut-être à séparer, comme dans
le n° 1.
N° 8: Inscription très confuse: le troisième signe à partir du bas n'est guère
identifiable d'après la fig. 44.
N° 9: Inscription très confuse: la fig. 44 montre, en bas, un signe que la fig. 46
omet; l'avant-dernier signe en haut n'est pas net.
N° 10: De nouveau les barres horizontales du haut de la ligne semblent être
séparées, si l'on s'en rapporte à la fig. 38.
Monolithe de Gleibat Ensur (n°s 3 à 9): la lecture de certains signes a été jugée
désespérée par M. Alvarez Delgado (p. 28). Grâce aux photographies de NowakOrtner
(Abb. 147, 185), on pourrait, avec les réserves d'usage, suggérer de lire au bas
de la pierre le texte suivant, que je désignerai par le numéro 9 bis:
Ü"()Q Ill (?)·O++(Tabona 2, fig. 44).
2.2. Transcription: On sait qu'il existe plusieurs alphabets libyco-berbères, qui
diffèrent par la forme ou par la valeur de certaines lettres. Ces alphabets ne sont pas
tous connus. Pour le Sahara occidental, aucune transcription n'a été établie avec
certitude. On peut évidemment étendre à ce domaine les résultats obtenus ailleurs,
mais ce n'est là qu'une hypothèse de travail. Un cas particulièrement délicat est celui
des signes qui n'ont pas partout la même valeur. Les choix opérés doivent rester
cohérents.
Voici quelques exemples des difficultés que soulèvent les transcriptions de M.
Alvarez Delgado:
-t+ Trois signes différents sont successivement transcrits par y (pp. 24, 27):v1
(n° 1), W (n° 10, 12), 111 (j par suite d'une erreur du typographe? N° 6/lettre du
haut), sans que l'auteur commente cet emploi de trois lettres avec la même valeur
( non précisée) y. De plus, c'est y ou i, et non plus y, qui apparaît dans la lecture
berbère des mêmes inscriptions, telle que la propose M. Alvarez Delgado. Pour les
n°s 3 et 6 (3e lettre), 11 \ est rendu par y, non par y.
Il y a discordance entre la fig. 46, texte 8, et la transcription donnée p. 28: l'une
compte six lettres, l'autre sept, et leur relation n'est pas claire.
Le signe 11 est transcrit par Z dans le n° 9. Or il ne possède cette valeur que
lorsqu'il est perpendiculaire à la ligne d'écriture (cf. n° 11). Parallèle à cette ligne, il
note en libyque «oriental» et en touareg ancien le phonème w, que le touareg
moderne rend par les deux points · ·· Les inscriptions de Mauritanie connaissent à la
fois 11 et · ·, de même que notre document n° 9, très altéré il est vrai. S'agit-il de
lettres distinctes ou de variantes d'une même lettre?
2.3. Analyse des textes: L'analyse de textes aussi mal établis est forcément
problématique. On peut la tenter à partir de données berbères, mais il faudrait
77
© Del documento, los autores. Digitalización realizada por ULPGC. Biblioteca, 2017
l'étayer d'une série d'exemples ( c'est ainsi qu'on reconnaît en toute sécurité, dans les
graffiti récents, la formule «C'est moi, un tel, qui dis ...» ) ou de précisions d'ordre
culturel, religieux, etc. Les traductions présentées dans Tabona ont un caractère
«gratuit». Certes, tout est possible dans les graffiti, mais pourquoi quelqu'un aurait-il
écrit «il est suspendu» (n° 1), «il rit» (sur une tombe!) (n° 2) ou encore «j'ai parlé
doucement» (n° 11)? Pourquoi le texte n° 1 devrait-il être lu de haut en bas, à
l'inverse des autres? Ce sont là des jeux avec le dictionnaire.
Les exemples berbères ne sont pas toujours sûrs: le verbe *gallas «parler
doucement» (n° 12) n'est pas attesté en touareg, le P. de Foucauld ne donnant que
le dérivé en s-, normal pour une notion de ce genre et pourvu d'un sens très précis
(Dictionnaire touareg-français, 1, p. 442): il s'agit de parler en modifiant certaines
articulations; - le nom berbère du vent, acf,u, ne comporte pas de -t final,
contrairement à ce qu'impliquerait la lecture proposée pour le n° 12.
Tout en saluant la tentative de M. Alvarez Delgado, on peut donc craindre que sa
présentation ne crée chez le lecteur une dangereuse illusion.
3. L'étude épigraphique publiée dans Tabona 2 n'en est pas moins utile. Il était
important de faire connaître des documents inédits et parfois menacés d'une
destruction irrémédiable (v. Nowak-Ortner, p. 63, § 20). Même incompris, ces
textes suggèrent diverses observations:
a) Comme le remarque Tabona 2, p. 63, ils se divisent en deux catégories: les uns
(n° s 10, 11, 12) sont peints en rouge sur une paroi rocheuse, les autres (n° s 1 à 9)
sont gravés par piquetage sur des monolithes.
b) Deux tombes séparées par une distance d'un kilomètre portent la même
inscription (n° 1 et fig. 43, A et C).
c) Les documents considérés n'appartiennent évidemment pas à l'épigraphie
libyque classique, mais ils se distinguent également des graffiti récents ( emploi des
lettres 11 et 111, absence de la formule awa nak «c'est moi ...» ).O n sait du reste que
la région n'est plus berbérophone.
d) Un sondage m'a montré que tous les signes employés ici sont présents dans les
inscriptions copiées en Mauritanie par M. Monod, sauf peut-être la lettre I (n° 2),
dont l'unique exemple est douteux. Ici comme en Mauritanie, l'écriture associe des
lettres qui pourraient passer pour anciennes ( 11, 111) et d'autres ( ··, ···) qui paraissent
plus récentes.
e) Un rapprochement plus précis est suggéré par le texte n° 6, dont la séquence
initiale ... Q 111 se retrouve plusieurs fois en Mauritanie ( où l'on rencontre aussi
··· · OIi I: v. Monod, pp. 99, 101, 103; en particulier le n° 1859, p. 99, qui ressemble
beaucoup à notre n° 6: .... 111 +o ... 0 Il 1). G. Marcy (dans Monod, P· 98) lit
cette séquence griy «j'ai». Quoi qu'on pense de sa traduction, la présence d'une
même formule sur des blocs ou sur des roches de la Mauritanie et sur le monolithe de
Gleibat Ensur confirmerait les doutes exprimés par M. Alvarez Delgado, pour qui le
texte n'est pas nécessairement lié à la fonction du monument (p. 63) Peut-être
est-ce pour cette raison que chacune des inscriptions du monolithe a été étudiée
isolément, sans référence à ses voisines: on n'a pas envisagé, semble-t-il, que ces
textes puissent constituer un ensemble.
78
© Del documento, los autores. Digitalización realizada por ULPGC. Biblioteca, 2017
4. Nouvelle inscription de Leyuad:
En août 197 5, M. H. Nowak a découvert dans une station qu'il nomme Leyuad VI
(à ajouter à Nowak-Ortner, p. 67) une inscription dont je lui sais gré de m'avoir
donné la copie, que voici:
U 0
+ 0
0 UI f\J
Il Il Il
Il s'agit à nouveau d'un texte peint en rouge. «In der gleichen Farbe, m'écrit M.
Nowak, gab es auch Menschendarstellungen ahnlich dem Fundplatz Abrigo del
Capitan Justa (in Felsbilder der spanischen Sahara, Abb. 208-210)».
Le signe o est connu de l'alphabet libyque «oriental», où il note s, et de
l'écriture touarègue actuelle, où il peut noter s (A. Basset). Il n'apparaissait pas
jusqu'ici, semble-t-il, dans le Sahara occidental, sauf peut-être, mais avec une autre
orientation, dans l'inscription n° 3 de Gleibat Ensur (v. plus haut): encore la lecture
est-elle douteuse.
La lettre du haut de la deuxième ligne fait difficulté et demande à être revue.
Le fait que les trois lignes de l'inscription commencent par 11 suggère qu'on
pourrait être en présence de noms de personnes ou de tribus précédés de l'élément w
« fils de». La notation de w par 11 ( et non par .. ) serait un trait ancien. Mais dans
l'hypothèse envisagée la ligne 2 ferait à nouveau difficulté en raison de sa brièveté.
La découverte de M. Nowak confirme en tout cas l'intérêt épigraphique que
présente la zone méridionale de l'ancien Sahara espagnol.
REFERENCES
BASSET A., «Ecritures libyque et touarègue», Articles de dialectologie berbère, Paris, 1959,
167-175.
GALAND L., «Die afrikanischen und kanarischen Inschriften des libysch-berberischen Typus:
Probleme ihrer Entziferung»,Almogaren, IV/1973, 1975, 65-79.
GALAND L., «L'inscription libyco-berbère de Loma de Aasli (Seguiet el-Hamra), Almogaren,
IV/1973, 1975, 81-90.
MONOD Th., Contributions à l'étude du Sahara occidental, Fasc. I, Gravures, peintures et
inscriptions rupestres, Paris, 1938, 157 pp., VIII pl.
NOWAK H.-ORTNER S. und D., Felsbilder der spanischen Sahara, Graz, 1975, 72 S., Tafeln
(Abb. 49-210).
PELLICER CATALAN M. - ACOSTA MARTINEZ P. - HERNANDEZ PÉREZ M. S. - MARTIN
SOCAS D., «Aportaciones al estudio del arte rupestre del Sahara espaiol (zona meridional)»,
Tabona, La Laguna, 2, 1973-1974, 91 pp., XXIV pl., 46 fig., 1 carte h.-t.
P.S.: Depuis la rédaction de ce travail, l'inscription de Leyuad a été signalée par H. Nowak, «Neue
Felsbildstationen in der Spanischen Sahara», Almogaren, V-Vl/1974-75, p. 147 et p. 158,
fig. 15.
79
© Del documento, los autores. Digitalización realizada por ULPGC. Biblioteca, 2017