DECOUVERTE ES CARTOGRAPHIE:
CANARIES, MADERES, ACORES, CAP VERT,
ILES DU GOLFE DE GUINÉE
CHARLES VERLINDEN
La prerniere carte sur laquelle apparaissent certaines des Iles Canaries
est la mappemonde dessinée en 1339 a Majorque par Angelino ~ulcertl.
Elle est tres clairement datée et signée: «Hoc opus fecit Angelino Dulcert
anno M°CCC"XXXIX" de mense augusti in civitate Maioricharumn, c'est-i-dire
a Palma de Majorque. 11 y figure une dnsula de Lanzarotus Marocelus»,
i'aaueiie Lanzarote, une «La torte ventura» aauellement Fuerteventura, et
une petite ile rocheuse «Vegi Marini, l'actuelle Lobos. Cette carte se trouve a
la Bibliotheque Nationale a Paris et a été signalée pour la premiere fois par
E.T. Hamy en 1886~E. lle présente une grande analogie avec une carte Iégk-rement
antérieure, celle d'Angelino Dalorto, que l'on considere générale-ment
comme génoise et qui est signée et datée: Hoc opus fecit Angellinos de
Dalorto. Anno domini MCCCXXX de mense martii composuit hoo. De
grande importane pour notre recherche est le fait qu'en 1339 la carte Dul-cert
présente trois Canaries, tandis que en 1330 la carte Dalorto n'en con-nait
encore aucune. Un certain nombre de raisons me persuadent de ce que
nous avons affaire a un seul cartographe, auteur des deux cartes. Tout d7a-bord
rien dans la datation de la carte de Dalorto, ne dit qu'il était génois,
mais le nom est nettement italien. Les deux cartes sont tout a fait de meme
nature, cornme on le voit tres bien si Pon en juxtapose las photographies; ce-lle
de Dulcert est cependant d'une exécution plus serrée et plus nette. Le
nom Dulcert est netternent catalan, ce qui est tout a fait normal s'agissant de
Majorque. Comme cette carte est la premiere dont on sait avec certitude qu-
'elle a été dessinée a Majorque par un cartographe poaant un nom catalan,
ce n'est pas une hipothese d'admettre que le nom Dalorto est une déforma-l.
Reproductions dans Bon N. NORDENSKIOLD, Pe+lus. An easfy on tbe early bistory
ofchart~ra nd sazlzng-directions (Stockholm, 1897). PI. XVIII-XIX, et Prince Youssouf KA-MAL,
Monumentaccartog~apbicAaf nFae et Aegypti (16 t., Le Caire, 1926-195l ), t . IV, 11, 1222.
2. La mappemonde d7Angelino Dulceert de Majorque (1339) (Bulletin de géographie his-torique
et descriptive, 1886, pp. 254 sqq.).
tion de Dulcert, et que le Majorquin Dulcert est allé apprendre son métier
en Italie, ou on l'appelait Dalorto. Ceci établit en outre une filiation toute
naturelle entre la cartographie italienne, qui est incontestablement la plus
ancienne, et la cartographie catalane qui a connu k Majorque et avec Dulcert
sa premiere origine. 11 faut ajouter qu'aussi bien sur la carte connue sous le
nom de Dalorto que sur celle de Dulcert apparaissent les armes de l'Aragon,
ce qui est normal pour un Majorquin, mais pas pour un Italien. Un autre ar-gument
encore pour i'unicité de l'auteur des deux cartes est l'emploi sur tou-tes
deux de la meme curieuse et rare datation de mois: de mense (augusti ou
martii). G. de Reparaz s'est demandé autrefois si Dulcert n'était pas un Ita-lien
qui travaillait a Majorque3. Apres ce qui précede il est évident qu'il est le
fondateur majorquin de l'école cartographique majorquine, mais qu'il a été
formé a Genes, ville avec laquelle il continua a entretenir des rapports com-
I T ? ~I? C\'IS !e verrms ellare.
Toutes les cartes du XIVe sikcle antérieures a 1330 sont italiennes. Ce
sont d'abord la carte dite pisane de 1300 environ a la Bibliothkque Nationale
a Paris qui est probablement génoise; puis la carte de Giovanni da Carignano
vers 1306 qui est incontestablement génoise puisqu'elle portait iinscription
suivante avant sa destruaion pendant la seconde guerre mondiale: «Presbiter
Johannes, rector Sanai Marci de portu Janue me fecit)). Ce curé génois a
aussi écrit en 1306 una dissertation sur l'Ethiopia d'aprks les renseignements
fournis par un ambassadeur éthiopien qui s'était rendu a la cour pontificale
JAvignon et avait fait retour a son pays en passant par Genes. Ces reseigne-ments
ont été incorporés dans la carte et la datent. 11 s'agit d'une carte qui
combine le portulum cotier avec des indications sur l'hinterland, comme
dans les mappemondes. La carte de Dulcert est du meme type combiné et
comprend deux légendes sur PEthiopie, qui procedent de Carignano, preuve
de plus des années d'apprentissage passées a Genes par notre Majorquin.
Ensuite vient Pietro Vesconte, de qui l'on possede des cartes et des
arias de i3li, i313, i318, i 320. i'atias de 1318 coiitierit une tabie astro~io-mique
signée «Petrus Vesconte de Janua fecit istam tabulam in Venecia anno
Domini M0CCC"XVIII".» Cest sous l'influence de Vesconte que nait une
3. Les sciences géographjques er astronomiques au XJVe si2cle dans le nord-esr de la Pé-ninsule
Ibérique et leur origine (Archives internationales d'histoire des sciences, 1948) p. 460.
On peut voir aussi une preuve de ce que Dulcert a traduit son norn en iralien a Genes. dans le
fait que la forme qu'il en donne esr incorrecte en iralien. 11 s'appell en effet. de Dalorto sur la
carte de 1330. c'esr-a-dire que son nom comporte deux génitifs cumulatifs et inutiles de et dal.
Un Iralien n'aurait pas fait cette faure.
école cartographique vénitienne attestee par les cartes du minorite Paolinus
de Venetiis vers 1320 et du «Liber Secretorum Fidelium Crucis)) de Marino
Sanudo en 1321. L'école vénitienne est donc &origine génoise tout comme
la majorquine.
Fermons cette parenthkse vénitienne et retournons a la carte de Dul-cert.
Comment a-t-il connu la découverte de trois Canaries rapportées sur sa
carte de 1397. Une fois de plus, par ses rapports avec Genes, commes nous
allons le montrer.
En 1317 le roi Denis de Portugal avait fait du grand marchand génois
Manuel Pessagno i'amiral de sa flotte4. Pessagno devait toujours tenir a la
disposition du roi de Portugal vingt Génois ((sabedores de mam. L'un d'entre
eux, Lanzarotto Malocello, découvrit en 1336 ou tres peu auparavant, préci-sément
les trois iles canariennes fiyrant sur la carte de ~ u l c e r t ~Ce. l ui-ci
avait que Malocello était génois puisqu'il a dessigné sur Pile de Lanzarote,
qui porte le nom du découvreur, la croix de Ghes en rouge. Mais il ignorait
que Malocello se trouvait au service du Portugal.
Au Portugal la position des Génois était alors si forte que Parniral gé-nois
Manuel Pessagno avait r e p du roi tout un quartier de ~i sbonneC~'.e st
de cette base que partit en 1341 une seconde expédition portugaise égale-ment
conduite par Pun des Génois de Pessagno, Nicoloso de Recco. Cette
fois tout Parchipel fut parcouru, comme on Papprend par une lettre de mar-chands
florentins établis a Séville, envoyée ii Florence et conservée dans la
Miscellanea B.R. no 50 de la Biblioteca Nazionale de cette ville7. Le ler juin
1341 les trois navires de Niccoloso de Recco quittkrent Lisbonne et atteigni-rent
l'archipel canarien en cinq jours, ce qui prouve que la route ?sui ivre
était déja, connue. 11 s'agissait pourtant du premier voyage aprks celui de
Lanzarotto Malocello, cinq ans plus tot, car les Canaries s'appellent encore
«eas insulas quas vulgo Repertas dicimusn et n'ont pas encore r e p le nom
r n i r r 1-ni--1 -lLr c e ~ n n Pt T \ ~ ~ . I P C n1-IP + n r A 7 \ T ; r r n l r \ ~ nn l i r ; LmPme i n L r m A lnr O""., "'1"" ""U U"""& W l l " " r U y"., LLLIU. L.lrr"I"CI" LL I L U - L I I b I I I b I11IVI111b 1-0
marchands florentins-dont la lettre nous fait connaitre son expédition. Une
4. C. VERLINDEN, Les Génois dan^ la makeportugaise avant 1385 (Congresso de Por-tugal
mediwo. Actas, t. 111, Braga, 1966, pp. 388-407).
5. C. VERLINDEN, Lanzarotto Malocello et la découverte portugaise des Canunes mevue
belge de Philologie et d'Histoire, t. XXXV, 1958, pp. 1173-1209); La découverte desarchz$els
de la aMéditeranée atlantique» (Cananes, Madere~A, pores) et la navigation astronomique pri-mitive,
(Revista Portuguesa de Historia, t. XV, 1976, pp. 105-131).
6. J. Martins da SILVA MARQUES, Descob7i?nientosportugueses, t. 1 (Lisbonne, 1944) p.
28: dipl6me du Ier février 1317.
7. Publié dans SILVA MARQUES, op. cit., p. 77.
premiere ile était dapideam omnem atque silvestrem», habundantem tamen
capris et bestiis aiiis atque nudis hominibus et mulieribus, asperis cultu et
ritux Puis les découvreurs touchkrent une autre ile «aliam insulam fere
maiorem)), ou ils n'oskrent pas débarquer par suite de la masse d'indigknes
qui couvrait la plage. Une troisieme et une quatrieme n'étaient pas habitées
et une cinquieme présentait dapidei montes excelsi nimis et pro maiori tem-poris
parte nubibus teai et in ea pluvie crebre)). Treize autres iles, dont six
habitées, furent encore vues, mais il doit s'agir aussi d'écueils roucheux puis-que
les Canaries ne se composent en tout que de douze iles véritables, notta-ment
Ferro, Palma, Gomera, Ténérife, Gran Canaria, Fuerteventura, Lanza-rote,
Graciosa, Alegranza, Santa Clara, Lobos et Rocal d'ouest en est, que les
navigateurs de 1341 aborderent selon toute vraisemblance en ordre exacte-ment
opposé. Une des iles est décrite de la facon suivante: (unsuper et aliam
insulam in quam non descendemnt, nam ex ea mirabile quoddam apparet;
dicunt enim in hac montem consistere altitudinis pro existimatione XXX
milia passuurn seu plurimum qui valde a longe videtum C'est naturellement
le Pico de Teyde a Ténérife dont l'altitude réalle atteint 3.718 metres. Une
seule ile porte un nom dans le texte, notamment Canaria, mais il est difficile '
de déterrniner s'il s'agit de l'aauelle Gran Canaria ou d'une autre ile.
Toutes ces notions et de nombreuses autres en plus, comme nous ve-rrons
bientot, se retrouvent d a n ~l'A tlas médicéen de la Bibliothkque Lau-rentienne
a Florence. Cet atlas est tres probablement un travail génois qu'il
faut dater de 1351, parce qu'il contient un calendrier lunaire qui commence
a cette année. Lorsque l'on suit, de haut en bas et trks au large de la cote oc-cidentale
de l'Espagne, une série d'iles dessinées sur l'une des cartes, on
trouve d'abord une dnsula de Corvis marinis)), puis une ~Insulad e Ventura
sive de Columbis)), plus bas une dnsula de Brazi» et une dnsula de Cabrera)).
Cette nomenclature est singuliere car elle comprend aussi une iie légendaire,
Brazi, qui n'est rien de moins que l'Ile des Bienheureux de la tradition celto-irlandaise
qui remonte au haut moyen-gge et apparait déjá bien avant le
XIVe siecle dans les mappemondes peu scientifiques de la cartographie mo-nastique
anglaise et allemande. L'lnsula de Vmtura est une projeaion beau-coup
trop sePt&tionale de l'une des Canaries que Dulcert connaissait déja,
c'est-a-dire Fuerteventura qui, ici, s'appelle aussi &sula de Columbis)). Or, la
quatrikme ile vue par Nicoloso La Kecco en 1341 est décrite par lui de la fa-con
suivante: «inde ad aliarn navigantes eam rivis et aquis optimis copiosam
invenemnt et in aedem liga plurima et palmbes, quos baculis et lapidibus ca-
piebant et commedebant, invenerunt. Hos dicunt maiores nostris et gustui
tales aut meliore~))O~.n se rappelera qu'en 1341 il est question aussi de
chevres vivant sur la premiere ile recontrée. De la, sans aucun doute, dnsula
de Cabrera)) de la carte de 1351. 11 reste le nom inscrit le plus haut: dnsula
de Corvis marinis)) sur lequel nous reviendrons. Ce qui est plus curieux, c'est
que, a c6té des deux iles indubitablement canariennes que nous avons men-tionnées,
on trouve a la hauteur de la c6te de 1'Afrique du Nord-Ouest l'arc-hipel
bien locaiisé de Canaries avec ((Lalegranza, Insula de Lanzarote, Insula
de Vegimarin, Insula de Forteventura, Canaria, L'Inferno, Corvi, Insula sen-za
Ventura, Insula de Liparmen Fuerteventura est donc tripliquée sur cette
carte sous les noms Insula de Ventura, Insula de Forteventura et Insula sen-za
Ventura. Allegranza se trouve en avant de Lanzarote, que Dulcert en
1339 connaissait déja, en meme temps que Fuerteventura et Vegimarini, et
ce par suite du voyage de Lanzarotto Malocello en 1336. Canaria est men-tionnée
dans la lettre de 1341 a propos du voyage de Niccoloso de Recco.
L'Inferno est Ténérife a cause de la présence sur cette ile du volcan Pico de
Teyde, qui a fait une si grande impresion a Niccoloso. Liparme est La Pal-ma,
avec un rotulisme typiquement génois (parme pour palme). Reste ~ o r v i
qui ressemble a ((Insula de Corvis Marinis~ tout fait en haut, sans doute
une dfipiication sur laquelle nous reviendrons. Le plus frappant est, toute-fois,
qu'en 1351 apparait tout l'archipel des Madhres, et ce tres correaement,
avec Porto Sanao (Porto Santo), Isola de Legnarne, le nom italien pour le
portugais Madeira, «legname» et «madera» signifiant tous les deux (&mis», a
cause, a ce moment, de la forte végétation arborescente de I'ile.
Pouvons-nous comprendre tout ceci a travers le voyages qui ont été en-trepris
entre-temps, c'est-a-dire de 1341 a 1351?
Apres les deux expéditions portugaises sous commandement génois de
1336 et 1341, deux voyages aux Canaries ont été organisés a Majorque. Le
16 avril 1342 Francisco Desvalers reqoit un brevet de capitaine pour le pre-mier9,
et le 26 avril il en est de meme de Domingo Guyal pour le secondlO.
Tous deux devaient se rendre aux «ylles noveylament trobades a les parts de
ponent)), ce qui est la meme formulation que celle de la lettre de 1341 a pro-pos
du voyage de Niccoloso da Recco et prouve, par dessus le marché, que la
8. SILVA MARQUES, op. cit., p. 78.
9. F . SFRRA RAFOLS. El'derc-lhrimientn y hr viayer mcdievaler de b s catalanes en las Is-las
Afortzrnadas (Santa Cruz de Tenerife, 1926), doc. 1.
10. Id.: Los Mallorquines en Cana&s, (Revista de Histoiia, La Laguna, t. VII, 1950-51),
doc. 1.
source d'information est la carte de Dulcert de 1339, elle-meme informée
par le voyage de Lanzarotto Malocello de 1336. Les deux voyages major-quins
n'ont pas eu de suite poiitique parce que le royaume de Majorque, gou-verné
par une branche latérale de la maison d'Aragon disparait précisément
I'année d'apres, en 1343, apres la bataile de Luchrnayor qui le rattacha au
royaume d'Aragon.
Le pape Clément VI également est informé vers le meme moment et
donne les nouvelles iles en fief a l'infant castillan Luis de la Cerda par una
bulle du 15 novembre 1344". La cour d'Avignon n'était, toutefois, pas tres
bien au fait des découvertes des années précédentes, comme on le voit par
les noms fantaisistes des dix iles qu'énumere la bulle. Quelque chose avait fil-tré
jusqu'a Avignon des informations contenues dans la lettre de 1341 con-cernant
l'expédition de Niccoloso da Recco. Les iles sont, en effet, situées
assez correctement et divisées en habitées et inhabitées comme dans le texte
de 1341: «in mari occeano inter meridiem et occicientem sunr. queciam insu-le,
quarum alique habitate, alique ver0 inhabitate fore noscuntun). Les noms
sont un curieux mélange de deux noms provenant de la lettre de 1341 (Ca-naria
et Capraria) avec sept noms fantaisistes de tradition classico-mediévale
et, pour finir, i'adjonaion d'une ile méditerranéenne que nous n'avons pas a
identifier ici a aleta)'^.
Le pape fit savoir a Pierre IV d'Aragon, a Alphonse XI de Castille,
Alphonse IV de Portugal, Phiiippe VI voi de France, au prince du Dauphi-né,
ii la reine de Naples et a Simon Boccanegra, premier doge de Genes, qu'il
avait inféodé les Canaries a Luis de la Cerda. Le roi de Castille qui entrete-nait
de mauvais rapports avec les infants de la Cerda, susceptibles de se po-ser
en prétendants, protesta contre Pinféodation. Le roi de Portugal en fit
autant, mais pour le motif que les iles avaient été découvertes par des navi-gateurs
qui se trouvaient a son service. Ni en 1336, ni en 1341 il n'y avait eu
prise de possession au nom du Portugal, car les voyages de Lanzarotto Malo-cello
et de Niccoloso da Recco étaient des expéditions d'exploration. La pri-se
de possession eut iieu en 1370, ou peu avanr, au nom ciu Portugai par
11. A.J. DIAS DINIC. MonumentaHenncina, 1 (Coimbra, 1960), pp. 207-214.
12. «que in communi nominantur Insule Fortunate, quamquam earum quolibet proprio
vocabulo, ut sequitur inferius. sint distincte; quodque alique insule eisdem adiacent. quedan
ver0 alia est in mar¡ medirerraneo situata, quarum omnium prima Canaria. alia Ningaria, ter-cia
Plumaria, quarta Capraria, quinta Junonia. sexta Embronea, septirna Athlancia, octava Es-peridum,
nona Cernent, decima Gorgodes et illa que est in Mari Mediterraneo, Galeta vulgari-ter
nuncupantur)) (Monumenta Henricina, t. i., p. 208 sq.).
Lanzarotto Malocello, le découvreur de 133613. Celui-ci, qui avait dans I'en-tretemps
servi la France, fit construire a Lanzarote un chiteau fortifié que
retrouverent plus tard Jean de Béthencourt et Gadifer de la Salle, et tenta
aussi de s'emparer de Gomera dans la partie occidentale de l'archpel. En
1376 il entra en conflit avec les Castillans du Biscayen Martin Ruiz de Aven-daño
a ~ a n z a r o t eelt~ i l dut abandonner Gomera. En 1385 il fut tué ii Lan-zarote
par les indigwies. Huit ans plus tard, ceux-ci furent fort malmenés par
une escadre castillane qui s'empara du roi et de la reine de l'ile et ramena un
nombre considérable d'esclaves á Séville. La route était ouverte pour la prise
de possession castillane en 1402-1403 par l'intermédiaire des aventuriers
normands Jean de Béthencourt et Gadifer de la Salle, dont le premier devint
vassal du roi de castillel 5.
11 y a donc eu pas mal de mouvement autour de I'archipel canarien a
partir de 1336. Ce mouvement était international puisque y partkipaient des
Génois au service du Portugal, des Majorquins, des Castillans, des Franpis
au service de la Castille. Cette activité maritime se manifeste a i'aide de navi-res
fort différents des galeres méditerranéennes. Déja en 1341 Niccolosso da
Recco dispose de deu naves et d'une navida minuta. Que i'archipel des Ma-
Seres ffit connu des 1351 ne doir pas surprendre si ión songc aux transior-mations
nautiques qui en rendirent possible la découverte. La caravelle por-tugaise,
au XIIIe siecle un bateau de eche cbtier, devint au XIVe, par croi-sement
avec la nave génoise, le navire des Grandes Découvertes. Ce vais-seau
amélioré permettait de revenir beaucoup plus vite qu'auparavant des
Iles Canaries en mettant le cap plus a l'ouest, en plein océan, ou I'on em-pmtait
l'alizé d'ouest, ce qui entraha presque automatiquement la décou-verte
des Maderes d'abord, des Asores ensuite. In n'y fallait pas d'instru-ments
nautiques sophistiqués. 11 ne s'agissait que de vents, maitrisés par la
navigation a i'estime, et de navigation astronomique primitive. A i'époque
des Grandes Découvertes la navigation astronomique, on le sait, se limite i
la détermination de la latitude. La longitude ne suivit qu'au XVIIIe siécle.
Dans l'hémisphkre septentrional oh eut lieu la découverte des archipels
atlantiques, cornrne d'ailleurs celle de l'hérique qui en fut la continuation,
13. Monumenta Henricina, t. i.. pp. 245 sq.
14. F. PEREZ EMBID, Los descud~mientosep z e6Atlá~ticoy k nvalidadcuste66apzo-portu-ga/
esu hasta el trotado de TordesiLlus, (Séville, 1948) p. 95.
15. Le 23 novembre 1403 le roi de Castille appelle Béthencourt eMosen Johan de Bétan-court,
señor de las islas de Canaria, mi vasallo» (Fontes Rerum Canariomm, t. VIII, p. 416,
no 79).
la hauteur de l'étoile polaire fournit avec une grande approximation la latitu-de.
Quand l'horizon est clair, ce qui arrive frequement quand souffle l'aiizé,
on dispose du temps nécessaire pour prendre la hauteur lorsque les étoiles
sont déja ,visibles et que l'horizon est encore assez net. Lorsque la distance
angulaire a partir de Phorizon ne dépasse pas une quinzaine de degrés, com-me
c'est le cas dans la zone des archipels de la «Méditerranée atlantique))
(Canaries, Maderes et Asores), l'appreciation d'une différence d'un degré
peut se faire a Poeil par un marin qui en a l'habitude, c'est-a-dire un marin
sans instruments qui navigue a l'estime, que ce fiit autrefois ou de nos jours.
Ce marin savait qu'en prolongeant les deux roues arrieres du Chariot de la
Grande Ourse on tombe sur la polaire. L'inclinaison de cette ligne lui don-nait
une différence qui était celle entre la position de la polaire et le $le
réel. De plus, d'autres étoiles donnaient au marin, habitué a des parcours dé-
---.--.. LLLIII;II¿J, des repaires de &rection.
Que les Madkres et les Asores furent découvertes au XIVe siecle est
également prouvé par l'évolution de la cartographie. Pour les Maderes nous
le savouns déja griice a l'Atlas médicéen de 1351.
La carte des freres Dominico et Francesco Pizzigano de 1367 a la Bi-b
i ; ~ t ~ h&Pm&it~if ie & Pz-rme est cfi t~avai!V enitien niii r~nrnrliiitm 01 r e
7-- - &"r&"--- LA....
que PAtlas Médicéen montre mieux en ce qui concerne les Canaries et les
Maderes. Plus singulikre est une dnsula de Brasin) dont la position relative
correspond a peu pres a celle de Terceira dans les ~ ~ o r e sOln~ se. rappellera
qu'en 1351 on trouvait encore une «Insula de Brazh qui n'était que la conti-nuatione
de l'fle légendaire des Bien-Heureux de la tradition celto-irlandaise
du haut moyen 2ge. On se trouve ici en présence d'un phénomene fréquent:
celui de la concrétisation progressive d'éléments légendaires, phenomene
dont Pexemple le plus frappant est Antilia ou l'Ile des Sept Cités qui se con-crétisa
avec le temps dans le monde insulaire des Grandes et Petites Antilles. . .
Nous en arrivons a présent a la mappemonde du Majorquin Abraham
Cresques de 1375. Ici nous rencontrons, le plus vers le haut dans POcéan
Atlantique, et groupées: Insul'a de Corvi marini et Li Conigi. PPu, également
groupées, San Zow, Insul'a de la Ventura, Li Columbi et lnsula de Brad. D'a-pres
la position il est évident que nous avons affaire aux Asores. Le grand
historien allemand de la cartographie Konrád ~retschrner" identifie Li Co-nigi
a Flores, Ventura a Fayal, Li Columbi a Pico et Brad a Terceira. Toute
16. J. CORTESAO: Histoq ofPortuguese cartography, t. 11, (Coimbre. 1971) p. 43.
17. Die Italienische Portolane des Mittelalters (Berlin, 1901). pp. 686 sq.
cette nomenclature est italienne sur une carte catalane. En outre, la forme
San Zorzo est spécifiquement génoise et St. Georges est un saint tres vénéré
a Genes, qui donna-notomment son nom au Banco di San Giorgio, lequel fi-nancait
a Genes les entreprises coloniales au Levant et joua fréquemment un
r6le dans les aspects économiques des entreprises génoises au dehors, ou que
ce fut. Déja sur la carte de 1351 apparait la forme spécifiquement génoise
«Liparme» pour «La Palma)) dans l'archipel canarien. La source de Cresques
pour les Asores, et déja celle du cartographe de 1351, est donc siirement gé-noise.
Nous pouvons conclure que la découverte a eté génoise, mais qu'elle
fut l'oeuvre de Genois au service du ~ o r t u ~ aLle. Génois Manuel Pessagno
a, en effet, été amiral du roi de Portugal de 1317 a 1340. 11 eut comme suc-cesseurs
ses fils Carlo, Bartolomeo et ~anzarotel*C. e dernier fut amiral sous
Pierre 1 de 1356 a 1365, puis a nouveau, sous le roi Ferdinand, a partir de
1367. En 1370 ii possede toujours ie quartier de Lis'mnne que son +re avair
recu en 131 719. En 137 1 il recoit confirmation des possesions de sa famille a
Odernira avec la motivation suivante: «esguardando como Mice Lancarote
Pecanha, nosso vasallo e nosso almirante, a nosso padre e a nossa e casa de
Portugal fez sempre muitos e muy grandes servisos e obras de muy grandes
mericirnent~s»L~a~n.z arote a continué ii occuper la charge d'amiral jusqu'a
sa mort, probablement durant la premiere moitié de 1385. Tous ces ,Pesagno
-Pecanha au Portugal- devaient toujours tenir a la disposition du roi un
groupe de vingt Génois «sabedores de man). Apres ce que nous avons dit de
la nomenclature génoise de la carte catalane de 1375 il semble certain que
les ((grandes mericimentos)) de Lanzarote Pessagno et de ses collaborateurs
génois au Portugal visent, entre autres, la découverte des Acores. Celle des
Maderes doit certainement etre attribuée a des collaborateurs des freres ai-nés,
Carlo et Bartolomeo Pessagno, puisque l'archipel apparait pour la pre-miere
fois sur la carte de 1351 avec une nomenclature italienne (Legname
pour Madeira), nomenclature reprise également en 1373 dans l'atlas du juif
majorquin Cresques.
La nomenclature italienne persiste sur les cartas mejorquines de Gui-llermus
Soler de 1385, l'une a l'Archivio di Stato de Florence, l'autre a la Bi-bliotheque
Nationale a Paris. 11 en est de meme sur deux cartes catalanes,
18. L. BELGRANO. Docurnenti e genealogia dei Pesjagno Genovesi, arnmiragli de/ Por-togaíío
(Atti della Societi? ligure di Storia Patria. t. XV. 188 1).
19. SILVA MARQUES, op. cit.. t. 1, no 11 1, p. 123.
20. Ibid, no 124, p. 141.
l'une a Paris, Bibliotheque Nationale Ré. Gé. AA 751, l'autre k Naples, Bi-blioteca
Nazionale, toutes deux de la fin du XIVe siecle.
Un fait frappant dans la cartogrtaphie du XIVe siecle est l'absence de
cartes portugaises et castillanes, bien que les Portugais et les Castillans aient
joué un r6le important dans la premiere colonisation des archipels de 1'A-tlantique
oriental. Cette absence persista jusque fort tard dans le XVe siecle.
Des cartes ii mentionner brievement ici sont celles du Génois Frances-co
Becario de 1403 et années suivantes, notamrrent parce que certaines ont
été faites en collaboration avec maitre Jacme Ribes, nom chrétien du célebre
juif majorquin Jafuda Cresques, fils d'Abraham, l'auteur de l'atlas de 137j21,
qui passa peu apres au service du Portugal aupres de Henri le Navigateur, ce
qui marque la transition de la cartographie italo-majorquine vers la portugai-se,
comme nous le verrons encore. La carte de Nicolo de Pasqualin, faite a
Venise en 1408 et conservée a la National Aihliothrk de Vienne, yroi"ve y e
les Portugais cornmencent alors a s'intéresser eux-mkmes a Madere, puisque
cette ile y apparait pour la premiere fois sous son nom portugais de Madeira,
estropie, il est vrai, en Madiera. En effet, en 1425 se place une prise de pos-session
portugaise par Joio Goncalves Zarco et Tristio Vaz Teixeira, tous
deux au service de Henri le ~ a v i ~ a t e uPro~ur~ le.s Acores il en fut de mkme
quelques années plus tard, puisque, le 2 juillet 1439, Henri le Navigateur re-coit
la pennission de son neveu le roi Alphonse V de peupler sept des Ato-res,
o i i~l a vait fait transporter des moutons auparavantZ3.M ais, entre-temps,
la carte vénitienne de Zuane Pizzigano de 1424, de la James Ford Be11 Co-lleaion
de 1'Université du Minnesota, prouve que la navigation vers l'ouest
qui, au départ des Canaries, avait fait découvrir au milieu du XIVe siecle les
Maderes et ensuite les Acores, continua au XVe. A I'ouest des Acores appa-rait
désormais Antilia et une autre grande ile qui représente vraisemblable-ment
les Grandes Antilles, lesquelles furent déjk vraisemblablement vues
alors, mais atteintes seulement beaucoup plus tard, notarnment par Colomb.
La carte de Pizzigano présente également deux p i t e s ~ n t i l l e s P~e~ut.- &re:
21. R. SKELTON et SERRA RAFOLS, A contract for worldmaps at Barcelona 1399-1400,
(Irnago Mundi, t. XXII, 1969).
22. F. Machado dans A. BAIAO, H. CIDADE et M. MURIAS, Historia da expansáopor-tuguesa
no mundo, t. 1 (Lisbonne, 1937), pp. 276 sq.
23. SILVA MARQUES, op. cit., t. 1, no 36, p. 401. Sur ces prises de possession cf. C.
.-.......-v. 7 vnuiiuuriu , Fo7mesféoak'es et abmaniales aé íu coionisation portzlgaise dans la zone atian-tique
aux XIVe et XVe si2cles et spécidement sous Henn'le Navigateur (Revista Portuguesa de
Historia, t. IX, 1961, pp. 5-48).
24. J. CORTESAO, Tbe nuuticalcba7t of 1424 (Coimbre, 1954).
lors des premieres tentatives vers I'Amérique centrale encore inconnue et au
dela des Asores, des navires ont-ils été chassés vers le sud, le long de la c6te
africaine, jusqu'a la hauteur des iles du Cap Vert. Un archipel au sud des Ca-naries,
portant sur la carte de 1424 le nom de Himadoro, contribue a la ren-dre
vraisemblable.
Comment de pareilles informations ont-elles atteint Venise? Peut-etre
pendant le voyage de Hnfant Dom ~ e d r df,r ere ainé de Henri le Navigateur,
vers I'Europe occidentale et la ville des Lagunes, précisement vers ce mo-ment2'.
Peut-etre aussi via Jafuda Cresques le Majorquin qui était entré au
service du Portugal ves 142oZ6 et dont nous savons déja qu'il avait travaillé
avec PItalien Becario.
Ce Majorquin est considéré par les sources portugaises du temps com-me
le fbnditeur de la cartographie ptugaisZ7, bien que cela ai été nié par
certains historiens portugais trop chauvinistes. Ces auteurs prétendent qu'il
exista une école cartographieque portugaise bien avant la venue du Major-quin,
mais qu'on n'en a pas retrouvé de traces. En réalité on n'a pas fait de
cartes au Portugal avant 1443, cornme le provent des sources portugaises de
cette époque que nous allons commenter a présent.
Le 22 octobre 1443 PInfant Dom Pedro, régent du Portugal pour son
neveu mineur Alphonse V, émet un ordre de la plus grande importante pour
la détermination du début de la cartographie portugaise. Henri le Naviga-teur,
dit ce diplome, a envoyé ses navires au dela du Cap Bojador parce que
personne, jusque la, ne savait rien de ces régions, ni si elles etaient peuplées
ou non, puisqu'elles ne figuraient pas sur les cartes. Le Navigateur y envoya
bien quatorze expéditions. Au cours de deux d'entre elles 38 Maures furent
réduits en esclavage. Puis il fit dresser des cartesZ8. Ces informations, la
Chancellerie du Régent les a repes directament de Henri lui-meme, comme
le dit expressément le diplome. 11 ne peut donc y avoir de témoignage plus
n d ~c l;qr~ 1- r t o & o t t ~ k Jt o n r 1- &xrelnpFment de Cyflegr2pbiep flEgnl- y'-U'Y "U' A" "'"U" """"" ""U" A- u-' "'W
25. A. BANHA DE ANDRADE, Mundos Novos do Mundo. Panorama da &yus2o pela
Europa de noticias dos descob7imientosgeograficosportug11eses(L isbonne, 1972), pp. 17 sqq.
26. J. CORTESAO, History ofPortuguese cartography, t. 11, p. 93.
27. Duarte PACHECO PEREIRA, Esmerah'o de situ orbis (éd. R. Mauny, Centro de Estu-dos
da Guiné Portuguesa, no 19, Bissau, 1956), p. 88: &so mesmo (sc. Henri le Navigateur)
mandou 2 ilha de Malhorca por um mestreJacome~ mestre de cartas de marear, na qual ilha
primeiramente se fezeram as ditas cartas, e com muitas dadivas e merces ho ouve nestos reynos,
ho qual as ensinou a fazer aquelles de que os que em nosso tempo vivem aprenderami>. Il s'agit
de I'histoire la plus ancienne des découvertes portugaises le long des c6tes occidentales de
I'Afrique, écrite vers 1500,40 ans apr& la mort du Navigateur.
28. A.J. DIAS DINIS, Monumenta Henncisa, t. VI11 (1443- 1445) (Coimbre. 1967). p. 107.
se au moment du privilege, c'est-&-dire en octobre 1443. C'est la le temiinus
ad quem pour la confeaion de la prerniere carte portugaise. Le terminus a quo
est la date des expéditions au cours des quelles furent pris les 38 Maures. La
Cronica de Guine, terminée en 1453 par Gomes Eves de Zurara, contient
d'utiles indications sur les premieres réduaions en esclavage par les Portu-gais
sur la c6te occidentale de l'Afrique: 1443 y est indiqué comme l'année
ou fut atteint le nombre d'esclaves relevé dans le dip16me29.
11 est également question de cartes étabiies par ordre de Henri le Navi-gateur
dans les chapitres 76 et 78 de Zurara. Au chapitre 76 se trouve le pas-sage
dont je fais suivre i'excellente traduaion par le lusitaniste francais L.
Bourdon: «On se trompait encore sur la profondeur de la mer, car on indi-quait
sur les cartes que les &es étaient des plages si basses qu'i une lieue
des terres il n'y avait plus qu'une brasse d'eau. On trouva tout le contraire,
car les navires eurent et ont encore assez de profondeur pour naviguer, si
l'on excepte les bas-fonds et las seches de certains bancs, comme vous le ve-rrez
maintenant sur les cartes nautiques que l'lnfant a fait faire~~'.N ous
avons certainement affaire ici ii un stade plus avancé de la cartographie por-tugaise
naissante que celui dont il s'agit dans le dipl6me de 1443. 11 est vrai-semblablement
question ici du stade atteint a Pachevement de la chronique
de Zurara en 1453, comme le suggere le passage «comme vous le verrez
maintenant)). 11 n'est pas téméraire de penser qu'entre ces deux dates pas mal
de travail cartographique a été accompli. Non seulement, aprés dix ans, il est
question de plusieurs cartes des cbtes récemment expIorées, mais i1 nést pas
croyable non plus que des détails concernant la profondeur des eaux c6tieres
auraient été portées sur la prerniere carte ou fut dessinée la c6te au sud du
Cap Bojador, celle de. 1443.
C'est également de révision cartographique qu'il est question dans le
chapitre 78 de la chronique de Zurara 11 s'agit de la seaion cotiere atteinte
en 1446: «Et Pon constate, traduit Bourdon, que toute cette c6te va vers le
sud, avec beaucoup de pintes, ce que notre prince (sc. Henri le Naviga-taeur)
a fait ajouter sur la carte na~tique»~Sli. l'on s'en tient striaement au
texte de la chronique, qui constitue une sorte de joumai de la découverte, on
peut admettre que l'on a d'abord corrigé, en 1446 ou peu apres, le dessin de
29. C. VERLINDEN, Les débuts de la trazteportugazse en Áf?ique (Misceiianea Medioe-valis
in memoriam J.F. Niermeyer, Groningue, 1967, pp. 365-378), et Quand commenga la
ca7tographieportugaise (Revista da Universidade de Coimbra, t. XXVII, 1979, pp. 135-1 39).
30. Mémoires de 1'Institut francais dtAfrique noire, no 60 (Dakar, 1960) p. 214.
31. Ibid,p.220.
la c6te en tenant mieux compte des «pointes» qu'auparavant, donc probable-ment
en 1443. C'est plus tard, mais certainement avant l'achevement de la
chronique en 1453, que les indications concernant les profondeurs, dont il
s'agit au chapitre 76, auront été ajoutées.
11 n'y a aucun motif d'adrnettre qu'il a existé des cartes portugaises
avant celles mentionées dans le dipl6me de 1443 et dans les deux passages
analysés de la chronique de Zurara, et ce, quoi qu'en disent des auteurs chau-vinistes.
Que ces cartes ont pu etre confeaionnées grke a l'enseignement
que leurs auteurs avaient r e p de Jafuda Cresques de Majorque ne souffre pas
contradiction, comme on le savait tres bien au Portugal au temps de Duarte
Pacheco ~ e r e i r a11 ~s'a~g it ici de collaboration luso-majorquine, comme il y
avait eu antérieurement bien des exemples, mais alors dans la navigation et
la découverte, de collaboration luso-italienne.
Cette dernikre continue d'ailleurs tant dans la découverte que dans la
cartographie. A la fin de sa vie Henri le Navigateur eut deux excellents co-llaborateurs
italiens, le Vénitien Alvise da Ca da Mosto et le Génois Antonio
da ~ o l i ~ ~ .
Ca da Mosto a visité au printemps de 1456 les Iles du Cap Vea, notam-ment
Boa Vista et Santiago, et il a vu aussi Maio et Sal. En 1460 l'année de
la mort de Henri le Navigateur, Antonio de Noli a commencé l'occupation
et, en plus de iles vues ou visitées par son prédécesseur il a abordé aussi a
Fogo. En 1462 Diogo Affonso, écuyer de 1'Infant Fernand, fils adoptif et hé-ritier
du Navigateur a découvert les sept autres iles de l'archipel.
De ces découvertes on ne trouve aucune trace dans une carte portugai-se
qui nous serait parvenue, mais bien dans plusieurs cartes italiennes? Cela
n'est pas étonnant, comme nous le montrerons encore. Ce qui' l'est davanta-ge,
du moins a premiere me, c'est que.les découvertes le long de la c6te afri-caine
au sud du Cap Bojador dont il a été question sous les années 1443 et
suivantes, ont été rnises en carte par une main italalienne, tandis que les car-tes
portugaises dont nous avons parlé ont été perdues. ,
Cest, en effet, la carte de PItalien Andrea Bianco de 1448 qui nous fait
connaftre graphiquement les progres des Portugais le long de la c6te africai-ne
pendant les années précédentes Cette carte se trouve a la Bibliotheque
32. Cf. ci-dessus, no 27.
22 XI-La... --...,-: r X7'CDTTkTn'Ckl hT*A,...6 - " e -La - J . n + - - l n - . 2 + - l ; - - . a ..-n-. ;-,,
, J . "Vi , .,u, ccun-ci b. *ri.Lii*uri*i ,r u u r g u u r u i , , rr*urr,,ur"%? r r ,',"'"u ' "ur ' r r 'J uu , r ,vr r r
de la découverte et de la cohnisation portugaise sous Henn'k Navigateur (Le Moyen Age,
1958, pp. 467-497) et Antonio da Nolie a colonisa~ao das Ibas de Cabo Verde (Revista da Fa-cultade
de Letras, Lisbonne, IIIe ser. no 7, 1963, pp. 28-45).
Ambrosienne de Milan et porte la légende suivante: «Andres Bianco, Veni-cian,
comito di galia me fexe a Londra MCCCCXXXXVIII)). Nous avons
donc ici un travail exécuté a Londres par un officier de galere vénitien.
Lorsqu'elles naviguaient de Venise vers 1'Angleterre et, de la, en Flandre, les
galeres vénitiennes faisaient toujours escale pendant quelques temps a Lis-bonne.
C'est la que Bianco aura vu la carte portugaise qui représentait l'avan-ce
portugaise le long de la c6te africaine jusq'en 1 4 4 6 e~t ~qu e nous n'avons
pas. Du reste, cela n'est pas surprenant puisqu'elle n'était destinée qu'aux
gens de mer du Navigateur et ne pouvait ktre vue que par eux ou par d'au-tres
marins qui entraient en relation avec eux, ce qui a surement été le cas
p u r Bianco pendant son séjour a Lisbonne.
Nous avons noté déja que les voyages de Ca da Mosto et $Antonio da
Noli n'ont pas laissé de traces dans des cartes portugaises contemporaines.
Cela résulte de ce que la cartographie portugaise qui connut une prerniere ac-tivité
au cours des années 1443 et suivantes, ne nous est pas parvenue, mais
n'a pas évolué non plus plus avant apres Henri le Navigateur. Du moins en
fut-il ainsi jusqu'a ce qu'elle revive lorsque les découvertes reprirent leur élan
sous le roi Joao 11 (1481-1485). En 1483 parut, en effet, la prerniére carte
portugaise coniervée celle de Pedro Reinel, le fondateur de l'école portugaise
de cartographie qui allait atteindre un grand développement au XVIe siecle.
Nouvel exemple de collaboration, cette fois luso-allemande, puisque les Rei-nel,
qui formerent une véritable dynastie de cartographes, étaient originaires
de I'Allemagne méridionale.
La célebre mappemonde du moine vénitien Fra Mauro de 1460 dont
une copie se trouve a Venise a la Bibiiotheque de St. Marc, rapporte des
échos des découvertes de Ca da Mosto, lui aussi vénitien. A vingt deux ans,
en 1454, celui-ci, apres avoir participé déja a plusieurs voyages en Méditerra-née
et avoir été une fois en Flandre, voulut retourner dans ce dernier pays «a
fine di g ~ a d a ~ n a r m11 ~s'e~rn.b arqua sur le convoi réguiier des galéres pour
la Flandre qui quitta Venise le 8 aout 1454, et dacendo le nostre scale ne,
luoghi consueti)) atteignit d'abord l'Espagne, puis le Portugal, ou les vents
retinrent le convoi (muda) pres du Cap St. Vicent, résidence habituelle de
Henri le Navigateur, (un una villa vicina chiamata Reposeirm. L'Infant en-voya
des agents de recrutement a bord des galeres pour y trouver des colla-j4.
CÍ. ci-ciessus
35. R. CADDEO, Le navigazioni athtiche di Alvite da C.2 da Mosto, Antoniotto Uso di
Mare e Niccoloso da Remo (Milan, I928), p. 165
borateurs pour ses entreprises de commerce et de découverte. Le jeune Vé-nitien,
wedendo mi giovane e ben dispsto a sostenere ogni fatica, desidero-so
di veder del mondo, e cose che mai alcun della nazion nostra non avea
vedute, sperando eziam di doverne conseguire onore e u t i l e ~ a~c~he,t a sur
les galeres des marchandises convenant pour PAfrique et débarqua. L'Infant
Passocia alors avec un certain Vicente Dies de Lagos en Algarve, capitaine
$une nouvelle caravelle de 45 tonnes, et notre Vénitien se rendit avec lui au
Sénégal. Un second voyage partit aussi de Lagos au début de mai 1456~~.
Pendant ce second voyage le Vénitien fut chassé par la tempete au deli du
Cap Blanco et trouva, nous le savous déja, deux nouvelles iles. L'une h t at-teinte
en barque, l'autre approchée. Les membres de cette reconnaissance vi-rent
encore deux autres iles et soupconnerent qu'ii y en avait plus. Cétait,
nous le savons, l'archi-pl du Cap Vea. Fra Mauro qui mourut en 1459 n'a
plus été i meme de dessiner Parchipel sur sa carta, quoiqu'il semble certain
qu'il avait lu le recit de la «Prima navigazionen, celle de 1454. En effet, deux
dex nombreux commentaires ou legendes qui figurent sur sa carte en sont
inspirés. L'un dit «Nota che del Cavo Verde in suso non se vede la tram-montanm,
ce qui correspnd a un passage du chapitre XXXIX de la «Prima
navigazionen. Une autre inscription sur l'échange d'or contre du se¡ au Saha-ra
reflete le chapitre XII du meme récit. La découverte de Parchipel du Cap
Vea est décrite par Ca da Mosto dans la Seconda Navi9azione que Fra Mauro
n'a plus pu lire. ~a da Mosto a donné des noms a certaines iles: notando che alla pri-ma
isola dove dismontammo, mettemmo none hola di Buona Vista per esser
stata la prima vista di terre in quelle parti; e a questa isola che maggior ne
pareva di tutte quattro, mettemmo nome PIsola di San Jacobo, perche il gior-no
di San Filippo Jacobo venimmo ad essa a metter ancora». Boa Vista, puis-que
c'est son nom portugais, n'est pas mentionée dans le dip1Ome du 3 dé-cembre
1460 par iequei ie roi Aiphonse Y donne a i'néririer á'iienri ie Navi-gateur,
I%lfant Fernando, une série &les, parmi lesquelles celles connues
alors au Cap Vea; vlla de San Jacobo e Fellipe, ylha dellas Mayaes, ylha de
Sam Christovam, ylha ~ a n m11~ s'a~gi.t évidemment des quatre iles vues par
Ca da Mosto, mais l'une des deux auxquelles il donna un nom en a changé,
36. Ibiü., p. 169.
37. I&d.,p.260.
38. J. RAMOS COELHO, Alguns documentos do archivo nacional de Torre do Tombo
(Lisbonne, 1892), p. 27.
et les deux autres en ont r e p un. Que s'était-il passé? Par un dipl6me du 19
septembre 1 4 6 . 2 ~le~ r oi donne a son frere Fernand douze iles dont cinq
trouvées par Antonio da Noli, alors que Henri le Navigateur était encore vi-vant,
c'est-a-dire avant le 13 novembre 1460. Ces cinq iles sont les quatre
trouvées par Ca da Mosto, plus une. Les noms nouveaux ont été donnés par
le Génois Noli et ensuite changés par les instances officielles a Lisbonne a
son retour et meme apres40.
On trouve le reflet de tout ceci sur les cartes de Grazioso Benincasa
d'Anc6ne. Ce grand cartographe a confeaionné une série considérable de
cartes entre 1461 et 1482. Sur sa carte la plus ancienne, faite a GEnes en
1461 et conservée a PArchivio di Stato de Florence, la c6te occidentale de
l'Afrique n'est représentée que jusqu'au Cap Bojador. Cet éleve des Génois
tramilla aussi a Venise en 1463 et pendant les années suivantes. Pour une
@fic í f c 1468 aü Bri&h MüscUm, il a iefigliement utiEsé la Beconda Navi-gazione))
de Ca da Mosto, car l'une des iles du Cap Vert s'appelle la Bona
Vista comme chez le voyageur vénitien, ce qui n'est pas surprenant chez un
cartographe qui travaille a Venise. Le nom d3onavista) apparait encore une
fois sur l'ile de Santiago que Benincasa appelle d'ailleurs dnsula de San Jaco-b>
C>Q ~ Ec~&& Moste, il &tingLe c&e !le & San Fel;- re niip f-iit r - 7 -- Y--
aussi le diplome portugais de 1462. Benincasa connait egalement d'autre
noms &les cités dans ce dipl6me et non pas dans la «Seconda Navigazione~
de Ca da Mosto. Mais ce dernier a aussi décrit, apres son second voyage, ce-lui
de Pedro de Sintra. C'est donc a ce texte que Benincasa a emprunté les
noms qu'il n'a trouvés chez Ci da Mosto lui-meme.
On arrive ainsi a la premiere carte portugaise, cella de Pedro Reine1 de
1483 aux Archives Départementales de la Gironde a Bordeaux. Ici la c6te
africaine est suivie jusqu'au fleuve Congo et non seulement les iles du Cap
Vert, mais aussi celles du Golfe de Guinée sont représentées.
Pedro de Sintra avait atteint des 1462 un point situé un peu plus au sud
que l'aauelle Monrovia au Liberia. 11 y eut alors une pause et les découvertes
ne reprirent qu'apres que le roi Alphonse V efit signé avec Ferngo Gomes,
riche marchand de Lisbonne, un accord qui assurait a celui-ci le monopole
du commerce sur la c6te guinéenne, contre l'obligation de reconnaitre chan-que
année cent lieues de c6te. Le rithme de la découverte devint alors extre-ment
rapide. En 1470 Soeiro da Costa double le Cap Palmas qu'il dépasse
39. Idid.,p. 31..
40. C. VERLINDEN, Navigateun, marchands et colons, pp. 483 sq
jusqu'a la Cote d'Ivoire. L'année suivante Joio de Santarem et Pedro de Es-cobar
vont jusqu'a l'endroit ou s'elevera en 1482 le fort d'Elmina a la cote
de l'0r. En 1472. Femgo do Po longe la Cote des Esclaves et découvre, au
dela du delta du Niger, I'ile qui porte son nom dans le golfe de Guinée. En-fin,
en 1473, Lopo Goncalves passe l'équateur. Le contrat de Gomes se ter-minait
en 1474, mais l'un de ses capitaines, Ruy de Sequeira, peut encore at-teindre
le Cap Ste Catherine a 2" S et visiter les iles de Principe et de S20
Thomé? C'est en 1482 que Diogo Cio atteignit le Rio do Padrio, c'est-a-dire
le Zaire pu congo4'. Aux iles du Goife de Guinée il ne manquait plus qu-
'Annobom, qu'on a cm trouvée par Diogo Cio en 1484, l'année apres la car-te
de Reinel de 1483. Cette ile, pensait-on, est représentée pour la premiere
fois sur la carte dite de Cantino de 1502 la Biblioteca Estense a ~ o d k n e ~ ~ .
If faut cependant antidater la découverte, car la carte de Reinel de 1483 par
laquelle nous terminons cet exposé porte, be1 et bien dha de Sam Tome, do
Princepe, Anno Boom», tandis qu'une quatrieme ile qui est manifestement
Fernando Po ne porte pas de n ~ m ~ ~ .
A ,
pb . TY TLEI \DL~TLTYhUTLIn- ,E h T ~n-U..LI .L.-. G-~~~ C zJcnUd L5pBanCis che CntaécRungs- una' Eroberungsfáhrten
(Historia Mundi, t. VIII, Bern, 1959), pp. 288 sqq.
42. G. HAMANN, Der Eintritt dersüdlichen Hemisphere in &e Europaische Geschichte
(Vienne, 1968). pp. 104 sqq.
43. J. CORTESAO, Hirtory ofPortllguese cartography, t. 11, (Coimbre, 1971), p. 208.