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LAMABOTTO MALOCELLO ET LA DÉCOUVEETE POBTUGAISE DES CANABIES L'histoire de la découverte des Canaries — et subsidiairement celle de la découverte des îles du groupe des Madères (Madère, Porto Santo, Déserta) et des Açores — présente un intérêt considérable parce qu'elle permet d'illustrer par un exemple concret la collaboration que les Italiens, et surtout les Génois, apportèrent à la première expansion portugaise sous les règnes d'Alphonse IV (1325-1357) et de ses successeurs Pierre l<* (1357-1367) et Ferdinand (1367-1383) Q). Un premier point qu'il y a lieu d'élucider est la question du rôle que le Génois Lanzarotto Malocello joua dans la découverte des Canaries. Lorsqu'on consulte la vieille Histoire de la géographie et des découvertes géographiques de Vivien de Saint-Martin (2), on constate que le nom de Lanzarotto Malocello n'y est pas encore mentionné à propos de la découverte — ou redécouverte — de l'archipel canarien. L'auteur connaît l'expédition des frères Vivaldi de 1291, mais n'établit aucun lien exprès entre celle-ci et la connaissance des Canaries. Il mentionne aussi le voyage du Majorquin Ferrer en 1346 vers le Riu de Lor (1) Sur la collaboration italo-ibérique, cf. C. Verlinden : De Italiaanse invloeden in de Iberische economie en kolonisatie (XIIe-XVIIe eeuw) (Mededelingen Kon. VI. Academie voor Wetensch., 1951) ; Le influenze italiane nella colonizzazione iberica ( Uomini e metodi) (Nuova Rivista Storica, 1952) ; Modalités et méthodes du commerce colonial dans l'Empire espagnol au XVIe siècle (Revista de Indias, 1952) ; Italian influence in Iberian colonization (Hispanic American Historical Review, 1953) ; Précédents médiévaux de la colonie en Amérique (Mexico, 1954) pp. 19 sqq. ; Les influences italiennes dans l'économie et dans la colonisation espagnoles à l'époque de Ferdinand le Catholique (Fernando el Catolico e Italia, Saragosse, 1954, pp. 269-283). (2) Paris, 1873, pp. 300-302. 1174 CH. VERLINDEN d'après la « carte catalane » de 1375 Q) et fait également allusion à un passage du Traité de la vie solitaire de Pétrarque (1346) dont il croit pouvoir déduire que dès le commencement du xive siècle, ou peut-être à la fin du xnie, les Génois avaient visité les Canaries. Il voit, toutefois, dans ce dernier texte une allusion à l'expédition des frères Vivaldi, auxquels il attribue donc implicitement un rôle dans la découverte des îles (2). Enfin, il fait état d'« une carte italienne » de 1351 (3) où figurent les Canaries et mentionne la prise de possession de l'archipel par la couronne de Castille en 1345 (4). Le nom de Lanzarotto Malocello apparaît en relation avec la redécouverte médiévale des Canaries dans le tome II du livre de C. R. Beazley : The dawn of modem geography (5). La datation y est assez imprécise. L'auteur place le voyage « perhaps as early as 1270 » (6), tout en renvoyant à d'Avezac « Les îles africaines de l'Océan Atlantique » qui date l'événement de 1275 (7). Il croit que c'est ce voyage auquel Pétrarque (1) Vivien de St. Martin, op. cit., p. 301 n. 2, renvoie à Notices et Extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, t. XIV, 1841, pp. 66. Il s'agit de la deuxième partie de ce volume où figure aux pp. 1-152 la Notice d'un atlas en langue catalane de J. Buchon et J. Tastu qui reste la description la plus étendue de l'Atlas catalan de 1375 à la Bibliothèque Nationale de Paris. Toute la nomenclature et les légendes y sont transcrites. P. 66 figure une « Insula de Lanzaroto Maloxelo », ce dernier mot étant séparé par erreur du précédent et identifié à l'île d'Infierno (= Ténérife)! (2) Remarquons, cependant, sans pousser plus loin l'analyse des faits, que ceci paraît en contradiction avec ce que dit l'auteur à la p. 301 où il affirme que l'une des galères des Vivaldi s'échoua sur la côte du Maroc et dut rebrousser chemin, tandis que l'autre se perdit sur la côte du Sénégal. (3) Evidemment l'Atlas Medici ou Portulan laurentien (Cf. K. Kretschmer : Die Italienischen Portolane des Mittelalters (Berlin, 1901) pp. 119 sqq. (4) A ce propos, cf. ci-dessous, p. 1191. (5) Oxford, 1906, p. 411. (6) Loc. cit,. Même datation déjà dans Beazley : Prince Henry the Navigator (New York-Londres, 1897) p. 107. On la retrouve chez J. N. L. Baker : A history of geographical discovery and exploration (Boston, New York, Chicago, San Francisco, 1931) p. 39, chez E. Prestage : The Portuguese pioneers (Londres, 1933), p. 5 et chez P. Sykes : A history of exploration (Londres, 1949), p. 64. K. G. Jayne : Vasco da Gama and his successors (Londres, 1910), p. 9 donne sans aucune justification la date de 1278. (7) Ibid. n. 1. Le travail de d'Avezac a paru dans L' Univers pittoresque : Iles Africaines (Paris, 1848) Seconde partie : Iles Africaines de l'Océan atlantique, p. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1175 fait allusion, et base cette opinion sur le fait que le passage de cet humaniste, consacré à la découverte des Canaries, contient l'expression « patrum memoria » (1), qu'il pense devoir interpréter par « within the memory of his parents », en soulignant que Pétrarque est né en 1304. Il est à peine nécessaire de noter que cette expression peut avoir un sens beaucoup plus large et que, d'autre part, le traité de Pétrarque auquel elle est empruntée date de 1346. Beazley, toutefois, ajoute encore que sur le portulan de Dulcert de 1339 l'île de Lanzarote apparaît avec la croix rouge de Gênes et que le mot Marucelu est ajouté au nom (a). La croix revient dans le Portulan Laurentien de 1351 et une allusion allant dans le même sens figure aussi dans le Libro del Conoscimiento « d'environ de 1345 (3) basé probablement ici sur une carte plus ancienne ». Beazley relève les variantes Lanzarote, Lanciloto, Lansalot apparaissant sur les cartes avec l'addition occasionnelle de Maroxello, Marucelu, Maloxelo et même Januensis (4). Il signale encore l'allusion figurant dans le récit de la conquête de Lanzarote par Gadifer de la Salle à l'extrême début du xve siècle, où il est dit que des provisions furent réunies dans un vieux château construit par Lancelot « Maloi-siel » lorsqu'il conquit l'île (5). Plus loin, Beazley relève également que le roi Denis de Portugal prit à son service en 1317 le Génois Manuel Pes-sagno qui devenait ainsi amiral de Portugal et devait continuellement tenir à la disposition du roi vingt capitaines et pilotes génois. On peut raisonnablement attribuer à ces Italiens et leurs successeurs, ajoute-t-il, la direction des premières expéditions qui firent connaître 40, col. 2 « Nous hasarderons, sans tirer à conséquence (sic d'Avezac), le chiffre conjectural de 1275 ». (1) « Eo siquidem patrum memoria Januensium armata classis penetravit ». (2) Cf. à ce propos, ci-dessous, p. 1200· (3) Voir ci-dessous, p. 1195. (4) A ce dernier propos, il renvoie à la carte de 1455 du Génois Barthélémy Pa-reto où l'île de Lanzarote figure avec l'inscription « Lansaroto Maroxello Januensis » Cf. Kretschmer : Portolane, pp. 138-9. Voir une reproduction dans Id. : Die Entdeckung Amerikas : Atlas, n° V. (5) Cf. Le Canarien. Livre de la conquête et conversion des Canaries (1402-1422) par Jean de Béthencourt, gentilhomme Cauchois (éd. G. Gravier, Paris, 1874) chap. XXXII, p. 50 : « Si assemblèrent grant cantité d'orge, et le misrent en un vieil chastel que Lancelot Maloesel avoit jadiz fait faire, celon ce que l'on dit ». Cf. ci-dessous p. 1196. 1176 CH. VERLINDEN les archipels de l'Atlantique central (x). Finalement, il signale encore que les îles de Lanzarote et Fuerteventura — et, ajouterons-nous, Ca-naria et « Vegi Marini » — n'apparaissent sur aucune carte antérieure à celle de Dulcert de 1339 (2). Dans « La découverte de l'Afrique au moyen âge, t. II, Le périple du continent » (3) Ch. de la Roncière propose la date de 1312. Il base cette datation sur une lettre de Paulmier (4) à l'historiographe André Du Ches-ne, datée de Rouen, 19 avril 1659 (5), où figure le passage suivant : « De Lancelot de Maloisel, les sieurs des isles Maloisel, gentilshommes bas-normands, se disent descendus et avoir par devers eux des pièces qui justifient que leur Lancelot en entreprist la conquête en l'an 1312, sur la cognoissance qui luy en donnèrent quelques matelots de Cherbourg, lesquels, trafficans aux costes d'Espagne, furent jettes par un coup de tempeste aux bords de ces isles, cogneuës autrefois par les Anciens sous le nom de Fortunées et depuis demeurées comme cachées durant plusieurs siècles... La publication [du Canarien en 1630] (6) réveilla les sieurs de Maloisel ; et en 1632, ils firent imprimer à Caen un petit discours pour conserver à ce Lancelot, au préjudice de ce Jean de Béthen-court, la qualité de premier conquérant des Canaries, qualité fondée entre autres choses sur un inventaire généalogique baillé par leurs prédécesseurs aux eslûs de Coustance, l'an 1453, lequel fect une ample mention de l'entreprise de ce Lancelot ... en l'isle Lancelote ... qu'ils disent y avoir commandé plus de XX ans et jusques à un soulèvement général des insulaires qui l'en chassèrent à l'ayde de leurs voisins ». La Roncière ajoute, toutefois, que de nombreuses recherches dans les archives et bibliothèques ne lui ont permis de retrouver ni l'inventaire de 1453, ni l'opuscule imprimé à Caen en 1632. Outre ce dernier fait, très important en lui-même, il importe de noter que nous avons affaire ici, à une contestation entre familles se disputant certains droits et que les (1) Beazley : Dawn, t. III, p. 423. (2) Ibid. p. 425. (3) Le Caire, 1925, p. 3. (4) Paulmier de Gonneville, chanoine de Lisieux, auteur de Mémoires touchant l'établissement d'une mission chrétienne dans le troisième monde, autrement appelé Terre Australe (Paris, 1663). (5) Paris, Bibl. Nat., nouv. acq. franc. 7454, f° 70 v°. (6) Ci. 1175 n. 5. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1177 documents invoqués au cours de pareilles disputes sont souvent suspects, surtout lorsqu'il s'agit d'établir des droits dont les origines remontent à plus de trois siècles ! Nous aurons d'ailleurs à nous demander si ces prétentions des « sieurs des Isles Maloisel » ne se rattachent pas à une tendance de la politique coloniale française sous Richelieu et au début du règne de Louis XIV Q). Remarquons encore que La Roncière, s'inspirant évidemment de la croix génoise figurant sur la carte de Dulcert, dit aussi que Lanzaroto Malocello « planta le pavillon de sa patrie sur les îles Fortunées ». Pour lui, il s'agit donc d'une découverte et d'une colonisation spécifiquement génoises. A ce propos, il note que des. Malocello auraient eu, dès 1235, des attaches à Ceuta, puisque l'un d'eux réunit en cette année « à bord des douze navires qu'il commendait, tous les Génois de la ville, pour exiger du sultan la réparation de déprédations ». La référence qu'il donne est, toutefois, fausse (2). De plus, dit-il, plusieurs Malocello prirent du service en France à partir de 1338 comme capitaines de galères et francisèrent leur nom en Maloisel (3). Enfin, un acte notarié du Ier avril 1330 signalerait la présence à Gênes d'unLancerottoMarocello^). De tout ceci, nous avons pour le moment surtout à retenir que la date de 1312 (5), proposée par La Roncière, ne repose que sur un écrit de 1659, puisque les documents antérieurs cités dans ce dernier n'ont pu être retrouvés. Néanmoins cette date est reprise par R. Hennig : Terrae In~ cognitae, t. Ill, chap. 134 (6). Cet auteur fait d'abord remarquer que les Canaries n'apparaissent ni (1) Cf. ci-dessous, p. 1209. (2) II renvoie à ce sujet à L. de Mas-Latrie : Traités de paix et de commerce et documents divers concernant les relations des Chrétiens avec les Arabes de l'Afrique septentrionale au moyen âge (Paris, 1866) p. 115, n. 2 où ne figure rien de pareil. (3) Cf. Ch. de la Rongière : Histoire de la marine française (2e éd, Paris, 1914), t. II, p. 104 et A. Jal : Archéologie navale, t. II (Paris, 1840) p. 338. (4) M. G. Canale : Nuova istoria délia repubblica di Genova (Florence, 1860), t. III, p. 343 : « tre atti da me trovati nel fogliazzo de' notai (sic, sans référence) mi danno lume su di ció ; ivi il primo aprile del 1330 figura nella qualità di testimo-nio Lancerotto Marocello ; il 22 febraio del 1384 e il 18 marzo del 1391 e nominata Eliana del q. Bartolomeo Fiesco, o moglie del q. Lanzarotto Marocello ». Ces documents n'ont pas été retrouvés depuis. (5) Même datation dans Ch. de La Roncière : Histoire de la découverte de la Terre (Paris, 1938), p. 87. (6) Leiden, 1953 a, pp. 169 sqq. 1178 ; CH. VERLINDEN sur les cartes Visconti de 1311 et 1318, ni sur la carte de Sanutö de 1320, ni sur celle d'Angelino Dalorto de 1330 (x). Dans ce dernier cas, ce fait n'a, sans doute, guère de valeur probante, puisque la forme particu-ière de la carte ne laissait guère d'espace pour y placer l'archipel ou ce qui en aurait été connu (2). Malgré ce qu'en dit Hennig la carte de Sa-nuto de 1320 paraît fournir un terminus a quo pour la redécouverte des Canaries, puisqu'elle porte un texte disant : « Ultra Gades, per régna Yspaniae, Portugaliae et Galitiae, non inveniuntur insulae alicuius valons ». Comme l'avait déjà remarqué le Vicomte de Santarem (3), il semble peu probable que la carte porterait un pareil texte si les Canaries ou les Açores avaient été dès lors connues. Il est curieux que Hennig qui signale la mention de la carte de 1320 n'en tient lui-même aucun compte dans sa datation de la découverte. Par contre, il souligne que sur la carte d'août 1339, dessinée à Majorque par Angelino Dulcert (4) apparaissent pour la première fois les îles canariennes Lanzarote (Insula de Lanzarotus Marocelus) et Fuerta Ventura (La forte Ventura) ainsi que la petite Vegi (et non Vecchi) Ma-rini. Il en conclut que la connaissance des Canaries doit s'être répandue en Europe entre 1330 et 1339, dates des cartes de Dalorto et de Dulcert, cartographes dont il considère que « die Warscheinlichkeit einer Identität nicht gering ist » (δ). Nous avons vu déjà que la première date devrait être plutôt remplacée par celle de 1320 (Sanuto). (1) Ibid. p. 173. Sur la date de la carte de Dalorto, cf. H. Winter : Das Katalanische Problem in der älteren Kartographie (Ibero-Amerikanisches Archiv, t. XIV, 1940), p. 101. (2) Cf. la reproduction qu'en fournit A. Magnaghi : La carta nautica costruita nel 1325 da Angelino Dalorto (Florence, 1898). (3) Essai sur l'histoire de la cosmographie et de la cartographie (Paris, 1849), t. I, p. 135. (4) Sur cette carte et sur ses rapports avec celle de Dalorto, cf. E. T. Hamy : La mappemonde d'Angelino Dulcert de Majorque (1339) (Bulletin de géographie historique et descriptive, Paris, 1886, pp. 354 sqq.) ; Id : Études historiques et géographiques (Paris, 1896) avec reproduction; L. Gallois: Sui mappemonde del Dalorto e del Dulcert (Rivista geografica italiana, 1905, pp. 1 sqq.) ; A. Magnaghi : Angelino Dalorto (Atti del 3. congr. geograf. ital. Florence, 1899, t. II, p. 506). Cf. Youssouf Kamal : Monumenta Cartographica, t. IV, fasc. 2 (1927), n° 1222. (5) Cf. à ce sujet G. de Reparaz : Les sciences géographiques et astronomiques au XIVe siècle dans le Nord-Est de la Péninsule Ibérique et leur origine (Archives inter- LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1179 Toutefois, la découverte elle-même serait, d'après Hennig, plus ancienne. Elle serait bien l'oeuvre de Lanzarotto Malocello, mais celui-ci serait un Provençal du nom de Lancelot Maloisel dont le nom aurait été italianisé à Gênes où il se serait fixé^). Il est à peine nécessaire d'ajouter que le nom de Malocello est celui d'une famille marchande génoise très connue et très ancienne (2). Hennig mentionne ensuite un acte notarié génois qu'il dit être du 25 octobre 1306 et avoir été publié par Desimoni dans les Atti della società Ligure au tome XV. En réalité, l'acte est du 31 octobre et a été publié partiellement par L. T. Belgrano en annexe à son travail Documenti e Genealogia dei Pessagno Genovesi, ammiragli del Porto-gallo (3). Il figure au complet dans l'ouvrage déjà cité de Mme Doe-haerd (4). On y voit Manuel et Léonard Pessagno louant à Janinus Marocellus deux galères pour transporter d'Angleterre à Gênes 2.700 cantares de laine anglaise. On ne peut donc pas dire, comme le fait Hennig, que nous avons ici la preuve de ce que « Lancilotto » Malocello soit associé aux Pessagno dans leur commerce sur l'Angleterre (5). Hennig, suivant ici La Roncière, mentionne ensuite, pour le voyage nationales d'histoire des Sciences, 1948) pp. 456 sqq. Voir aussi du même Els ma-pes catalans de la Bibliothèque Nationale de Paris (Estudis Universitaris Catalans, t. XIII, 1928) et H. Winter op. cit. (1) Hennig, op. cit., p. 175. (2) R. Doehaerd : Les relations commerciales entre Gênes, la Belgique et l'Outre-mont d'après les archives notariales génoises aux XIIIe et XIVe siècles, t. III (Bruxelles, 1941) contient de très nombreux actes où figurent des Malocelli. Cf. les tables au t. III et ci-dessous p. 1179. Remarquons que Hennig fait dire à La Roncière : La découverte de l'Afrique, t. II, p. 3 que Lanzarotto Malocello prit du service en France en 1338, alors que cet auteur parle seulement de « plusieurs Malocello » et date « après 1338». Cf. aussi C. Errera : art. « Lancelotto Malocelli » dans Enciclo-pedia Italiana, t. XXII, 1934. Cet auteur date le séjour de Lanzarotto aux Canaries de 1291 environ ou de 1312. Déjà en 1241 un Iacopo Malocello commande la flotte génoise qui se fait battre par la flotte impériale à la bataille du Giglio. Cf. C. Manfroni : Storia della marina italiana, t. I (Rome, 1897), p. 397. (3) Atti della Societa Ligure di storia patria, t. XV, 1881, p. 250, n° IV. (et non p. 10 comme écrit, par erreur, Hennig). (4) t. III, n° 1630, p. 943. (5) Hennig : loc. cit. « Er habe zusammen mit zwei Kaufleuten, den Bruderpaar Emanuele und Leonardo Pessagno, in Genua zwei vohlausgerüstete Galeeren für eine Handelsfahrt nach England gemietet ». 1180 CH. VERLINDEN de Lanzarotto, la date de 1312 que nous avons déjà rencontrée. Il ajoute, sans donner de référence, que Malocello était de retour à Gênes le 1er avril 1330. Nous savons, toutefois, que ce renseignement est également emprunté à La Roncière qui en doit la connaissance à Cana-le Qj. Il mentionne ensuite une tradition canarienne d'après laquelle l'île (sic = laquelle?) aurait été découverte par un Français entre 1326 et 1334 (2). Hennig croit alors pouvoir concilier ces deux interprétations en tenant compte de ce que, pense-t-il, Malocello était « ein geborener Franzose ». Nous avons vu déjà — et nous aurons l'occasion d'y revenir (3) — combien peu cette version des origines du Génois mérite d'être retenue. La découverte se serait faite en 1312, continue Hennig, mais la connaissance n'en serait parvenue en Europe que vers 1330. Peut-être même les Génois auraient-ils tenu la découverte secrète pour s'assurer plus facilement le contrôle du commerce de l'archipel. Après que Malocello eut quitté le service génois en 1338 — ce qui est faux ! (4) — il n'aurait plus été tenu au secret, et c'est ainsi que la carte de Dulcert, — qui est d'ailleurs majorquine, ce que semble oublier ici notre auteur — aurait pu faire état de la découverte. * * * Ce que nous venons de dire suffit à prouver combien les données relatives à la découverte des Canaries, fournies par la littérature générale concernant les découvertes médiévales, sont encore sujettes à caution. Nous pouvons, toutefois, dès à présent tenir pour acquis, quoi qu'en dise Hennig, que cette découverte ne peut pas avoir été antérieure à 1320. Elle ne peut pas non plus être postérieure à 1339 et elle est le fait du Génois Lanzarotto (Lancellotto) Malocello. Malgré ce fait, elle doit être considérée comme une découverte portugaise. C'est sur ce point que nous allons à présent tenter d'apporter plus de clarté. En 1317, le 1er février, le roi Denis de Portugal conclut un contrat avec le grand marchand génois Manuel Pessagno, par lequel celui-ci (1) Cf. ci-dessus, p. 1177. (2) G. Glas : History of the discovery and the conquest of the Canary Islands (London, 1764), t. I, p. 1 cité par Hennig : op. cit., p. 176 et F. Kunstmann : Die Entdeckung Amerikas (Munich, 1859), p. 1. (3) Cf. ci-dessous, p. 1190. (4) Cf. ci-dessous, p. 1199. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1181 reçoit la terre royale de Pedreira à Lisbonne et une rente annuelle de 3.000 livres portugaises (*). L'ensemble des biens que le Génois reçoit du roi passera par héritage à son fils aîné, légitime et laïc, qui servira le roi aux mêmes conditions que son père. Il s'agit donc d'un majorât (mayorgado). Comme le père, le fils et ses successeurs feront hommage et jureront fidélité au roi (façam a menage e o juramento que mi vos fazedes). Pessagno se déclare vassal du roi et promet de le servir loyalement « nas vossas galees per mar », mais il ne devra prendre lui-même le commandement que si au moins trois galères opèrent ensemble (2). Il suivra le roi «contra todolos homees do mundo de qualquer stado o de qualquer condiço que seiam tomben christaaos como mouros » et lui donnera bon conseil. Tous ses successeurs qui hériteront du fief feront le même serment. D'autre part lui-même et ses successeurs tiendront toujours à la disposition du roiwiinte homeens de Genua sabedores de mar, taaes que seiam convenhaviis pera alcaydes de galees e pera arrayzes ». Ces capitaines et ces pilotes, ils devront les entretenir à leurs frais. Quand le roi n'en aura pas besoin, Pessagno et ses successeurs pourront les employer « en nossas merchandias » et les envoyer en Flandre, à Gênes ou en d'autres lieux. Les Pessagno deviendront donc vassaux portugais, mais resteront en même temps des marchands spécialisés dans le trafic maritime entre Gênes et l'Europe du Nord-Ouest. Le salaire des capitaines et pilotes incombera au roi, quand ils seront à son service (3). (1) « Dou et dôo a vos pera todo sempre en Lixböa o meu logar da Pedraira... com casas e com terrëo livre e quite e exemto assi como o eu hej ». La rente est donnée en fief, mais seulement temporairement : « E esto vos dou en feu ata que vos de algüa vila ou logar pobrado ou herdade tal a meu pagamento e vosso que valha en renda as dictas tres mil libras ». Néanmoins le terme feu est de nouveau employé par après pour désigner l'ensemble des donations faites et à faire par le roi à Manuel Pessagno : « E vos Micer Manuel devedes aver o dicto feu en todo tempo de vossa vida e servirdes por el a mim e aos meus sucessores que forem Reis en Portugal come adeante he scritto ». J. Martins da Silva Marques : Descobrimentos portu-gueses, t. I (Lisbonne, 1944), p. 28. (2) Ibid. : «peroque o meu corpo no deve yr sobre mar en vosso serviço meos que com tres galees ». (3) « E quando forem en vosso serviço devedes lhis dar ao que for por alcayde de galee : doze libres e meya polo mes por soldada e por governho e pan bizcoyto e agua... E ao que for por arraiz da galee : oyto libras polo mes por soldada e por governho e pan bizcoyto e agua » (Silva Marques : op. cit., p. 29). 1182 GH. VERLINDEN Pessagno est accompagné d'un certain nombre de ceux qu'il devra ainsi mettre au service du roi, mais il dispose de huit mois pour engager et faire venir ceux qui manquent. Le Génois et ses successeurs recevront le quint des prises, à l'exception des navires, de leurs armes et appareillages. Pessagno et ses successeurs auront juridiction sur tout le personnel des galères tant en mer que dans les ports, c'est-à-dire qu'ils seront amiraux du roi (x). Ils pourront armer aussi d'autres navires que des galères, notamment des navios. Le 5 février un nouveau diplôme s'occupe une fois encore des vingt techniciens génois. Pessagno a déclaré au roi qu'il n'est pas sûr que les hommes déjà disponibles désirent effectivement rester au Portugal. Ils ont été engagés pour trois mois et devront se prononcer sur leurs intentions quinze jours après la fin de cette période. Le roi prend à sa charge, pour cette première fois, les frais de l'engagement de ceux qui manqueront pour parfaire le nombre de vingt (2). Le 10 du même mois, le roi avise tous ses corsaires, capitaines, pilotes de galères et officiers d'avoir à obéir au nouvel amiral (3). Le 23 février la charge d'amiral est rendue héréditaire pour les descendants et successeurs de Manuel Pessagno (4). Les deux derniers documents montrent clairement qu'il est de l'intention du roi de donner le commandement de toute sa flotte à Pessagno, et non pas seulement celui des navires qui ont des techniciens génois à leur bord. Il est d'ailleurs spécifié que l'amiral a tous les pouvoirs que les autres amiraux du Portugal ont détenus avant lui, il) « E quero e mando que vos Micer Manuel e vossos successores que o dicto feu herdarem haiades jurisdiço e poder sobre todolos homeens que convosco forem nas mhas galees, tanben en f rota como en armada, en todos logares per hu an dardes per mar e nos portos da terra hu sayrdes fora. E mando que façam por vos e vos seiam mandados como a seu Almirante e assi como fariam polo meu corpo meesmo sehy fosse». (Ibid. p. 30). (2) Silva Marques op. cit. n° 38, p. 31. (3) Ibid. n° 39, pp. 31 sqq. « eu, querendo fazer graça e merçee a Micer Manuel genoes, meu vassalo, faço o meu Almirante moor e mando a todolos meus vassalos cossairos e a todolos outros alcaides de galees e arrayzes e officiaaes que a este offi-cio perteeçem que ffaçam seu mandado ». (4) Ibid. n° 40, p. 32 : « eu, querendo fazer graça e mercee a Micer Manuel, meu vassalo, faço o meu Almirante moor, e depoys sa morte mando que o seia o sseu filho moor que hy ficar, que herder o ffeu que eu dou ao dito Micer Manuel, e assi os outros seus suçessores que o feu herdarem ». LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1183 tamment en ce qui concerne les corsaires (*). Le 7 mars le roi règle les modalités de versement des 3000 livres accordées à l'amiral par le diplôme du 1er février (2). Le 24 septembre, la rente est remplacée par une cession en fief de nouveaux biens. Le roi rappelle l'obligation pour Pessagno de tenir de manière permanente à sa disposition vingt techniciens génois, payés par le trésor quand ils servent les intérêts portugais, et par Pessagno lui-même quand il les emploie dans son négoce (3). Cette fois la donation de Pedreira « hu moravam os Judeus en Lixbôa » est clairement qualifiée d'inconditionnelle (4). La rente, par contre, nous le savons déjà, avait été donnée « en nome de feu ». C'est ce fief dont hériteront les successeurs de l'amiral. Il sera constitué désormais par le château et la localité d'Odemira(5). Le roi s'y réserve, cependant, les droits qu'il garde normalement sur les terres de tous les seigneurs. Relevons parmi ceux-ci la dîme des importations par voie de mer (6). Un autre bien — « o meu regaengo d'Algez da par de Lixbôa » — est joint à Odemira. Ni cette dernière localité, ni le domaine royal d'Alges ne pourront être aliénés par les Pessagno (7). S'ils n'occupent plus la charge d'amiral, ces biens feront retour à la couronne. (1) Ibid. : « todolos poderyos que os outros meus Almirantes de direito e de costume ouverom senpre nos homens da cossaria do mar ». (2) Ibid. n° 41, p. 33. (3) Ibid. n° 42, p. 34. : Tevi por bem de vos fazer meu Almirante e vos ficastes entô por meu vassalo e obrigastes vos por vos e por vossos sucessores a mim e aos meus sucessores que tevessedes sempre viinte homees de Genoa sabedores de mar, pera nos servirem per mar nas nossas galees quando comprisse, e que en quanto andassem en meu servicio ou dos meus sucessores que lhis pagassemos nos ssas sol-dades e quitaçôes, e quando nô andassem en nosso serviço que vos e vossos sucessores os mantevessedes e vos servissedes delies assi como mays cumpridamente he conteudo nos privilegios que antre mim e vos foram feitos ». (4) « Tevi por bem de vos fazer doaçao puramente. . . ». (5) « Tenho por bem de vos dar logo a outorgar por jur d'erdade o meu castello e a mha vila d'Odemira, con todos seus termhos e con todos seus dereytos e rendas e perteenças assi como o eu hej e de dereyto devo aver e con a justiça e con todos jur e juridiço e senhorio real que eu hi hej » (Ibid. p. 35). (6) « Outrossi se hi aportaren per mar naves ou b areas con cousas que tragam de França ou daalen mar ou d'outras partes, que a dezima real seia ende mi ha e dos meus sucessores » (Ibid.) « Aalen mar « désigne, sans doute, l'Angleterre, surtout dans le cas des Pessagno, qui entretenaient déjà à Gênes des relations suivies avec cepays. (7) « E vos nem vossos sucessores no devedes vender nem dar nem em nemhüa 76 1184 GH. VERLINDEN Deux ans plus tard, le 25 septembre 1319,1'alcaide, les alvazis, les tabellions et le conseil d'Odemira reçoivent l'ordre de percevoir pour compte de l'amiral les droits et rentes de la terre et de le reconnaître comme seigneur justicier, compte tenu des droits supérieurs du roi (x). Par un mandement de même date le bien royal d'Alges est remis au bénéficiaire (2). Cet ordre est exécuté le 30 du même mois (3). Le 14 avril 1321, nous voyons par un diplôme royal qu'il y avait eu des contestations entre l'amiral et l'alcaide de Lisbonne. L'amiral se plaignait de ce que l'alcaide lui enlevait la juridiction de l'amirauté (tomava a juridiçô do almirantado) et déclarait que ses hommes et les « alcaides e arrayzes e petintaaes » de sa juridiction subissaient des dommages de la part de l'alcaide (4). Le roi ordonne que les privilèges des amiraux, alcaides, arraizes et petintaes devront être maintenus et que l'alcaide de Lisbonne ne sera compétent que pour les crimes. Une série d'« homens de mar » de l'amiral, donc certainement des Génois, ont été emprisonnés contre tout droit par l'alcaide de Lisbonne, alors qu'ils ne relevaient que de la juridiction de l'amiral ou de son alcaide do mar. Cependant, des mesures sont prises concernant le port d'armes par les Génois hors de service. Le quartier (barro) que l'amiral possède à Lisbonne constitue une immunité où les hommes de l'alcaide de la ville ne peuvent entrer. Toutefois, les subordonnés de l'amiral coupables de crimes doivent être livrés aux autorités de la ville (5). Tout ceci per-maneyra alhear os ditos castello e villa e regeango nem parte deles, mays ficarem sempre entregamente a vos e a vossos sucessores que o feu herdarem pera servir por elles mim e eos meus sucessores » (Ibid.). (1) Ibid. n° 43, p. 37. (2) Ibid. n° 44, p. 38. (3) Ibid. n° 45, p. 38 sq. (4) Ibid. n° 47, p. 40 « Petintal » signifie soit « officier subalterne », soit plutôt «technicien chargé de l'entretien du navire». Sur les différents termes cités, voir J. de Santa Rosa de Viterbo : Elucidario (Lisbonne, 1798), vis Alcaide de navio, arrais, petintal. (5) Ibid. p. 42 : « Outrossi tenho por bem que quando algûns que mal fezerem na villa se colherem ao barro do almirante que o alcayde ou os seus homens o ffaçam saber ao almirante ou aaqual que hy estever por el que lhos recade e que lhos de, ou senô que lhos ponham fora nö ascondudamente, mays em guisa que os possam tomar os homens do alcaide. E en outra guisa nö entrera os homens do alcaide en sseu barro nem façem nenhüu desguisado ao almirante nem a nemhüu dos seus ». LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1185 met de conclure qu'il y a, à ce moment à Lisbonne, un quartier génois jouissant d'immunité et soumis à la juridiction de Manuel Pessagno, amiral et vassal du roi. Ce quartier, bien entendu, n'est pas habité seulement par des Génois, très loin de là, mais c'est celui où les Génois de Pessagno, techniciens de la mer comme lui, se sentent chez eux, ou du moins plus chez eux que dans le reste de la ville, parce que le quartier est placé sous l'autorité de leur chef. En 1322, le 13 juin, nouvel acte royal concernant l'amiral. Le roi Denis rappelle ses précédentes donations en faveur de celui-ci, parmi lesquelles la terre royale d'Alg(u)es est cette fois localisée de façon plus précise comme étant « do cabo de Lisboa ». Voyant combien l'amiral le servait bien (x), le souverain lui avait accordé deux mille livres en draps chaque année. Il y ajoute à présent mille livres en monnaie par an, qui passeront héréditairement, comme les deux mille livres en draps, à ses héritiers qui seront amiraux du Portugal. Tout ceci sans préjudice de ses donations antérieures. Déjà l'année précédente, le 16 mars 1321, un acte royal fournissait quelque lumière sur au moins un aspect de l'activité de Manuel Pessagno au service du roi (2). Nous y apprenons que l'amiral a capturé des Maures de Salé, sur la côte atlantique du Maroc. Ceci prouve évidemment que l'activité des techniciens génois du roi s'étend, dès ce moment, vers le sud, le long de la côte atlantique de l'Afrique. Le 21 avril 1327 le privilège de nomination de dix ans plus tôt (1317, 1er février) est confirmé par le nouveau roi Alphonse IV qui régnait depuis 1325 (3). L'acte mentionne que l'amiral a continué ses fonctions jusque là avec la même efficience que sous le règne précédent (4). Est-il) « veendo eu como o dito almirante me servia bem e lealmente com muytas cousas e con grandes custas do sseu aver que despendeu per algüas vezes no meu serviço » (Ibid. n° 48, p. 43). (2) Ibid. t. II, η» 17, p. 27. (3) Ibid. t. II, n° 18, p. 28. (4) « E ora o dito Mice Manuel Peçanho almirante veo a mim sobredito Rey Dom Afonso e pedio me por mercee que quisese veer e esguardar muito serviço que el sempre fizera a o dicto meu padre e a mim outrossi, e muito serviço e prol e honrra que sempre per el viera aos reis de Portugal e do Algarve em todo aquello que el pudera fazer e juntar, e que eu me quisese del servir e lhe quisese fazer mercee em lhe outorgar e confirmar a dicta carta que lhe el rrey meu padre dera, e que serviria mim e minha terra em todo aquello que elle pudesse, assi como avia jurado e porme- 1186 CH. VERLINDEN il permis de voir dans la date assez tardive de la confirmation une indication sur une absence prolongée en mer ou à l'étranger de l'amiral ? Le libellé du privilège ne permet pas de conclure sur ce point. Vraisemblablement en 1340 Manuel Pessagno est en contestation avec l'abbé d'Alcobaça à propos de la juridiction de Pederneira, où le premier a nommé un alcaide do mar, alors que l'abbé prétend qu'il n'en a pas le droit. Le motif de l'intervention de l'amiral était le suivant. Par un mandement du 19 janvier 1339 Alphonse IV avait ordonné à Pedro Afonso, son « homem », de tailler dans ses forêts d'Alcobaça des bois pour construire des galères Q). Manuel Pessagno a donné un ordre écrit à son « criado » Vasco Lourenço par lequel il le nommait « alcaide do mar » à Pederneira, et par lequel il stipulait « outras cousas en priiuyzo da jur-diço do dicto monesteiro ». Ces « choses », comme d'ailleurs l'ordre précédent du roi, constituent, de l'avis des Cortes de 1340 auxquelles elles furent soumises, une « innovation », un abus. Le roi et l'amiral vont évidemment ici dans le même sens, c'est-à-dire qu'ils songent tous deux à utiliser pour la marine royale des bois que l'abbé prétend être les siens ou qu'il prétend, à tout le moins, ne pas véhiculer avec ses boeufs et ses chariots, comme le lui avait ordonné le roi (2). On avait donc établi un chantier royal à Pederneira et l'amiral y avait nommé un « alcaide do mar ». L'opposition de l'abbé est basée sur une sentence royale qui lui permettait de « poer alcaide na vila de Perderneyra », ce qui n'est évidemment pas la même chose, que l'abbé le sût ou non. Ainsi donc pendant toute la période comprise entre 1317 et 1340, c'est-à-dire pendant 23 ans, Manuel Pessagno a occupé de façon permanente la charge d'amiral de Portugal. Il est vraisemblable qu'en 1342 son fils Carlo lui était associé comme amiral. En effet, d'une part, il est cité comme amiral dans le nobiliaire de Damiâo de Goes (1601) : «E mice Carlos Peçanha, f ilho deste mice Manuel Peçanha, foi almirante tido a el rrey meu padre e como fezera ata aqui. E eu sobredito rey Dom Afomso veendo e considerando que todas as sobreditas cousas que el a mim dizia eram ver-dade... » (Ibid.). (1) « pera ffazerem talhar madeyra e careta la en essas mhas matas d'Alcobaça pera se fazer desa madeyra gallees que comprem pera deffendimento da mha terra » (Ibid. t. I, n° 78, p. 93). (2) « façades dar bois e carros aqueles que li conprirem pera carretar dessa madeira » (Ibid.) LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1187 como seu pae » 0. D'autre part, il apparaît comme exerçant effectivement la charge d'amiral en 1342 dans une inscription figurant sur la façade de S. Stefano à Gênes (2). Il remporte à ce moment une importante victoire navale sur la flotte des rois de Grenade et du Maroc. Nous ne savons pas combien de temps il occupa la charge. A sa mort, il fut remplacé par son frère Bartolomeo (3) dont nous ignorons également la durée de charge. En tout cas, à peine Pierre Ier est-il arrivé au pouvoir, que nous voyons un troisième frère, Lanzarote, confirmé dans le poste (4). Il est curieux de constater que dans les actes royaux qui investissent Lanzarote, il n'est jamais question que de son père Manuel et son frère Bartolomeo. Faut-il croire que Carlo n'a exercé la charge que du vivant de son père? Quoiqu'il en soit, les Pessagno restent en charge et plusieurs d'entre eux continuent à occuper l'amirauté par la suite jusqu'à l'époque de Henri le Navigateur. Tous tiennent la charge comme elle fut instituée en 1317, c'est-à-dire que la collaboration de techniciens maritimes génois continue à être à l'ordre du jour. Retenons cependant dès maintenant qu'il y eut une interruption dans la carrière de Lanzarote Pessagno comme amiral entre 1365 et 1367, période pendant laquelle il fut destitué par le tyrannique Pierre Ier (5), (1) Publié par L. T. Belgrano : Documenti e genealogia dei Pessagno Genovesi, ammiragli del Portogallo (Atti délia società ligure di Storia Patria, t. XV, 1881), p. 289. (2) « Anno Domini MCCCXXXXII, nobilis vir Dominus Carolus ex Dominis de Passano (= Pessagno), armiratus Illu. Alphonsi, regis Portugalliae, nobilis viri domini Emmanuelis Saronis (sic?), armiranti regis Portugalie, una cum egregio Domino Egidio Buccanigra, armirato regis Castelle, cum classibus triremium oc-tuaginta regum Granate et Marrocchi in Betica conflixit et, amiratis regum Granate et Marocchi occisis, XXIII Maurorum triremibus captis, alliis fractis et in fugam coniectis, magnam de Sarracenis victoriam, Deo opt. max. adiuvante, con-secutus est » ( Ibid. p. 295). On sait que Boccanegra était également Génois. (3) Nobiliaire cité (Belgrano : op. cit., p. 289). Belgrano a mal compris le texte et croit que Bartolomeo s'est réfugié parmi les Maures. Cf. Tableau généalogique p. 306. En réalité il s'agit de Gonçalo Gomes d'Azevedo, son beau-père, alferes môr d'Alphonse IV de Portugal. (4) Silva Marques : op. cit., t. I, n° 88, p. 107(26 juin 1357). Cf. déjà antérieurement l'acte du 20 septembre 1356, Ibid.n0 83, p. 105 et nr89, p. 108 (1er juillet 1357). Cf. aussi ci-dessous p. 1199. (5) Cf. Belgrano, op. cit., p. 281 (n° XXX) et p. 287 (n° XXXIV). Les données chronologiques figurant à la p. 281 doivent être corrigées en ce qui concerne la pre- 1188 GH. VERLINDEN pour être réintégré dans son office dès 1367 par Ferdinand, le dernier roi de la dynastie bourguignonne Q). C'est dans le cadre de l'activité maritime des Génois au service du Portugal que nous allons tenter maintenant de replacer la découverte des Canaries. Nous avons vu déjà que d'après la cartographie le terminus ad quem de cette découverte est 1339, date de la carte de Dulcert, qui porte l'inscription « Insula de Lanzarotus Marocelus ». D'autre part, nous savons par divers textes que la découverte ne peut pas avoir eu lieu longtemps auparavant. Une lettre d'Alphonse IV du 12 février 1345, adressée au Pape Clément VI à la suite de la donation par celui-ci des Canaries au prince castillan Don Luis de la Cerda (1344), réclame pour le Portugal la priorité de la découverte. « Ad quas quidem litte ras rescribentes prout nobis visum extitit per ordinem cum reveren-tia respondemus quod predictarum insularum fuerunt prius nostri regni-cole inventores : nos vero attendentes quod predicte insuie nobis plus quam alicui principi propinquiores existant, quodque per nos possent comodius subiugari, ad hoc oculos direximus nostre mentis, et cogitatum nostrum iam ad effectum perducere cupientes, gentes nostras et naves aliquas illuc misimus, ad illius patrie conditionem explorandum, que ad dictas insulas accedentes, tam homines quam animalia et res alias per violentiam occuparunt et ad régna nostra cum ingenti gaudio appor-tarunt. Verum cum ad prefatas insulas expugnandas armatam nostram mittere curaremus, cum militum et peditum multitudine copiosa, guerra prima inter nos et regem Castelle, deinde inter nos et reges sarracenos suborta, nostrum propositum impedivit » (2). Or, la guerre contre la mière date (1361), par comparaison avec les actes de Pierre Ier publiés par Silva Marques : op. cit., t. I, n° 103, p. 117 (10 mars 1364) et t. II, n° 175, p. 286 (25 mai 1365) (1) Silva Marques: op. cit., t. I, n° 107, p. 121 (6 novembre 1367). (2) Silva Marques : op. cit., t. I, n° 74, p. 87. Le texte poursuit de la manière suivante : « que omnia tanquam notoria Sanctitatem Vestram latere minime dubi-tamus, que insuper ambaxiatores, quos nuper Vestre destinavimus Sanctitati, attendentes, sicut ex litterali relatione predicti domini Ludovici percepimus de provisione et assignatione dictarum insularum facta per Vos eidem domino Ludo-vico, existimaverunt nos fore et non immerito agravatos, et hoc Vestris auribus intimarunt, considérantes quod tam propter vicinitatem que nobis est cum insulis sepedictis, quam propter comoditatem et oportunitatem quam habemus pre ceteris ipsas insulas expugnandi, ac etiam propter negocium quod iam per nos et gentes LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1189 Castille à laquelle il est ici fait allusion est de 1336, les hostilités contre les rois maures — auxquelles se rattache la victoire de Carlo Pessagno assignée à 1342 par l'inscription de S. Stefano à Gênes mentionnée ci-dessus (x) — ayant commencé en 1340 (2). C'est donc peu avant 1336, ou en cette année, que doit se placer la découverte des Canaries pour compte du Portugal. Comme, d'autre part, la carte de Dulcert attribue cette découverte à Lanzarotto Malocello qui était génois, celui-ci doit avoir agi pour le compte du roi Alphonse IV. Il était donc certainement un des techniciens génois qui gravitaient autour de Manuel Pessagno, avec la famille duquel d'autres Malocello entretenaient des relations d'affaires (3). Le fait que la bannière génoise accompagne le nom de Lanzarotto sur la carte de Dulcert ne comporte aucune implication politique, car jamais Gênes ne s'est considérée comme souveraine des Canaries (4). La lettre d'Alphonse IV a été l'objet de polémiques. Le témoignage en fut retenu dès 1819 par Costa de Macedo qui reprit son argumentation en 1835 (5). En 1839 l'amiral Quintela opposa une fin de non-re-cevoir, en maintenant que la première expédition portugaise eût dû être suivie d'autres, ce qui, à l'en croire, ne fut pas le cas. D'autre part les Madères auraient dû être découvertes par la même occasion (e). Aires de Sa et Joâo da Rocha, à la fin du xixe siècle et au début du xxe, nostras féliciter fuerat inchoatum, ad ipsum laudabiliter finiendum debuissemus per Sanctitatem Vestram prius quam aliquis invitan vel saltern id rationabiliter debuisset nobis Vestra Sanctitas intimare ». Il s'agit donc d'une protestation bien claire contre la donation pontificale. Le reste de la lettre laisse entendre que Luis de la Cerda ne doit attendre aucun secours du Portugal. (1) Cf. ci-dessus, p. 1187. (2) V. MagalhÀes Godinho : Documentes sobre a expansâo portuguesa, t. I (Lisbonne, s. d.) p. 33 ; D. Peres : Historia dos descobrimentos Portugueses (Porto, 1943, p. 11. (3) Cf. ci-dessus, p. 1179. (4) De plus, la carte génoise de Barthélémy Pareto de 1455 (cf. ci-dessus p. 1175 n. 4) interprète cette bannière en ajoutant simplement au nom de Malocello « Jan-uensis ». (5) Memorias para a historia das navegaçôes e descobrimentos dos Portugueses (Memorias Acad. R. das Ciencias, t. VI, la, pp. 1-19) ; Additamentos (ibid. t. XI, 2a, pp. 177 sqq.). (6) Annaes da Marinha portuguesa, 1839, p. 75. 1190 CH. VERLINDEN nièrent l'authenticité de la lettre (*). Ce dernier abandonna cette opinion, principalement après la publication par Antonio Baiâo, conservateur des Archives Générales de Torre do Tombo, d'une étude critique du document (2). Aires de Sa se montra plus obstiné, mais s'attira une réplique de P. de Azevedo (8). La question peut être considérée comme résolue depuis la localisation exacte du texte dans le Reg. Vat. 138 fls 148-149 (4). Toutefois, D. Peres a voulu identifier le voyage de Lanzaroto Malocel-lo qu'il place en 1336 avec celui daté de 1341 par un texte attribué à Boccace (5). Voyons ce qui en est. Ce texte figure dans les Miscelanea B. R. n° 50 de la Bibliothèque Nationale à Florence (6) et s'intitule « De Canaria et insulis reliquis ultra Ispaniam in oceano noviter repertis ». Il commence par une phrase qui montre clairement l'origine des informations qu'il contient : « Anno ab incarnato verbo M. CCCXLI0 a mercatoribus florentinis, apud Sobiliam (= Seville) Hispanie ulterioris civitatem morantibus, Florentiam lit-terae allate sunt ibidem clause XVII kal. decembris anno iam dicto in quibus que disseremus inferius continentur » (7). Continuons à transcrire le début du texte : « Aiunt quidem primo de mense Juin huius anni iam dicti duas naves, impositis in eisdem a rege Portogallï opportunis ad transfretandum commeatibus et cum hiis navicula una munita, omines Florentinorum, Januensium et Hispanorum castrensium (Castillans) et aliorum Hispanorum a Lisbona civitate datis velis in altum (1) Aires de Sa : Frei Gonçalo Velho (2 vol. Lisbonne, 1899-1900) ; Frei Gonçalo Velho. Comentarios (Revue hispanique, 1914) ; Introduction au t. Ier des Estudos de cartografia antigua du Vte de Santarem. (Lisbonne, 1920). JoAo da Rocha : A lenda infantista (Lisbonne, 1915). (2) Os meus pareceres a respeito das reproduçoes da carta de D. Afonso IV (Boletim 2a classe Acad. das Ciencias, t. XI, pp. 71 sqq.). (3) O traslado da carta de D. Afonso IV ao papa Clemente VI sobre as Canarias (Ibid., pp. 66-70). (4) Silva Marques : op. cit. t. I, p. 86 et déjà F. da Fonseca : Historia dos des-cobrimentos Portugueses. A carte de D. Afonso IV ao Papa Clemente VI (Anais das Bibliotecas e Arquivos de Portugal, t. II, 1916, pp. 57 sqq). (5) D. Peres : op. cit., p. 15. (6) Silva Marques : op. cit., t. I, p. 77. (7) Ibid. n° 69, p. 77. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1191 abiisse, ferentes insuper equos et arma et machinamenta bellorum varia ad civitates et castra capienda ». A première vue, il semble donc s'agir ici d'une expédition de conquête qui aurait suivi une première expédition de reconnaissance. Le roi de Portugal a fourni des vivres et une «navicula munita»,mais ce qu'il dit dans la lettre de 1345 interdit de penser qu'il ait considéré — du moins en 1345 — l'expédition de 1341 comme une « armata nostra » destinée « ad prefatas insulas expugnandas » (*). C'est que, en effet, l'expédition de 1341 présente un caractère composite. Il y a bien des Génois à bord et ceux-ci peuvent fort bien avoir été des collaborateurs directs des Pessagno et donc du roi. Mais il y a aussi des Florentins — ce qui n'est, sans doute, pas fort dangereux pour le Portugal — et des Castillans, ce qui l'est certainement beaucoup plus, surtout à la lumière de la donation des Canaries, en 1344, à l'Infant castillan Luis de la Cerda. Les « alii His-pani » qui sont également mentionnés peuvent avoir été des Catalans. Et nous savons que des expéditions catalanes ont été envoyées aux Canaries dès 1342 (2). Là aussi il y avait de dangereux concurrents, et l'on comprend qu'en 1345 Alphonse IV n'ait pas voulu reconnaître qu'il ait eu partie liée en 1341 avec d'autres que des gens à son service. Mais poursuivons l'étude du texte. En 1341, les îles étaient bien connues puisque l'expédition y parvient en cinq jours de Lisbonne sans aucune hésitation : « querentes ad eas insulas, quas vulgo repertas dicimus(3) et ad has, favente vento secundo, post diem quintum pervenisse omnes » (4). L'un des capitaines était le Génois Niccoloso da Recco (5). Comme Vautre capitaine n'est pas mentionné, une main a ajouté en marge « le Florentin qui était capitaine de ces navires était Angelino del Tegghia de Corbizzi », en y joignant une (1) Cf. ci-dessus, p. 1188. (2) M.Bonet : Expediciones de Mallorca a las Islas Canarias (Bol. Soc. Arqueol. Luliana, Palma de Majorque, t. VI, 1896), p. 286 ; E. Serra Rafols : El descubri-mento y los viajes médiévales de los Catalanes a los Islas Afortunadas (Santa Cruz Teneriffe, 1926). Cf. Hennig : op. cit., t. III, p. 258. (3) Les Canaries ne se sont jamais appelées « Repertae ». Faut-il comprendre que l'auteur lui même savait qu'elles étaient connues avant 1341 ? (4) Silva Marques : loc. cit. (5) « Verum Nicolosus de Reecho, Januensis, alter ex ducibus navium illarum » (op. cit. p. 77). 1192 CH. VERLINDEN indication sur sa parenté florentine Q). Cette addition marginale contient évidemment une contradiction, puisque le texte lui-même dit, à propos de Niccoloso da Recco, qu'il était « alter ex ducibus ». Le Florentin et lui se trouvaient donc sur le même pied. Faute de l'avoir observé, certains auteurs, dont Hennig (2), disent que Tegghia était capitaine et Recco pilote, ce qui est faux. Il y a, de plus, certaines raisons de croire que Recco était un de ces Génois qui se trouvaient, en tant que collaborateur des Pessagno, au service du Portugal, car, après avoir fourni une série de renseignements aux marchands dont la lettre sert de source au texte sur le voyage de 1341,1e Génois refuse de leur communiquer certaines autres données (3). A qui pouvait-il en réserver le secret? Certainement pas à Gênes qui ne s'intéresse pas ultérieurement aux Canaries ; pas à lui-même, car, s'il avait eu les moyens de s'intéresser seul aux Canaries après avoir appris leur découverte par Lanzarotto Malocello à Lisbonne, il ne se serait pas associé à tant de collaborateurs d'origine si diverse. Il ne reste donc que le souverain portugais, qu'il doit avoir représenté à titre officieux pendant l'expédition. On peut d'ailleurs se demander si le fait que l'archipel est atteint, directement, sans hésitation, en l'espace de cinq jours, n'est pas dû à ce que Niccoloso le connaissait pour avoir participé à l'expédition de Lanzarotto vers 1336. D'après le récit de Niccoloso les Canaries se trouvent à «milia passuum fere nongenta » de Seville et à une distance beaucoup moindre (longe minus) du Cap St. Vincent. Une première île aurait eu un pourtour d'environ 150.000 pas ; elle était « lapideam omnem atque silvestrem, habundantem tarnen capris et bestiis aliis atque nudis hominibus et mulieribus, asperis cultu et ritu » (4). Après quoi les navigateurs passèrent « ad aliam insulam fere maiorem ». Ils s'étaient seulement risqués sur la côte de la première île ; mais, sur la seconde, ils n'osèrent d'abord pas aborder à cause de la masse des indigènes qui se trouvaient sur la rive. Ils en firent alors le tour et débarquèrent vingt-cinq hommes sur la côte nord, qui était la mieux cultivée. Suivent des renseignements (1) Magalhaes Godinho : op. cit. p. 28 n. 2. (2) Hennig : op. cit., t. III, p. 255. (3) « Ceterum et multas alias res invenere quas hic Nicolosus noluit recitare (Silva Marques : op. cit., p. 79). (4) Ibid. p. 78. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1193 sur les productions naturelles de cette seconde île et sur une idole rapportée de là à Lisbonne. Une troisième île fut visitée ; elle semblait inhabitée. Une quatrième était également déserte. Une cinquième était pourvue de « lapidei montes excelsi nimis et pro maiori temporis parte nubibus tectietin ea pluvie crebre ». L'île, cependant, « sereno tempore apparet pulcerrima et existimatione videntium habitata ». Treize autres îles auraient encore été visitées, « alias habitatas, alias omnino desertas ». Plus ils avançaient, plus les navigateurs en voyaient. De ces treize îles, six semblaient habitées. Ils trouvèrent « insuper et aliam insulam inquamnon descenderunt, nam ex ea mirabile quoddam apparet ; dicunt enim inhac montem con-sistere altitudinis pro existimatione XXX milia passuum seu plurimum, qui valde a longe videtur » i1). Une seule île a un nom dans le texte, si toutefois la lecture « Canaria » est certaine (2). En tout dix-huit îles auraient donc été visitées ou aperçues, ce qui est beaucoup et ne peut se concevoir que si, en dehors des douze îles d'une certaine étendue (Ferro, Palma, Gomera, Ténérife, Gran Canaria, Fuer-téventura, Lanzarote, Graciosa, Alegranza, Santa Clara, Lobos, Rocca), on compte aussi des îlots. On peut, en tout cas, admettre que tout l'archipel a été vu en 1341. Hennig pense que certains détails de la description du voyage de 1341 contiennent déjà des indications permettant de reconnaître facilement des noms qui apparaîtront bientôt sur les cartes, notamment ce qui est dit des chèvres et des pigeons, nombreux sur deux des îles (3). Cela annoncerait les appellations « Capraria » et « insula de columbis » (1) Cette montagne a d'ailleurs fortement impressionné les voyageurs : « Et apparet in eius vertice quoddam album et, cum omnis lapideus mons sit, album illud videtur formam arcis cuiusdam habere ; attamen non arcem sed lapidem unum acu-tissimum arbitrantur, cuius apparet in summitate malus, magnitudinis in modum mali cuiusdam navis, ad quern apprehensa pendet antenna cum velo magne latine navis in modum scuti retracto, quod in altitudinem tractum tumescit vento et ex-tenditur plurimum ; deinde paulatim videtur deponi, et similiter malus in morem longe navis demum erigitur et sic continue agitur ; quod undique circundantes insulam fieri advertere ; quod monstrum cantatis fieri carminibus arbitrantes in eam-dem insulam descendere ausi non sunt » (Ibid. p. 79). (2) Ibid p. 79, n. 1. (3) Op. cit., t. III, p. 257. 1194 CH. VERLINDEN qu'on retrouvera plus tard C). Les détails concernant la montagne mystérieuse qui couronnait l'une des îles (2) sont, avec raison, mis en rapport par R. Caddeo avec le Pic de Teyde à Ténérife dont l'altitude réelle est de 3.718 m. (3). La nomenclature des îles nouvellement découvertes apparaît tout à coup, avec un développement extraordinaire, dans le fameux Libro del Conoscimiento de todos los regnos e tierras e sehorios que son por el mundo du franciscain espagnol anonyme qui écrivit, pense-t-on généralement, vers 1350. Voici le passage en question (4) : « Sobi en un leno con unos moros δ llegamos a la primera isla que dizen Gresa, δ apres della es la isla de Lançarote, δ dizen le asi porque las gentes desta isla mataron a un ginoves que dezian Lançarote, δ dende fuy a otra isla que dizen Bezi-marin, δ otra que dizen Rachan. δ dende a otra que diçen Alegrança, δ otra que dizen Vegimar, δ otra que dizen Forteventura, δ otra que dizen Canaria, δ fuy a otra que dizen Tenerefiz, δ a otra que dizen la isla del Infierno, δ fuy a otra que dizen Gomera, δ a otra que dizen la isla de lo Fero, δ a otra que dizen Aragavia, δ a otra que dizen Salvaje, δ a otra que dizen la isla Desierta, δ a otra que dizen Lecname, δ a otra el Puerto Santo, δ a otra la isla del Lobo, δ a otra la isla de las Cabras, δ a otra la isla del Brasil δ a otra la Columbaria, δ a otra la isla de la Ventura, δ a otra la isla de Sant Jorge, δ a otra la y sla de los Conejos, δ a otra la isla de los Cuervos marines, h en tal manera que son veynte δ cinco yslas ». Deux ms. autres que celui que l'éditeur, M. Jiménez de la Espada, a pris comme base, présentent quelques variantes. Ils laissent de côté Vegimar qui figure dans le ms. de base entre Alegranza et Fuerteventura, évitant ainsi une duplication évidente avec Bezimarin (5). Ils ajou- (1) Pour les chèvres, cf. ci-dessus, p. 1192. Les détails concernant les pigeons se rapportent à la quatrième île : « inde ad aliam navigantes eam rivis et aquis opti-mis copiosam invenerunt, et in eadem ligna plurima et palumbes, quos baculis et lapidibus capiebant et commedebant, invenerunt » (Silva Marques : op. cit., t. I, p. 78). Ces pigeons ont, en effet, frappé les voyageurs, car le texte ajoute : « hos di-cunt maiores nostris et gustui taies aut meliores ». (2) Cf. ci-dessus, p. 1193 n. 1. (3) Le navigazioni atlantiche di Alvise da Cà da Mosto, Antoniotto Usodimare e Niccoloso da Recco (Milan, 1928) p. 146 n. 2. (4) éd. M. Jimenez de la Espada (Madrid, 1877), p. 50. (5) Cf. ci-dessous la nomenclature des cartes. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1195 tent in fine : « E de todas estas yslas non eran pobladas de gentes mas de las tres que son Canaria h Lançarote e Forteventura, e las gentes que ende moran son a taies como estos ». Suit alors un dessin représentant un sciapode ou monopode, être légendaire pourvu d'un seul pied qui sert à porter ombre, bien connu depuis la tératologie de Pline, qui eut tant de succès surtout au haut moyen âge. Nous avons donc ici 25 îles, ce qui fait 7 de plus encore que dans la relation de 1341. Manifestement nous avons affaire à un mélange des trois archipels (Canaries, Madères, Açores), auquel viennent s'ajouter des éléments légendaires et des duplications. Dans l'archipel des Canaries, on reconnaît aisément Graciosa (Gresa), Lanzarote, Lobos (Bezimarin = Vegimar), Rocca (Rachan), Alegranza, Fuerteventura, Go-mera, Ferro. Dans les Madères : Déserta, Madère (Lecname), Porto Santo. Dans les Açores : San Jorge et Corvo (Cuervos marines). Nous reviendrons plus tard, en la comparant à celle de la cartographie, à la nomenclature légendaire et aux duplications. Contentons-nous de noter, pour le moment, ce fait troublant — ou cette coincidence ?, singulière à la vérité — que, si l'on additionne les îles de quelque importance que relève la cartographie actuelle pour les trois archipels, on trouve effectivement 25 îles, soit 12 pour les Canaries (Ferro, Palma, Gomera, Téné-rife, Gran Canaria, Fuerteventura, Lanzarote, Graciosa, Alegranza, Santa Clara, Lobos, Rocca), 3 pour les Madères (Madère, Porto Santo, Déserta), 10 pour les Açores (Fayal, Pico, San Jorge, Graciosa, Terceira, San Miguel, Santa Maria, Formigas, Flores, Corvo). Faut-il en conclure que les trois archipels étaient connus en entier au moment où écrivait le franciscain espagnol et que seules des confusions de noms auraient eu lieu ? Nous tenterons, ultérieurement, de voir ce que l'on peut en penser à la lumière de la nomenclature des cartes. Il importe d'abord de dater avec plus de précision le Libro del Cono-scimiento et de dégager ce qu'il nous apprend à propos de Lanzarotto Malocello. Le dernier fait mentionné dans le texte du Libro est de 1348. Il s'agit de la défaite d'Abou-1-Hasan, roi du Maroc, près de Kairouan le 10 avril de cette année (x). Un autre passage fait allusion à la victoire (1) Libro p. 42 : « En esta Alcarahuan fue desbaratodo Albohaçen, rey de toda Africa fasta el Poniente ». Pour la date, cf. Ibn Haldoun : Hist, des Berbères (trad. de Slane) t. IV, pp. 259 sqq. 1196 GH. VERLINDEN des Génois sur les Catalans qui valut aux premiers la possession de la Corse. Cette victoire est d'août 1347. Le Libro ajoute « e por eso an (= les Catalans) oy dia guerra con ellos (= les Génois) ». Or, cette guerre se termine par une trêve de cinq ans en 1360 Q). Par conséquent nous avons ici des éléments qui permettent de placer la rédaction du Libro entre 1348 et 1360 et qui, de plus, rendent très vraisemblable que cette rédaction doive se placer fort peu de temps après 1348 ou en cette même année. Les faits datés auxquels nous avons fait allusion ne sont, en effet, pas les seuls que l'on trouve dans le Libro. Plusieurs faits relatifs aux années 1340 et suivantes sont mentionnés (2). Pourquoi n'en aurait-il pas été de même pour la décade 1350-1360, si c'était à l'intérieur de celle-ci qu'il faudrait placer la rédaction du Libro ? Peut-être peut-on trouver quelque raison supplémentaire de placer celle-ci très près de 1348 dans le fait que la grande peste n'y est pas mentionnée. Or, l'auteur est Castillan et la peste apparaît plus tard enCastille qu'en Catalogne et en Aragon. Elle semble y avoir régné en 1349 et 1350 (3). En ce qui concerne Lanzarotto Malocello, nous avons vu que le Libro dit qu'il fut tué par les habitants de Lanzarote, l'île qui porte son nom dès 1339, date de la carte de Dulcert (4). Nous savons aussi que Le Canarien de Pierre Bontier et Jean Leverrier, chapelains de Jean de Béthen-court, mentionne au chapitre XXXII « un vieil chastel que Lancerote Maloisel avait jadis fait faire» (5). Toutefois le ms. original — British Museum, Eggerton n° 2709 — a au chap. 28 après « faire », « quant il conquist le pays » (6). Nous apprenons donc ici que Lanzarotto Malocello s'est vraiment établi dans le pays. (1) Ibid. p. 43. Pour les dates, cf. Villani et Zurita cités par Jiménez de la Espada, pp. 134 sq. (2) Par exemple, pp. 121 (1344), 131 (1340). (3) G. Verlinden : La grande peste de 1348 en Espagne. Contribution à l'étude de ses conséquences économiques et sociales (R. B. P. H. t. XVII, 1938, pp. 102-146). (4) Cf. ci-dessus, p. 1175. (5) éd. R. H. Major (Hakluyt Society, 1872) p. 55. Autre édition par G. Gravier (Rouen, 1874). Ces deux éditions sont établies d'après un texte d'environ 1500. (6) éd. P. Margry (Paris, 1896). Cf. aussi B. Bonnet Reveron : Las expediciones a las Canarias en el siglo XIV (Revista de Indias, t. V, Madrid, 1944). p. 595 avec une fausse datation (1312) des événements basée sur les prétentions des sieurs de Maloisiel (1632). Cf. ci-dessus, p. 1176. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1197 Une série de trois documents publiés par Silva Marques pose des problèmes qui se rattachent au séjour de Lanzarotto dans son île. Le 29 juin 1370, le roi Ferdinand de Portugal fait une donation à « Llansarote de Framqua, almyrante, noso vassalo, per muytos servyços que ata aquy recebemos délie e entendemos de rreceber ao dyante, aven-do délie nos as yllas que trobou e nos gaanou que som no mar do Cabo Nom» (1). Ce Lanzarote de Framqua (= de France?) est donc amiral du roi et son vassal pour certaines îles qu'il a découvertes et conquises près du Cap Non. Il s'agit évidemment des Canaries, comme on le verra encore plus loin. Ces îles « nom som pobradas porque délias nom teemos feyto mercee a pessoa que as aia de pobrar ». Ceci ne veut pas dire que les îles en question n'étaient pas habitées par des indigènes, mais bien qu'elles n'avaient pas été données en vue d'en assurer le peuplement par des colons, c'est-à-dire d'en faire ce qu'on appellera plus tard, dans la colonisation espagnole, le repartimiento. La répartition des terres aux colons se faisait, en effet, par un entrepreneur de colonisation. Ainsi, lorsque Jean de Béthencourt s'installe, au début du xve siècle, comme vassal du roi de Castille, à Lanzarote et Fuerteventura, il répartit des terres. Il en fit de même à Gomera (2). Le privilège de 1370 continue de la manière suivante « de nosa muy livre e pura vontade e de nosa ciencia certa daamos e doamos e outorgamos e fazemos livre e pura doacçao antre vivos, per sempre valledeyra, ao dicto Llansarote, noso almirante, pera ssy e pera todos seus erdeyros e successores das duas yllas primas que trobou de Nosa Senora a Framqua e de Gumeyra ». En marge, une autre main a ajouté à côté de « Nossa Senora a Framqua »: « dicta Lançarote ». Donc ce Lanzarote de Framqua a découvert l'île de Lanzarote. Il ne peut, par conséquent, s'agir que de Lanzarotto Malo-cello, le découvreur génois. Nous reviendrons plus loin sur le cas de Gomera. Pour le moment, nous ferons remarquer qu'il doit s'être écoulé entre la découverte de Lanzarote vers 1336 (3) et son occupation effective par Lanzarotto Malocello un temps assez long. En effet, en 1341, pas plus qu'en 1345. c'est-à-dire lors de l'expédition de Niccoloso da (1) Silva Marques : op. cit. t. I, n° 115, p. 127. (2) S. Zavala : Las conquistas de Canarias y America ds Estudios Indianos (Mexico, 1948) pp. 81, 83. (3) Cf. ci-dessus, p. 1189. 11Ô8 CH. VERLINDEN Recco d'une part, et lors de la rédaction de la lettre d'Alphonse IV au pape Clement VI de l'autre, il n'est dit que l'une des Canaries ait été occupée par des Européens. C'est même pour ce motif que le pape avait pu concéder l'archipel à l'Infant Luis de la Cerda. D'ailleurs le roi de Portugal, pour faire valoir ses droits, n'invoque pas l'occupation, mais la découverte. Le terme « occuparunt » est bien employé dans la lettre de 1345, mais exclusivement à propos de « homines.. . animalia et alias res » qui furent amenés au Portugal Q). Il ne doit avoir été question d'occupation que vers 1351, puisqu'en cette année une bulle prévoit une nomination épiscopale qui n'eut d'ailleurs pas lieu (2). La donation se fait avec tous les droits réels et corporels (reaaes e corporaaes) et « tam cumpridamente como os nos devyamos daver », «com to da juridiçam, crrime e cyvil,mero e mysto imperio e subjeçam assy nas pessoas como nos bees, afora apelaçam do crrime que resalvamos pera nos ». Les pouvoirs judiciaires du donataire sont donc limités par le droit d'appel réservé au roi. La donation, on l'a vu, est héréditaire. Lanzarotto est toujours « senor das yllas e noso vassalo » en 1376, année pendant laquelle il reçoit une confirmation de la donation précédente (3). Mais cette confirmation contient des renseignements extrêmement intéressants. Lanzarotto se plaint, en effet, de ce que la donation n'a, pour lors, pas d'effet. « Ora a dicta caarta nom he guaardada ne cumprida, nêm o dicto Llamsarote entregue de sa natural posiçam per rezô dos naturales délias (de Lanzarote et Gomera) e outros lhe fazerê força so-brello e ëmpecerem sa posse, em guisa que nom ha firmydom sa senoria». Le Génois a donc été chassé par les naturels et d'« autres». De quoi s'agit-il ? La suite du texte le montre. Le malheureux « amiral » demande au roi « que a esto lhe ouvesse alguü remedio ». Le souverain sait que tout cela est arrivé « per rezö da ficada guerra que ouve com os dictos Gaächos e Castellaös ». Il le confirme « como a muy boo merecente » dans sa charge de «capitom moor» des îles, mais, sachant bien qu'il s'agit à ce moment d'une satisfaction toute morale, il lui donne en com- (1) Cf. ci-dessus, p. 1188. (2) D. J. WÖLFEL (ed.) Leonardi Torriani. Die Kanarischen Inseln und ihre Ur-bewohner (Leipzig, 1940), p. 69. Cf. sur les évêchés canariens, les listes de Gams et Eubel. (3) Silva Marques : op. cit., t. I, n° 137, p. 155. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1199 pensation les savonneries noires de Tavira, Castro Marim, Alcoutim et Aldeia de Martim Longo en Algarve. Le 8 novembre 1385, Jean Ier d'Aviz, qui vient d'obtenir la dignité royale après la bataille d'Aljubarrota, confirme à Lopo Alfonso da Framqua, « cavalheyro, noso vassalo, almyrante das galles », la possession des savonneries. L'exposé des motifs est du plus grand intérêt : « E visto per nos sseu rrequeremento e os muytos e boons servyços de so padre, a que Deus perdoe, capitom moor das yllas na guerra e navegaçam e que hora teve hôrado f im nadeLlanssarote, asmuytasegrädes rezzooës que teemos per o outorgar, e quereendo llo nos conocer com graças e mercees o que cadhuü senor he theudo a fazer aaquelles que o servem bê e lealmête, confirmamos... » (*). Donc Lanzarotto est mort récemment à la guerre dans l'île qui porte son nom. Remarquons d'abord que ceci s'accorde fort bien avec les documents notariés génois de 1384 et 1391 cités par Canale, dans lesquels est mentionnée la veuve d'un Lanzarotto Malocello (2). Comment Lanzarotto a-t-il pu devenir amiral? On se rappellera que le poste a été vacant entre 1365 et 1367 (3). Il est très vraisemblable que Lanzarotto Malocello aura alors remplacé Lanzarotto Pessagno, destitué par Pierre Ier. Quand ce dernier a été réintégré dans son office par le nouveau roi Ferdinand, celui-ci aura maintenu Lanzarotto Malocello dans sa dignité, en raison de ses services aux Canaries, où il se trouve vraisemblablement alors, puisque la possession lui en est reconnue par le souverain en 1370 (4). En 1370, Lanzarotto s'appelle Lanzarote de Framqua. C'est donc, vraisemblablement, qu'il a, entre temps, résidé en France comme d'autres Malocello — devenus Maloisel — , notamment Manfroy, Antoine-Jude et Charles qui commandèrent des galères génoises au service de la France après 1338 (5). Nous pouvons à présent nous représenter comme suit la carrière de Lanzarotto Malocello. Il est l'un des techniciens génois qui servirent le Portugal sous Manuel Pessagno. Il découvre vers 1336 Lanzarote, mais (1) Ibid. η» 162, p. 186. (2) Cf. ci-dessus p. 1177 n. 4. (3) Cf. ci-dessus, p. 1187. (4) Cf. ci-dessus, p. 1197. (5) B. Bonnet Reverron : op. cit (Revista de Indias, t. V, 1944), p. 594. 77 1200 CH. VERLINDEN ne l'occupe pas. Cette découverte a été faite pour le compte du Portugal. Lanzarotto, qui devait être très jeune à ce moment, ne trouve pas à satisfaire ses ambitions dans ce pays, parce que les hauts postes dans la flotte sont entre les mains des Pessagno. Il émigré en France et vraisemblablement y sert le roi. Il reprend du service au Portugal à la fin du règne de Pierre Ier. Il séjourne alors aux Canaries pendant une vingtaine d'années^), mais avec une interruption vers 1376, et y est finalement tué peu avant 1385. Pendant tout ce temps il tient Lanzarote et Gomera comme vassal portugais. De même que sa découverte de 1336 a été faite au service du Portugal, il a occupé les deux îles au nom et comme représentant du même pays. Pendant toute cette période la découverte des archipels a progressé. Nous le savons déjà par le Libro del Conoscimiento que nous avons daté de 1348 ou 1349. Dans le Libro nous avons trouvé mention, pour les Canaries, de Graciosa, Lanzarote, Lobos, Rocca, Alegranza, Fuerteven-tura, Gomera et Ferro ; pour les Madères, de Déserta, Madère et Porto Santo ; pour les Açores, de San Jorge et Corvo. La carte de Dulcert de 1339 ne connaissait encore que les îles suivantes dans la zone des archipels : « Insulle Sei Brandani sive puelarum », légendaires évidemment, « Primaria », nom dont on ne peut rien tirer, « Insula Capracia», qui rappelle les chèvres mentionnées dans le récit de l'expédition de 1341 (2), « Canada », « Insula de Lanzarotus Marocelus », « Vegi Mari » (Lobos) et « La Forte Ventura ». Il s'agit donc exclusivement, à ce moment, de quelques-unes des îles Canaries. Rien ne semble connu dans les autres archipels (3). Dans le portulan laurentien de 1351, il n'en est plus ainsi. En allant du nord au sud, celui-ci montre d'abord un groupe de quatre îles : « In- (1) Cf. ci-dessus, p. 1176 la tradition rapportée par les Maloisel français. Quant à l'âge de Lanzarotto au moment de la découverte de l'île qui porte son nom, il importe de tenir compte du fait que les marchands de ce temps commençaient très tôt leur carrière maritime. Alvise de Gà da Mosto fait son premier voyage en Guinée à 22 ou 23 ans. Avant d'arriver au Portugal l'année précédente, il avait voyagé dans toute la Méditerranée et avait été en Flandre. Cf. R. Gaddeo : op. cit., p. 165. Si Lanzarotto avait une vingtaine d'années en 1336, il doit être retourné à Lanzarote avant d'avoir atteint la cinquantaine, et y être mort avant l'âge de 70 ans. (2) Cf. ci-dessus, p. 1192. (3) NoRDENSKiöLD : PeHplus pi. VIII. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1201 sula de Cervis (— Corvis) marinis, Insula de Ventura sive de Colombie, I. de Brazi, Insula de Cabrera ». Nous avons affaire ici à un premier archipel dont la nomenclature est fort fantaisiste, puisqu'elle combine l'île légendaire de Brazi (— Brazil) avec des projections vers le nord d'îles canariennes, notamment Ventura pour Fuerteventura et Cabrera pour Capracia chez Dulcert. Néanmoins, il semble hors de doute qu'on ait voulu figurer les Açores, car le groupe des quatre îles citées s'oppose très nettement à deux autres groupes pour lesquels il ne peut pas y avoir d'hésitation : il s'agit des Madères et des Canaries, comme on le verra dans un instant. Cette opposition pousse à admettre que Cervis Marinis est Corvo des Açores quis'appelle d'ailleurs Cuervos marines dans \eLibro del Conoscimiento. Pour les Madères, la carte de 1351 donne très correctement « Porto Sancto, I. de lo Legname et I. Déserte ». Pour les Canaries on trouve « Lalegranza, i. de Lanzarote, i. de Vegimarin, i. de For-teventura, Canada, Γ Inferno, Cervi, I. Senza Ventura, I. deLiparme » Q). C'est-à-dire qu'outre les îles figurant sur la carte de Dulcert, apparaissent maintenant Alegranza, Ténérife (= Infierno, à cause du volcan de Teyde) et Palma (Liparme) qui sont mentionnées aussi par le Libro. Malgré les confusions, les duplications — il y a même une triplication : Ventura, Forteventura, Senza Ventura — , il est évident que cette carte prouve que la connaissance des Canaries s'était développée depuis 1339, que celle des Madères s'y était jointe au complet et que les Açores étaient connues en partie. C'est ce qui résulte aussi de l'examen du texte du Libro auquel nous avons procédé plus haut (2). La carte de Pizzigani de 1367 de la Bibliothèque de Parme (3) présente une nomenclature assez décevante. Il y figure deux fois une Insula de Brazi, sans /, comme dans la carte de 1351 ; puis viennent les « Ysole dctur (=dicuntur) Fortunate », parmi lesquelles se trouvent Ysola Ca-naria et Ysola Capinçia, cette dernière, évidemment une cacographie de la forme Capracia que l'on rencontre chez Dulcert. Plus bas, figure un groupe d'îles dont les noms sont également repris aux noms réels des Canaries, comme suffisent à le prouver des appellations comme Ysola Forteventura, Ysola del Inferno (= Tenerife), Ysola Palma, Ysola (1) Ibid. p. 115 (2) Cf. ci-dessus, p. 1194. (3) de la Roncière : op. cit. t. I, p. 64. 1202 GH. VERLINDEN de Gomaria ». Plus mystérieuse semble à première vue une Ysola De-clarie, mais c'est évidemment Santa Clara. Deux noms incomplets semblent se terminer l'un en grança (Alegrança), l'autre en marni avec un signe d' abbreviation, ce qui évoque Vegimarini et d'autres analogues que nous avons déjà rencontrés. Il en résulte que le caractère décevant de la nomenclature de la carte se manifeste surtout pour les Açores et les Madères, mais que pour les Canaries il y a progrès, puisque Gomera et Santa Clara apparaissent pour la première fois dans la cartographie. Ceci appelle différentes remarques. Gomera figure dans le Libro del Conoscimiento, alors que la carte de 1351 ne la connaît pas. Santa Clara n'est pas mentionnée dans le Libro, mais bien chez Pizzigani, à moins que dans le Libro elle ait donné lieu à la forme isolée Aragavia (x), — ce qui semble douteux — forme qui d'ailleurs ne se lit sur aucune carte. En tout cas, la nomenclature du Libro apparaît comme plus évoluée que celle de la cartographie que nous avons examinée jusqu'à présent. Faut-il en conclure que le passage relatif aux archipels atlantiques a été complété par interpolation dansdesms. postérieurs à l'original... que nous ne possédons d'ailleurs pas? En tout cas le développement de la connaissance des archipels est manifeste d'après la cartographie postérieure à la date du Libro. Si nous voulons essayer de nous faire une idée de la date à laquelle ces interpolations auraient été insérées dans le texte nous devons tenir compte d'un élément important : le Libro mentionne la mort du « ginoves » à Lançarote (2). Or, nous avons vu que cette mort se place peu avant 1385 ou en cette année (3). C'est donc avec celle de la cartographie des années voisines que nous devrons surtout comparer la nomenclature du Libro. Du coup, dans l'hypothèse d'une interpolation, la contradiction apparente entre la mention de la mort de Lanzarotto dans le Libro (1348-49) et celle qui figure dans le privilège royal de 1385 disparaîtrait. Nous y reviendrons. Pour le moment attachons-nous un instant au cas de Gomera qui apparaît sur la carte de Pizzigani de 1367. On se souviendra que dans le privilège de 1370, le roi Ferdinand parle d'une part des « yllas que trobou e nos ganou », c'est-à-dire des îles que trouva et conquit Lanzarotto ; d'autre part il est question aussi des (1) Cf. ci-dessus, p. 1194 le texte du Libro (2) Cf ci-dessus, p. 1194. (3) Cf. le privilège de Jean Ier de cette année, ci-dessus, p. 1199. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1203 « duas yllas primas que trobou de Nosa Senora a Framqua e de Gurney-ra » (*). D'après ce second passage, il semblerait que la découverte de Lanzarote (= Nosa Senora a Framqua) et celle de Gomera se seraient faites au même moment, donc très tôt, soit vers 1336 (2). Or cela est contredit par le premier passage relatif aux îles dans le même document de 1370. Il s'y agit, en effet, d'îles découvertes, oui, mais aussi conquises. Nous savons qu'il n'y a pas eu conquête en 1336, ni même assez bien plus tard (3). L'apparition tardive de Gomera dans la cartographie suggère l'idée qu'il y a ici une distinction à faire qui n'a pas été clairement formulée dans le privilège. C'est Lanzarote seule qui a été d'abord découverte — notamment vers 1336 ; c'est ce que suggère d'ailleurs aussi la carte de Dulcert de 1339. Gomera a dû être découverte et doit être devenue portugaise lors du retour de Lanzarote aux Canaries, c'est-à- dire vers 1365-67 (4). C'est ce qui explique son apparition tardive dans la cartographie et précisément vers cette date. Passons maintenant à l'atlas catalan de 1375 (5). Le plus au nord, et groupées, figurent Insula de Corvi Marini et Li Conigi, puis également groupées, San Zorzo, Insula de la Ventura, Li Colunbi et Insula de Brazil. D'après leur position, il est bien certain que nous avons affaire ici aux Açores. Le progrès par rapport à l'atlas médicéen de 1351 est, par ailleurs, évident en ce qui concerne la disposition des groupes d'îles, sinon l'orientation de l'ensemble de l'archipel. Nous avons noté déjà antérieurement la connaissance par les cartographes de Corvo. Kretsch-mer n'hésite pas à identifier Li Conigi à Flores, Ventura à Fayal, Li Colunbi à Pico, Brazil à Terceira. Nous avons rencontré San Jorge dans le Libro del Conoscimiento, mais c'est la première fois que nous la trouvons sur une carte (6). Six des neuf Açores semblent donc connues et le fait que l'une porte le nom de Li Conigi rend vraisemblable que les rongeurs qui lui procurèrent cette appellation y aient été introduits lors d'un contact européen plus ancien. Soulignons aussi, dans cette carte catalane, le caractère entièrement italien de la nomenclature. La forme « San (1) Cf. ci-dessus, p. 1197. (2) A propos de cette date, cf. ci-dessus, p. 1189. (3) Cf. ci-dessus, pp. 1198. (4) Cf. ci-dessus, p. 1199. (5) Reproduit dans de la Roncière : op. cit., t. I, pi. XL (6) K. Kretschmer : Die italienischen Portolane, pp. 686 sq. 1204 CH. VERLINDEN Zorzo » mérite de retenir particulièrement l'attention d'autant plus que S* Georges est un saint par excellence génois et que le Banco di S. Giorgio est bien connu, notamment par l'intérêt qu'il prit à la colonisation Q). Pour les Madères, les données sont les mêmes que sur la carte de 1351 : Porto Sancto, Insula de Legname, Insuie Déserte, mais, entre les Madères et les Canaries figurent les Insuie Salvatges, rocs inhabités réels qui sont nommés aussi dans le Libro. A noter également que la nomenclature de l'archipel proprement dit est italienne comme en 1351, mais que les îlots rocheux ont un nom catalan. Dix Canaries sont nommées: « Graciossa, Laregranza, Rocho, Insula de Lanzaroto Maloxelo, Insula de li Vegi Mari, Forteventura, Insula de Canada, Insula de Lanfernio, Insula de Gomera, Insula de 10 Fero. Tous les noms sont transparents. Lanfernio est évidemment Ténérife (Infierno) et c'est à tort qu'il a été lu parfois « Lanserano ». 11 y a donc ici dix Canaries sur douze. Palma et Santa Clara ont disparu, mais nous savons que Palma était connue en 1351 et Santa Clara en 1367. La preuve est donc faite que tout l'archipel est maintenant découvert. Avant de passer à la comparaison de la nomenclature cartographique avec celle du Libro nous allons examiner encore deuK cartes très voisines de la date de la mort de Lanzarotto Malocello, telle que nous l'avons déterminée sur la base du diplôme royal portugais de 1385 (2). Il s'agit d'abord de la carte dite de Pinelli-Walckenaer de 1384 (3). On peut y reconnaître d'abord Corvo et Flores dans les Açores qui apparaissent sous les noms déjà rencontrés de Corvi Marini et Li Cunigi. Puis viennent Sco. Zorzi et Ventura (S. Jorge et Fayal) qui ne sont pas nouveaux non plus. Ensemble également, Brasil et Nico (?), dont nous continuerons à identifier la première à Tercei-ra à la suite de Kretschmer et dont la seconde remplace Li Colonbi de 1375 que le même auteur identifie à Pico, ce qui contribue à faire surgir la question si Nico (?) n'est pas une cacographie pour cette dernière appellation. Puis viennent Caprara, c'est-à-dire S. Miguel d'après Kretschmer (4), et Biono qui semble bien une déformation (1) Nous y reviendrons dans une étude ultérieure sur la Mahone de Chio. (2) Cf. ci-dessus, p. 1199. (3) NoRDENSKiöLD : Perîplus, pi. XV, feuille de gauche. (4) Op. cit., p. 687. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1205 de Luovo, Lovo qui apparaît chez Soler (1385) ainsi que sur des cartes du xve siècle, et que Kretschmer identifie à Santa Maria (?). Il y a donc huit Açores ici, contre six en 1375, et il semble bien que seule Graciosa manque pour que l'archipel soit complet, si l'on ne tient pas compte des îlots rocheux des Formigas qui restèrent inconnus jusqu'à ce que Gonçalo Velho les découvrit en 1431 (2). Pour les Madères la nomenclature comprend (S) porto Santo, Y. de Legname, Déserte et Salvaze, qui sont également indiquées en 1375 et, de plus, une mention « Confi » dont on ne peut rien faire. Pour les Canaries, la nomenclature marque un léger recul par rapport à 1375. Voici celle de Pinelli-Walckenaer : Graziosa, Laregra-zia, Roco, Y. de Lanzaroto Maloxeli, Forteventura, Y. de Vegima-rini, Y. de Linferno, et deux noms plus difficiles: Y. Dumaria (?), qui est évidemment Gomera, et Funari, peut-être une déformation de Fero de 1375. Nous retournons à Majorque avec la carte de Guillaume Soler de 1385, postérieure de dix ans à l'atlas de même provenance de 1375 (3). Pour les Açores la nomenclature est pratiquement la même que dans Pinelli-Walckenaer, sauf que Columbis apparaît à nouveau à la place de Nico ( ?) et que Biono est remplacée par une forme meilleure : Lovo. Pour les Madères, Confi de Pinelli-Walckenaer a disparu. Pour les Canaries, la liste est la suivante : Sca Clara, Graciossa, Laregranza, Rocho, Insula de Lanzaroto Maloxello, Li Vegi Mari(ni), Forteventura, Canada, (Infe)rno, mais la carte a perdu un morceau précisément à cet endroit, ce qui rend possible qu'elle était aussi complète que celle de 1375. La toponomastique, à nouveau, est très italienne. Si à présent nous comparons la nomenclature dès cartes de 1375, 1384 et 1385 avec celle du Libro del conoscimiento, nous voyons que celle-ci comprend pour les Canaries toutes les îles que donnent ces cartes, sauf Santa Clara qui ne figure d'ailleurs que sur la carte de Soler. En outre, le Libro dédouble Vegimarini en Bezimarin et Ve-gimar, Ténérife — nom qui ne figure pas sur les cartes — en Tenere- (1) Ibid. (2) Op. cit. p. 686. (3) G. Marcel : Choix de cartes et de mappemondes des XIVe et XVe siècles (Paris, 1896) pi. II. 1206 CH. VERLINDEN fiz et Infierno qui y figure bien. Par contre, le Libro a, en plus, Ara-gavia, pour laquelle il ne reste décidément comme nom réel possible que Santa Clara (x). Pour les Madères la ressemblance est complète. L'île principale porte son nom italien (Lecname) et même les Salvages apparaissent, bien que comme une seule île (Salvaje). La liste des Açores, toutefois, est la plus révélatrice : elle comporte les huit îles qui ne figurent que sur les cartes de 1384 et 1385. La preuve de l'interpolation de tout le passage — reproduit plus haut — relatif aux archipels est donc faite, et la mention du Libro relative à la mort de Lanzarotto se rapporte effectivement à ces années-là. De plus c'est une carte du type dé celle de Soler qui a été employée par l'interpolateur du Libro, et non une carte italienne comme Pinelli- Walckenaer, puisque c'est très exactement, lue du sud au nord, la liste de 1385 que reproduit le Libro, alors que les versions aberrantes de Pinelli-Walckenaer (Nico?, Biono) n'y ont pas trouvé place. Voici d'ailleurs les deux listes en ce qui concerne les Açores, dont la nomenclature est d'une importance cruciale pour la datation de l'interpolation du Libro : Libro Lobo Cabras Brasil Columbaria Ventura Sant Jorge Conejos Cuervos marines Soler Lovo Capraria Brazir Columbis Ventura San Zorzo Conigi Cervi marini Donc, vers 1385, il était su, également en dehors de la chancellerie portugaise, que le Génois Lanzarotto venait de mourir sur l'île qui porte son nom. Nous savons que cette île porte le nom de Malocello depuis 1339. C'est donc Lanzarotto Malocello, et aucun autre Lanzarotto, qui y est mort. S'il en est besoin encore, nous pouvons répéter qu'il est certain que Lanzarotto Malocello et Lanzarote de Framqua ne font qu'un, et la biographie que nous avons établie (1) Cf. ci-dessus, p. 1202. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1207 plus haut est ainsi confirmée. Malocello est l'auteur génois de la découverte portugaise des Canaries et il a plus tard occupé et colonisé Lanzarote et Gomera pour le compte du Portugal. La progression extraordinaire que l'on observe après le milieu du siècle (carte de 1351) dans la connaissance des Madères d'abord, puis des Açores, semble bien, d'après la langue de la nomenclature, avoir été également l'oeuvre d'Italiens. Pour les Madères, il ne peut pas plus s'agir de Malocello que pour les Açores. Les premières sont atteintes à une époque où il est employé par la France à tout autre chose qu'à des découvertes atlantiques. Les secondes le sont lorsqu'il a les mains pleines aux Canaries. Ces archipels ont été découverts par d'autres Italiens bien placés pour les trouver. Il est évident qu'il s'agit plutôt ici d'Italiens opérant de bases relativement proches que d'autres opérant d'Italie. Les premiers ne peuvent être que les Génois des Pessagno opérant de leurs bases portugaises. Nous avons suivi antérieurement la carrière des Pessagno comme amiraux du Portugal jusqu'au début du règne de Ferdinand. Lan-zarotto Pessagno a occupé la charge sous Pierre Ier, c'est-à-dire de 1356 à 1365, puis à nouveau sous Ferdinand à partir de 1367 Q). Voyons maintenant ce que les documents nous apprennent sur les Pessagno comme amiraux du Portugal jusque vers 1385. Il n'est pas sans intérêt de noter qu'en 1370 Lanzarotto Pessagno est toujours en possession du quartier de Lisbonne appelé « bayrro do almirante ». Le roi Ferdinand lui donne alors un cellier qu'il y possédait (2). D'ailleurs l'amiral était fort bien en cour, car outre la confirmation de ses charges et possessions en 1367 (3), il avait obtenu en 1368 rémission d'une dette de 15000 doubles contractée envers le trésor royal (4). En 1371 (10 juillet), il obtenait confirmation de la possession d'Odemira « esguardando, disait le roi, como Mice Lan-çarote Peçanha, nosso vasallo e nosso almirante, a nosso padre e a nos e a nossa casa de Portugal fez sempre muitos e muy grandes ser- (1) Cf. ci-dessus p. 1187 et ci-dessous p. 1207. (2) Silva Marques : op. cit., 1. 1, n° 111, p. 123. Cf. sur ce quartier, ci-dessus, p. 1184. (3) Cf. ci-dessus, p. 1188. (4) Silva Marques : op. cit., t. I, n° 108, p. 122. 1208 CH. VERLINDEN viços e obras de muy grandes mericimentos » (1). Le 29 juin 1372, les privilèges de l'amiral et de ses « hommes » sont à nouveau confirmés, de même que l'immunité du « bayrro do almirante » (2), et il en est de même, surtout en matière de juridiction, le 20 septembre 1383 (3). En 1385 (2 juin), toutefois, Odemira est donnée à Manuel Pessagno, fils de Lanzarotto, qualifié de « almirante de nosso irmâo el rey Dom Fernando a que Deus perdoe » (4). La grande extension des connaissances relatives aux Açores s'est donc produite alors que Lanzarotto Pessagno était amiral. De là à admettre qu'elle a été son oeuvre et (ou) celle de ses collaborateurs, ses « hommes », il n'y a qu'un pas que l'on franchira aisément après ce qui a été dit. S'il en est bien ainsi, les découvertes de ce temps sont donc dues à des Italiens servant le Portugal. Terminons par quelques remarques relatives à la lettre de 1659 concernant les prétentions des sieurs français de Maloisel, dont nous n'avons retenu que la mention relative au séjour de Lanzarotto pendant une vingtaine d'années aux Canaries (5), séjour d'ailleurs confirmé par la documentation portugaise. Le « petit discours » des sieurs de Maloisel aurait été imprimé en 1632, nous apprend la lettre de Paulmier de 1659. A ces deux moments l'intérêt pour l'Afrique occidentale était très vif en France. En 1633 était créée la Compagnie du Cap-Vert dont l'établissement avait été précédé par une série de voyages et d'entreprises françaises en Guinée. Des concessions territoriales et commerciales se distribuaient alors de tous côtés à des Normands et des Bretons. En 1659 la Compagnie créait S*. Louis au Sénégal. L'Afrique fut durant ces années fort à la mode en France. Les sieurs de Maloisel ont-ils voulu se créer un titre à obtenir, eux aussi, des avantages dans ces parages? D'autres nobles français ont tenté de s'y établir, tels le chevalier de Briqueville et Augustin de Beaulieu, normands tous deux, dès 1612 (6). Si tel était le cas, peut-être la date de 1312, que les Maloisel français assignèrent aux il) Ibid. n° 124, p. 141 sq. (2) Ibid. η» 129, p. 146. (3) Ibid. η» 159, p. 184. (4) Ibid. t. II, no 187, p. 304. (5) Cf. ci-dessus, p. 1176 et p. 1200. (6) Ch. de la Roncière : Histoire de la marine française, t. IV (Paris, 1910), p. 701 ; H. Blet : Histoire de la colonisation française t. I (Paris, 1946), p. 166. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1209 ploits de leur ancêtre aux Canaries, ne leur aurait-elle été inspirée que par le désir de se créer des titres particulièrement respectables par leur ancienneté. Que dans ce choix chronologique la fantaisie doit avoir joué son rôle semble certain, puisque des voyages français antérieurs aux Canaries sont mentionnés. Or, ceci se rattache visiblement aux traditions erronées concernant la priorité des Français en Afrique qui virent le jour — pour les besoins de la diplomatie — quelques années plus tard (*). La chose, toutefois, n'a qu'une importance très secondaire, puisque la documentation portugaise combinée avec celle provenant de la cartographie permet de voir clair dans le déroulement des événements et de déterminer la part qui revient au Génois Lanzarotto Malocello et à quelques-uns de ses compatriotes anonymes, dans la découverte et — dans le cas du premier — dans la colonisation portugaise au xive siècle. Charles Verlinden. (1) Gh. A. Julien: Voyages de découverte et premiers établissements (XVe-XVIe siècles) (Paris, 1948), p. 9.
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Título y subtítulo | Lanzarotto Malocello et la découverte portugaise des Canaries |
Publicación fuente | Revue belge de philologie et d'histoire |
Autor principal | Charles Verlinden |
Autores secundarios | Malocello, Lancelotto (fl. 1312) |
Tipo de documento | Separata |
Lugar de publicación | Francia |
Fecha | 1958 |
Páginas | 37 p. |
Datos serie | En: Revue belge de philologie et d'histoire, t. 36, fasc.4 (1958), pp. 1173-1209 |
Materias |
Canarias Descubrimiento Exploración Historia-Siglo 14º Portugal |
Formato Digital | |
Tamaño de archivo | 2535842 Bytes |
Notas | Precede al tít.: Persée |
Texto | LAMABOTTO MALOCELLO ET LA DÉCOUVEETE POBTUGAISE DES CANABIES L'histoire de la découverte des Canaries — et subsidiairement celle de la découverte des îles du groupe des Madères (Madère, Porto Santo, Déserta) et des Açores — présente un intérêt considérable parce qu'elle permet d'illustrer par un exemple concret la collaboration que les Italiens, et surtout les Génois, apportèrent à la première expansion portugaise sous les règnes d'Alphonse IV (1325-1357) et de ses successeurs Pierre l<* (1357-1367) et Ferdinand (1367-1383) Q). Un premier point qu'il y a lieu d'élucider est la question du rôle que le Génois Lanzarotto Malocello joua dans la découverte des Canaries. Lorsqu'on consulte la vieille Histoire de la géographie et des découvertes géographiques de Vivien de Saint-Martin (2), on constate que le nom de Lanzarotto Malocello n'y est pas encore mentionné à propos de la découverte — ou redécouverte — de l'archipel canarien. L'auteur connaît l'expédition des frères Vivaldi de 1291, mais n'établit aucun lien exprès entre celle-ci et la connaissance des Canaries. Il mentionne aussi le voyage du Majorquin Ferrer en 1346 vers le Riu de Lor (1) Sur la collaboration italo-ibérique, cf. C. Verlinden : De Italiaanse invloeden in de Iberische economie en kolonisatie (XIIe-XVIIe eeuw) (Mededelingen Kon. VI. Academie voor Wetensch., 1951) ; Le influenze italiane nella colonizzazione iberica ( Uomini e metodi) (Nuova Rivista Storica, 1952) ; Modalités et méthodes du commerce colonial dans l'Empire espagnol au XVIe siècle (Revista de Indias, 1952) ; Italian influence in Iberian colonization (Hispanic American Historical Review, 1953) ; Précédents médiévaux de la colonie en Amérique (Mexico, 1954) pp. 19 sqq. ; Les influences italiennes dans l'économie et dans la colonisation espagnoles à l'époque de Ferdinand le Catholique (Fernando el Catolico e Italia, Saragosse, 1954, pp. 269-283). (2) Paris, 1873, pp. 300-302. 1174 CH. VERLINDEN d'après la « carte catalane » de 1375 Q) et fait également allusion à un passage du Traité de la vie solitaire de Pétrarque (1346) dont il croit pouvoir déduire que dès le commencement du xive siècle, ou peut-être à la fin du xnie, les Génois avaient visité les Canaries. Il voit, toutefois, dans ce dernier texte une allusion à l'expédition des frères Vivaldi, auxquels il attribue donc implicitement un rôle dans la découverte des îles (2). Enfin, il fait état d'« une carte italienne » de 1351 (3) où figurent les Canaries et mentionne la prise de possession de l'archipel par la couronne de Castille en 1345 (4). Le nom de Lanzarotto Malocello apparaît en relation avec la redécouverte médiévale des Canaries dans le tome II du livre de C. R. Beazley : The dawn of modem geography (5). La datation y est assez imprécise. L'auteur place le voyage « perhaps as early as 1270 » (6), tout en renvoyant à d'Avezac « Les îles africaines de l'Océan Atlantique » qui date l'événement de 1275 (7). Il croit que c'est ce voyage auquel Pétrarque (1) Vivien de St. Martin, op. cit., p. 301 n. 2, renvoie à Notices et Extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, t. XIV, 1841, pp. 66. Il s'agit de la deuxième partie de ce volume où figure aux pp. 1-152 la Notice d'un atlas en langue catalane de J. Buchon et J. Tastu qui reste la description la plus étendue de l'Atlas catalan de 1375 à la Bibliothèque Nationale de Paris. Toute la nomenclature et les légendes y sont transcrites. P. 66 figure une « Insula de Lanzaroto Maloxelo », ce dernier mot étant séparé par erreur du précédent et identifié à l'île d'Infierno (= Ténérife)! (2) Remarquons, cependant, sans pousser plus loin l'analyse des faits, que ceci paraît en contradiction avec ce que dit l'auteur à la p. 301 où il affirme que l'une des galères des Vivaldi s'échoua sur la côte du Maroc et dut rebrousser chemin, tandis que l'autre se perdit sur la côte du Sénégal. (3) Evidemment l'Atlas Medici ou Portulan laurentien (Cf. K. Kretschmer : Die Italienischen Portolane des Mittelalters (Berlin, 1901) pp. 119 sqq. (4) A ce propos, cf. ci-dessous, p. 1191. (5) Oxford, 1906, p. 411. (6) Loc. cit,. Même datation déjà dans Beazley : Prince Henry the Navigator (New York-Londres, 1897) p. 107. On la retrouve chez J. N. L. Baker : A history of geographical discovery and exploration (Boston, New York, Chicago, San Francisco, 1931) p. 39, chez E. Prestage : The Portuguese pioneers (Londres, 1933), p. 5 et chez P. Sykes : A history of exploration (Londres, 1949), p. 64. K. G. Jayne : Vasco da Gama and his successors (Londres, 1910), p. 9 donne sans aucune justification la date de 1278. (7) Ibid. n. 1. Le travail de d'Avezac a paru dans L' Univers pittoresque : Iles Africaines (Paris, 1848) Seconde partie : Iles Africaines de l'Océan atlantique, p. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1175 fait allusion, et base cette opinion sur le fait que le passage de cet humaniste, consacré à la découverte des Canaries, contient l'expression « patrum memoria » (1), qu'il pense devoir interpréter par « within the memory of his parents », en soulignant que Pétrarque est né en 1304. Il est à peine nécessaire de noter que cette expression peut avoir un sens beaucoup plus large et que, d'autre part, le traité de Pétrarque auquel elle est empruntée date de 1346. Beazley, toutefois, ajoute encore que sur le portulan de Dulcert de 1339 l'île de Lanzarote apparaît avec la croix rouge de Gênes et que le mot Marucelu est ajouté au nom (a). La croix revient dans le Portulan Laurentien de 1351 et une allusion allant dans le même sens figure aussi dans le Libro del Conoscimiento « d'environ de 1345 (3) basé probablement ici sur une carte plus ancienne ». Beazley relève les variantes Lanzarote, Lanciloto, Lansalot apparaissant sur les cartes avec l'addition occasionnelle de Maroxello, Marucelu, Maloxelo et même Januensis (4). Il signale encore l'allusion figurant dans le récit de la conquête de Lanzarote par Gadifer de la Salle à l'extrême début du xve siècle, où il est dit que des provisions furent réunies dans un vieux château construit par Lancelot « Maloi-siel » lorsqu'il conquit l'île (5). Plus loin, Beazley relève également que le roi Denis de Portugal prit à son service en 1317 le Génois Manuel Pes-sagno qui devenait ainsi amiral de Portugal et devait continuellement tenir à la disposition du roi vingt capitaines et pilotes génois. On peut raisonnablement attribuer à ces Italiens et leurs successeurs, ajoute-t-il, la direction des premières expéditions qui firent connaître 40, col. 2 « Nous hasarderons, sans tirer à conséquence (sic d'Avezac), le chiffre conjectural de 1275 ». (1) « Eo siquidem patrum memoria Januensium armata classis penetravit ». (2) Cf. à ce propos, ci-dessous, p. 1200· (3) Voir ci-dessous, p. 1195. (4) A ce dernier propos, il renvoie à la carte de 1455 du Génois Barthélémy Pa-reto où l'île de Lanzarote figure avec l'inscription « Lansaroto Maroxello Januensis » Cf. Kretschmer : Portolane, pp. 138-9. Voir une reproduction dans Id. : Die Entdeckung Amerikas : Atlas, n° V. (5) Cf. Le Canarien. Livre de la conquête et conversion des Canaries (1402-1422) par Jean de Béthencourt, gentilhomme Cauchois (éd. G. Gravier, Paris, 1874) chap. XXXII, p. 50 : « Si assemblèrent grant cantité d'orge, et le misrent en un vieil chastel que Lancelot Maloesel avoit jadiz fait faire, celon ce que l'on dit ». Cf. ci-dessous p. 1196. 1176 CH. VERLINDEN les archipels de l'Atlantique central (x). Finalement, il signale encore que les îles de Lanzarote et Fuerteventura — et, ajouterons-nous, Ca-naria et « Vegi Marini » — n'apparaissent sur aucune carte antérieure à celle de Dulcert de 1339 (2). Dans « La découverte de l'Afrique au moyen âge, t. II, Le périple du continent » (3) Ch. de la Roncière propose la date de 1312. Il base cette datation sur une lettre de Paulmier (4) à l'historiographe André Du Ches-ne, datée de Rouen, 19 avril 1659 (5), où figure le passage suivant : « De Lancelot de Maloisel, les sieurs des isles Maloisel, gentilshommes bas-normands, se disent descendus et avoir par devers eux des pièces qui justifient que leur Lancelot en entreprist la conquête en l'an 1312, sur la cognoissance qui luy en donnèrent quelques matelots de Cherbourg, lesquels, trafficans aux costes d'Espagne, furent jettes par un coup de tempeste aux bords de ces isles, cogneuës autrefois par les Anciens sous le nom de Fortunées et depuis demeurées comme cachées durant plusieurs siècles... La publication [du Canarien en 1630] (6) réveilla les sieurs de Maloisel ; et en 1632, ils firent imprimer à Caen un petit discours pour conserver à ce Lancelot, au préjudice de ce Jean de Béthen-court, la qualité de premier conquérant des Canaries, qualité fondée entre autres choses sur un inventaire généalogique baillé par leurs prédécesseurs aux eslûs de Coustance, l'an 1453, lequel fect une ample mention de l'entreprise de ce Lancelot ... en l'isle Lancelote ... qu'ils disent y avoir commandé plus de XX ans et jusques à un soulèvement général des insulaires qui l'en chassèrent à l'ayde de leurs voisins ». La Roncière ajoute, toutefois, que de nombreuses recherches dans les archives et bibliothèques ne lui ont permis de retrouver ni l'inventaire de 1453, ni l'opuscule imprimé à Caen en 1632. Outre ce dernier fait, très important en lui-même, il importe de noter que nous avons affaire ici, à une contestation entre familles se disputant certains droits et que les (1) Beazley : Dawn, t. III, p. 423. (2) Ibid. p. 425. (3) Le Caire, 1925, p. 3. (4) Paulmier de Gonneville, chanoine de Lisieux, auteur de Mémoires touchant l'établissement d'une mission chrétienne dans le troisième monde, autrement appelé Terre Australe (Paris, 1663). (5) Paris, Bibl. Nat., nouv. acq. franc. 7454, f° 70 v°. (6) Ci. 1175 n. 5. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1177 documents invoqués au cours de pareilles disputes sont souvent suspects, surtout lorsqu'il s'agit d'établir des droits dont les origines remontent à plus de trois siècles ! Nous aurons d'ailleurs à nous demander si ces prétentions des « sieurs des Isles Maloisel » ne se rattachent pas à une tendance de la politique coloniale française sous Richelieu et au début du règne de Louis XIV Q). Remarquons encore que La Roncière, s'inspirant évidemment de la croix génoise figurant sur la carte de Dulcert, dit aussi que Lanzaroto Malocello « planta le pavillon de sa patrie sur les îles Fortunées ». Pour lui, il s'agit donc d'une découverte et d'une colonisation spécifiquement génoises. A ce propos, il note que des. Malocello auraient eu, dès 1235, des attaches à Ceuta, puisque l'un d'eux réunit en cette année « à bord des douze navires qu'il commendait, tous les Génois de la ville, pour exiger du sultan la réparation de déprédations ». La référence qu'il donne est, toutefois, fausse (2). De plus, dit-il, plusieurs Malocello prirent du service en France à partir de 1338 comme capitaines de galères et francisèrent leur nom en Maloisel (3). Enfin, un acte notarié du Ier avril 1330 signalerait la présence à Gênes d'unLancerottoMarocello^). De tout ceci, nous avons pour le moment surtout à retenir que la date de 1312 (5), proposée par La Roncière, ne repose que sur un écrit de 1659, puisque les documents antérieurs cités dans ce dernier n'ont pu être retrouvés. Néanmoins cette date est reprise par R. Hennig : Terrae In~ cognitae, t. Ill, chap. 134 (6). Cet auteur fait d'abord remarquer que les Canaries n'apparaissent ni (1) Cf. ci-dessous, p. 1209. (2) II renvoie à ce sujet à L. de Mas-Latrie : Traités de paix et de commerce et documents divers concernant les relations des Chrétiens avec les Arabes de l'Afrique septentrionale au moyen âge (Paris, 1866) p. 115, n. 2 où ne figure rien de pareil. (3) Cf. Ch. de la Rongière : Histoire de la marine française (2e éd, Paris, 1914), t. II, p. 104 et A. Jal : Archéologie navale, t. II (Paris, 1840) p. 338. (4) M. G. Canale : Nuova istoria délia repubblica di Genova (Florence, 1860), t. III, p. 343 : « tre atti da me trovati nel fogliazzo de' notai (sic, sans référence) mi danno lume su di ció ; ivi il primo aprile del 1330 figura nella qualità di testimo-nio Lancerotto Marocello ; il 22 febraio del 1384 e il 18 marzo del 1391 e nominata Eliana del q. Bartolomeo Fiesco, o moglie del q. Lanzarotto Marocello ». Ces documents n'ont pas été retrouvés depuis. (5) Même datation dans Ch. de La Roncière : Histoire de la découverte de la Terre (Paris, 1938), p. 87. (6) Leiden, 1953 a, pp. 169 sqq. 1178 ; CH. VERLINDEN sur les cartes Visconti de 1311 et 1318, ni sur la carte de Sanutö de 1320, ni sur celle d'Angelino Dalorto de 1330 (x). Dans ce dernier cas, ce fait n'a, sans doute, guère de valeur probante, puisque la forme particu-ière de la carte ne laissait guère d'espace pour y placer l'archipel ou ce qui en aurait été connu (2). Malgré ce qu'en dit Hennig la carte de Sa-nuto de 1320 paraît fournir un terminus a quo pour la redécouverte des Canaries, puisqu'elle porte un texte disant : « Ultra Gades, per régna Yspaniae, Portugaliae et Galitiae, non inveniuntur insulae alicuius valons ». Comme l'avait déjà remarqué le Vicomte de Santarem (3), il semble peu probable que la carte porterait un pareil texte si les Canaries ou les Açores avaient été dès lors connues. Il est curieux que Hennig qui signale la mention de la carte de 1320 n'en tient lui-même aucun compte dans sa datation de la découverte. Par contre, il souligne que sur la carte d'août 1339, dessinée à Majorque par Angelino Dulcert (4) apparaissent pour la première fois les îles canariennes Lanzarote (Insula de Lanzarotus Marocelus) et Fuerta Ventura (La forte Ventura) ainsi que la petite Vegi (et non Vecchi) Ma-rini. Il en conclut que la connaissance des Canaries doit s'être répandue en Europe entre 1330 et 1339, dates des cartes de Dalorto et de Dulcert, cartographes dont il considère que « die Warscheinlichkeit einer Identität nicht gering ist » (δ). Nous avons vu déjà que la première date devrait être plutôt remplacée par celle de 1320 (Sanuto). (1) Ibid. p. 173. Sur la date de la carte de Dalorto, cf. H. Winter : Das Katalanische Problem in der älteren Kartographie (Ibero-Amerikanisches Archiv, t. XIV, 1940), p. 101. (2) Cf. la reproduction qu'en fournit A. Magnaghi : La carta nautica costruita nel 1325 da Angelino Dalorto (Florence, 1898). (3) Essai sur l'histoire de la cosmographie et de la cartographie (Paris, 1849), t. I, p. 135. (4) Sur cette carte et sur ses rapports avec celle de Dalorto, cf. E. T. Hamy : La mappemonde d'Angelino Dulcert de Majorque (1339) (Bulletin de géographie historique et descriptive, Paris, 1886, pp. 354 sqq.) ; Id : Études historiques et géographiques (Paris, 1896) avec reproduction; L. Gallois: Sui mappemonde del Dalorto e del Dulcert (Rivista geografica italiana, 1905, pp. 1 sqq.) ; A. Magnaghi : Angelino Dalorto (Atti del 3. congr. geograf. ital. Florence, 1899, t. II, p. 506). Cf. Youssouf Kamal : Monumenta Cartographica, t. IV, fasc. 2 (1927), n° 1222. (5) Cf. à ce sujet G. de Reparaz : Les sciences géographiques et astronomiques au XIVe siècle dans le Nord-Est de la Péninsule Ibérique et leur origine (Archives inter- LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1179 Toutefois, la découverte elle-même serait, d'après Hennig, plus ancienne. Elle serait bien l'oeuvre de Lanzarotto Malocello, mais celui-ci serait un Provençal du nom de Lancelot Maloisel dont le nom aurait été italianisé à Gênes où il se serait fixé^). Il est à peine nécessaire d'ajouter que le nom de Malocello est celui d'une famille marchande génoise très connue et très ancienne (2). Hennig mentionne ensuite un acte notarié génois qu'il dit être du 25 octobre 1306 et avoir été publié par Desimoni dans les Atti della società Ligure au tome XV. En réalité, l'acte est du 31 octobre et a été publié partiellement par L. T. Belgrano en annexe à son travail Documenti e Genealogia dei Pessagno Genovesi, ammiragli del Porto-gallo (3). Il figure au complet dans l'ouvrage déjà cité de Mme Doe-haerd (4). On y voit Manuel et Léonard Pessagno louant à Janinus Marocellus deux galères pour transporter d'Angleterre à Gênes 2.700 cantares de laine anglaise. On ne peut donc pas dire, comme le fait Hennig, que nous avons ici la preuve de ce que « Lancilotto » Malocello soit associé aux Pessagno dans leur commerce sur l'Angleterre (5). Hennig, suivant ici La Roncière, mentionne ensuite, pour le voyage nationales d'histoire des Sciences, 1948) pp. 456 sqq. Voir aussi du même Els ma-pes catalans de la Bibliothèque Nationale de Paris (Estudis Universitaris Catalans, t. XIII, 1928) et H. Winter op. cit. (1) Hennig, op. cit., p. 175. (2) R. Doehaerd : Les relations commerciales entre Gênes, la Belgique et l'Outre-mont d'après les archives notariales génoises aux XIIIe et XIVe siècles, t. III (Bruxelles, 1941) contient de très nombreux actes où figurent des Malocelli. Cf. les tables au t. III et ci-dessous p. 1179. Remarquons que Hennig fait dire à La Roncière : La découverte de l'Afrique, t. II, p. 3 que Lanzarotto Malocello prit du service en France en 1338, alors que cet auteur parle seulement de « plusieurs Malocello » et date « après 1338». Cf. aussi C. Errera : art. « Lancelotto Malocelli » dans Enciclo-pedia Italiana, t. XXII, 1934. Cet auteur date le séjour de Lanzarotto aux Canaries de 1291 environ ou de 1312. Déjà en 1241 un Iacopo Malocello commande la flotte génoise qui se fait battre par la flotte impériale à la bataille du Giglio. Cf. C. Manfroni : Storia della marina italiana, t. I (Rome, 1897), p. 397. (3) Atti della Societa Ligure di storia patria, t. XV, 1881, p. 250, n° IV. (et non p. 10 comme écrit, par erreur, Hennig). (4) t. III, n° 1630, p. 943. (5) Hennig : loc. cit. « Er habe zusammen mit zwei Kaufleuten, den Bruderpaar Emanuele und Leonardo Pessagno, in Genua zwei vohlausgerüstete Galeeren für eine Handelsfahrt nach England gemietet ». 1180 CH. VERLINDEN de Lanzarotto, la date de 1312 que nous avons déjà rencontrée. Il ajoute, sans donner de référence, que Malocello était de retour à Gênes le 1er avril 1330. Nous savons, toutefois, que ce renseignement est également emprunté à La Roncière qui en doit la connaissance à Cana-le Qj. Il mentionne ensuite une tradition canarienne d'après laquelle l'île (sic = laquelle?) aurait été découverte par un Français entre 1326 et 1334 (2). Hennig croit alors pouvoir concilier ces deux interprétations en tenant compte de ce que, pense-t-il, Malocello était « ein geborener Franzose ». Nous avons vu déjà — et nous aurons l'occasion d'y revenir (3) — combien peu cette version des origines du Génois mérite d'être retenue. La découverte se serait faite en 1312, continue Hennig, mais la connaissance n'en serait parvenue en Europe que vers 1330. Peut-être même les Génois auraient-ils tenu la découverte secrète pour s'assurer plus facilement le contrôle du commerce de l'archipel. Après que Malocello eut quitté le service génois en 1338 — ce qui est faux ! (4) — il n'aurait plus été tenu au secret, et c'est ainsi que la carte de Dulcert, — qui est d'ailleurs majorquine, ce que semble oublier ici notre auteur — aurait pu faire état de la découverte. * * * Ce que nous venons de dire suffit à prouver combien les données relatives à la découverte des Canaries, fournies par la littérature générale concernant les découvertes médiévales, sont encore sujettes à caution. Nous pouvons, toutefois, dès à présent tenir pour acquis, quoi qu'en dise Hennig, que cette découverte ne peut pas avoir été antérieure à 1320. Elle ne peut pas non plus être postérieure à 1339 et elle est le fait du Génois Lanzarotto (Lancellotto) Malocello. Malgré ce fait, elle doit être considérée comme une découverte portugaise. C'est sur ce point que nous allons à présent tenter d'apporter plus de clarté. En 1317, le 1er février, le roi Denis de Portugal conclut un contrat avec le grand marchand génois Manuel Pessagno, par lequel celui-ci (1) Cf. ci-dessus, p. 1177. (2) G. Glas : History of the discovery and the conquest of the Canary Islands (London, 1764), t. I, p. 1 cité par Hennig : op. cit., p. 176 et F. Kunstmann : Die Entdeckung Amerikas (Munich, 1859), p. 1. (3) Cf. ci-dessous, p. 1190. (4) Cf. ci-dessous, p. 1199. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1181 reçoit la terre royale de Pedreira à Lisbonne et une rente annuelle de 3.000 livres portugaises (*). L'ensemble des biens que le Génois reçoit du roi passera par héritage à son fils aîné, légitime et laïc, qui servira le roi aux mêmes conditions que son père. Il s'agit donc d'un majorât (mayorgado). Comme le père, le fils et ses successeurs feront hommage et jureront fidélité au roi (façam a menage e o juramento que mi vos fazedes). Pessagno se déclare vassal du roi et promet de le servir loyalement « nas vossas galees per mar », mais il ne devra prendre lui-même le commandement que si au moins trois galères opèrent ensemble (2). Il suivra le roi «contra todolos homees do mundo de qualquer stado o de qualquer condiço que seiam tomben christaaos como mouros » et lui donnera bon conseil. Tous ses successeurs qui hériteront du fief feront le même serment. D'autre part lui-même et ses successeurs tiendront toujours à la disposition du roiwiinte homeens de Genua sabedores de mar, taaes que seiam convenhaviis pera alcaydes de galees e pera arrayzes ». Ces capitaines et ces pilotes, ils devront les entretenir à leurs frais. Quand le roi n'en aura pas besoin, Pessagno et ses successeurs pourront les employer « en nossas merchandias » et les envoyer en Flandre, à Gênes ou en d'autres lieux. Les Pessagno deviendront donc vassaux portugais, mais resteront en même temps des marchands spécialisés dans le trafic maritime entre Gênes et l'Europe du Nord-Ouest. Le salaire des capitaines et pilotes incombera au roi, quand ils seront à son service (3). (1) « Dou et dôo a vos pera todo sempre en Lixböa o meu logar da Pedraira... com casas e com terrëo livre e quite e exemto assi como o eu hej ». La rente est donnée en fief, mais seulement temporairement : « E esto vos dou en feu ata que vos de algüa vila ou logar pobrado ou herdade tal a meu pagamento e vosso que valha en renda as dictas tres mil libras ». Néanmoins le terme feu est de nouveau employé par après pour désigner l'ensemble des donations faites et à faire par le roi à Manuel Pessagno : « E vos Micer Manuel devedes aver o dicto feu en todo tempo de vossa vida e servirdes por el a mim e aos meus sucessores que forem Reis en Portugal come adeante he scritto ». J. Martins da Silva Marques : Descobrimentos portu-gueses, t. I (Lisbonne, 1944), p. 28. (2) Ibid. : «peroque o meu corpo no deve yr sobre mar en vosso serviço meos que com tres galees ». (3) « E quando forem en vosso serviço devedes lhis dar ao que for por alcayde de galee : doze libres e meya polo mes por soldada e por governho e pan bizcoyto e agua... E ao que for por arraiz da galee : oyto libras polo mes por soldada e por governho e pan bizcoyto e agua » (Silva Marques : op. cit., p. 29). 1182 GH. VERLINDEN Pessagno est accompagné d'un certain nombre de ceux qu'il devra ainsi mettre au service du roi, mais il dispose de huit mois pour engager et faire venir ceux qui manquent. Le Génois et ses successeurs recevront le quint des prises, à l'exception des navires, de leurs armes et appareillages. Pessagno et ses successeurs auront juridiction sur tout le personnel des galères tant en mer que dans les ports, c'est-à-dire qu'ils seront amiraux du roi (x). Ils pourront armer aussi d'autres navires que des galères, notamment des navios. Le 5 février un nouveau diplôme s'occupe une fois encore des vingt techniciens génois. Pessagno a déclaré au roi qu'il n'est pas sûr que les hommes déjà disponibles désirent effectivement rester au Portugal. Ils ont été engagés pour trois mois et devront se prononcer sur leurs intentions quinze jours après la fin de cette période. Le roi prend à sa charge, pour cette première fois, les frais de l'engagement de ceux qui manqueront pour parfaire le nombre de vingt (2). Le 10 du même mois, le roi avise tous ses corsaires, capitaines, pilotes de galères et officiers d'avoir à obéir au nouvel amiral (3). Le 23 février la charge d'amiral est rendue héréditaire pour les descendants et successeurs de Manuel Pessagno (4). Les deux derniers documents montrent clairement qu'il est de l'intention du roi de donner le commandement de toute sa flotte à Pessagno, et non pas seulement celui des navires qui ont des techniciens génois à leur bord. Il est d'ailleurs spécifié que l'amiral a tous les pouvoirs que les autres amiraux du Portugal ont détenus avant lui, il) « E quero e mando que vos Micer Manuel e vossos successores que o dicto feu herdarem haiades jurisdiço e poder sobre todolos homeens que convosco forem nas mhas galees, tanben en f rota como en armada, en todos logares per hu an dardes per mar e nos portos da terra hu sayrdes fora. E mando que façam por vos e vos seiam mandados como a seu Almirante e assi como fariam polo meu corpo meesmo sehy fosse». (Ibid. p. 30). (2) Silva Marques op. cit. n° 38, p. 31. (3) Ibid. n° 39, pp. 31 sqq. « eu, querendo fazer graça e merçee a Micer Manuel genoes, meu vassalo, faço o meu Almirante moor e mando a todolos meus vassalos cossairos e a todolos outros alcaides de galees e arrayzes e officiaaes que a este offi-cio perteeçem que ffaçam seu mandado ». (4) Ibid. n° 40, p. 32 : « eu, querendo fazer graça e mercee a Micer Manuel, meu vassalo, faço o meu Almirante moor, e depoys sa morte mando que o seia o sseu filho moor que hy ficar, que herder o ffeu que eu dou ao dito Micer Manuel, e assi os outros seus suçessores que o feu herdarem ». LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1183 tamment en ce qui concerne les corsaires (*). Le 7 mars le roi règle les modalités de versement des 3000 livres accordées à l'amiral par le diplôme du 1er février (2). Le 24 septembre, la rente est remplacée par une cession en fief de nouveaux biens. Le roi rappelle l'obligation pour Pessagno de tenir de manière permanente à sa disposition vingt techniciens génois, payés par le trésor quand ils servent les intérêts portugais, et par Pessagno lui-même quand il les emploie dans son négoce (3). Cette fois la donation de Pedreira « hu moravam os Judeus en Lixbôa » est clairement qualifiée d'inconditionnelle (4). La rente, par contre, nous le savons déjà, avait été donnée « en nome de feu ». C'est ce fief dont hériteront les successeurs de l'amiral. Il sera constitué désormais par le château et la localité d'Odemira(5). Le roi s'y réserve, cependant, les droits qu'il garde normalement sur les terres de tous les seigneurs. Relevons parmi ceux-ci la dîme des importations par voie de mer (6). Un autre bien — « o meu regaengo d'Algez da par de Lixbôa » — est joint à Odemira. Ni cette dernière localité, ni le domaine royal d'Alges ne pourront être aliénés par les Pessagno (7). S'ils n'occupent plus la charge d'amiral, ces biens feront retour à la couronne. (1) Ibid. : « todolos poderyos que os outros meus Almirantes de direito e de costume ouverom senpre nos homens da cossaria do mar ». (2) Ibid. n° 41, p. 33. (3) Ibid. n° 42, p. 34. : Tevi por bem de vos fazer meu Almirante e vos ficastes entô por meu vassalo e obrigastes vos por vos e por vossos sucessores a mim e aos meus sucessores que tevessedes sempre viinte homees de Genoa sabedores de mar, pera nos servirem per mar nas nossas galees quando comprisse, e que en quanto andassem en meu servicio ou dos meus sucessores que lhis pagassemos nos ssas sol-dades e quitaçôes, e quando nô andassem en nosso serviço que vos e vossos sucessores os mantevessedes e vos servissedes delies assi como mays cumpridamente he conteudo nos privilegios que antre mim e vos foram feitos ». (4) « Tevi por bem de vos fazer doaçao puramente. . . ». (5) « Tenho por bem de vos dar logo a outorgar por jur d'erdade o meu castello e a mha vila d'Odemira, con todos seus termhos e con todos seus dereytos e rendas e perteenças assi como o eu hej e de dereyto devo aver e con a justiça e con todos jur e juridiço e senhorio real que eu hi hej » (Ibid. p. 35). (6) « Outrossi se hi aportaren per mar naves ou b areas con cousas que tragam de França ou daalen mar ou d'outras partes, que a dezima real seia ende mi ha e dos meus sucessores » (Ibid.) « Aalen mar « désigne, sans doute, l'Angleterre, surtout dans le cas des Pessagno, qui entretenaient déjà à Gênes des relations suivies avec cepays. (7) « E vos nem vossos sucessores no devedes vender nem dar nem em nemhüa 76 1184 GH. VERLINDEN Deux ans plus tard, le 25 septembre 1319,1'alcaide, les alvazis, les tabellions et le conseil d'Odemira reçoivent l'ordre de percevoir pour compte de l'amiral les droits et rentes de la terre et de le reconnaître comme seigneur justicier, compte tenu des droits supérieurs du roi (x). Par un mandement de même date le bien royal d'Alges est remis au bénéficiaire (2). Cet ordre est exécuté le 30 du même mois (3). Le 14 avril 1321, nous voyons par un diplôme royal qu'il y avait eu des contestations entre l'amiral et l'alcaide de Lisbonne. L'amiral se plaignait de ce que l'alcaide lui enlevait la juridiction de l'amirauté (tomava a juridiçô do almirantado) et déclarait que ses hommes et les « alcaides e arrayzes e petintaaes » de sa juridiction subissaient des dommages de la part de l'alcaide (4). Le roi ordonne que les privilèges des amiraux, alcaides, arraizes et petintaes devront être maintenus et que l'alcaide de Lisbonne ne sera compétent que pour les crimes. Une série d'« homens de mar » de l'amiral, donc certainement des Génois, ont été emprisonnés contre tout droit par l'alcaide de Lisbonne, alors qu'ils ne relevaient que de la juridiction de l'amiral ou de son alcaide do mar. Cependant, des mesures sont prises concernant le port d'armes par les Génois hors de service. Le quartier (barro) que l'amiral possède à Lisbonne constitue une immunité où les hommes de l'alcaide de la ville ne peuvent entrer. Toutefois, les subordonnés de l'amiral coupables de crimes doivent être livrés aux autorités de la ville (5). Tout ceci per-maneyra alhear os ditos castello e villa e regeango nem parte deles, mays ficarem sempre entregamente a vos e a vossos sucessores que o feu herdarem pera servir por elles mim e eos meus sucessores » (Ibid.). (1) Ibid. n° 43, p. 37. (2) Ibid. n° 44, p. 38. (3) Ibid. n° 45, p. 38 sq. (4) Ibid. n° 47, p. 40 « Petintal » signifie soit « officier subalterne », soit plutôt «technicien chargé de l'entretien du navire». Sur les différents termes cités, voir J. de Santa Rosa de Viterbo : Elucidario (Lisbonne, 1798), vis Alcaide de navio, arrais, petintal. (5) Ibid. p. 42 : « Outrossi tenho por bem que quando algûns que mal fezerem na villa se colherem ao barro do almirante que o alcayde ou os seus homens o ffaçam saber ao almirante ou aaqual que hy estever por el que lhos recade e que lhos de, ou senô que lhos ponham fora nö ascondudamente, mays em guisa que os possam tomar os homens do alcaide. E en outra guisa nö entrera os homens do alcaide en sseu barro nem façem nenhüu desguisado ao almirante nem a nemhüu dos seus ». LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1185 met de conclure qu'il y a, à ce moment à Lisbonne, un quartier génois jouissant d'immunité et soumis à la juridiction de Manuel Pessagno, amiral et vassal du roi. Ce quartier, bien entendu, n'est pas habité seulement par des Génois, très loin de là, mais c'est celui où les Génois de Pessagno, techniciens de la mer comme lui, se sentent chez eux, ou du moins plus chez eux que dans le reste de la ville, parce que le quartier est placé sous l'autorité de leur chef. En 1322, le 13 juin, nouvel acte royal concernant l'amiral. Le roi Denis rappelle ses précédentes donations en faveur de celui-ci, parmi lesquelles la terre royale d'Alg(u)es est cette fois localisée de façon plus précise comme étant « do cabo de Lisboa ». Voyant combien l'amiral le servait bien (x), le souverain lui avait accordé deux mille livres en draps chaque année. Il y ajoute à présent mille livres en monnaie par an, qui passeront héréditairement, comme les deux mille livres en draps, à ses héritiers qui seront amiraux du Portugal. Tout ceci sans préjudice de ses donations antérieures. Déjà l'année précédente, le 16 mars 1321, un acte royal fournissait quelque lumière sur au moins un aspect de l'activité de Manuel Pessagno au service du roi (2). Nous y apprenons que l'amiral a capturé des Maures de Salé, sur la côte atlantique du Maroc. Ceci prouve évidemment que l'activité des techniciens génois du roi s'étend, dès ce moment, vers le sud, le long de la côte atlantique de l'Afrique. Le 21 avril 1327 le privilège de nomination de dix ans plus tôt (1317, 1er février) est confirmé par le nouveau roi Alphonse IV qui régnait depuis 1325 (3). L'acte mentionne que l'amiral a continué ses fonctions jusque là avec la même efficience que sous le règne précédent (4). Est-il) « veendo eu como o dito almirante me servia bem e lealmente com muytas cousas e con grandes custas do sseu aver que despendeu per algüas vezes no meu serviço » (Ibid. n° 48, p. 43). (2) Ibid. t. II, η» 17, p. 27. (3) Ibid. t. II, n° 18, p. 28. (4) « E ora o dito Mice Manuel Peçanho almirante veo a mim sobredito Rey Dom Afonso e pedio me por mercee que quisese veer e esguardar muito serviço que el sempre fizera a o dicto meu padre e a mim outrossi, e muito serviço e prol e honrra que sempre per el viera aos reis de Portugal e do Algarve em todo aquello que el pudera fazer e juntar, e que eu me quisese del servir e lhe quisese fazer mercee em lhe outorgar e confirmar a dicta carta que lhe el rrey meu padre dera, e que serviria mim e minha terra em todo aquello que elle pudesse, assi como avia jurado e porme- 1186 CH. VERLINDEN il permis de voir dans la date assez tardive de la confirmation une indication sur une absence prolongée en mer ou à l'étranger de l'amiral ? Le libellé du privilège ne permet pas de conclure sur ce point. Vraisemblablement en 1340 Manuel Pessagno est en contestation avec l'abbé d'Alcobaça à propos de la juridiction de Pederneira, où le premier a nommé un alcaide do mar, alors que l'abbé prétend qu'il n'en a pas le droit. Le motif de l'intervention de l'amiral était le suivant. Par un mandement du 19 janvier 1339 Alphonse IV avait ordonné à Pedro Afonso, son « homem », de tailler dans ses forêts d'Alcobaça des bois pour construire des galères Q). Manuel Pessagno a donné un ordre écrit à son « criado » Vasco Lourenço par lequel il le nommait « alcaide do mar » à Pederneira, et par lequel il stipulait « outras cousas en priiuyzo da jur-diço do dicto monesteiro ». Ces « choses », comme d'ailleurs l'ordre précédent du roi, constituent, de l'avis des Cortes de 1340 auxquelles elles furent soumises, une « innovation », un abus. Le roi et l'amiral vont évidemment ici dans le même sens, c'est-à-dire qu'ils songent tous deux à utiliser pour la marine royale des bois que l'abbé prétend être les siens ou qu'il prétend, à tout le moins, ne pas véhiculer avec ses boeufs et ses chariots, comme le lui avait ordonné le roi (2). On avait donc établi un chantier royal à Pederneira et l'amiral y avait nommé un « alcaide do mar ». L'opposition de l'abbé est basée sur une sentence royale qui lui permettait de « poer alcaide na vila de Perderneyra », ce qui n'est évidemment pas la même chose, que l'abbé le sût ou non. Ainsi donc pendant toute la période comprise entre 1317 et 1340, c'est-à-dire pendant 23 ans, Manuel Pessagno a occupé de façon permanente la charge d'amiral de Portugal. Il est vraisemblable qu'en 1342 son fils Carlo lui était associé comme amiral. En effet, d'une part, il est cité comme amiral dans le nobiliaire de Damiâo de Goes (1601) : «E mice Carlos Peçanha, f ilho deste mice Manuel Peçanha, foi almirante tido a el rrey meu padre e como fezera ata aqui. E eu sobredito rey Dom Afomso veendo e considerando que todas as sobreditas cousas que el a mim dizia eram ver-dade... » (Ibid.). (1) « pera ffazerem talhar madeyra e careta la en essas mhas matas d'Alcobaça pera se fazer desa madeyra gallees que comprem pera deffendimento da mha terra » (Ibid. t. I, n° 78, p. 93). (2) « façades dar bois e carros aqueles que li conprirem pera carretar dessa madeira » (Ibid.) LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1187 como seu pae » 0. D'autre part, il apparaît comme exerçant effectivement la charge d'amiral en 1342 dans une inscription figurant sur la façade de S. Stefano à Gênes (2). Il remporte à ce moment une importante victoire navale sur la flotte des rois de Grenade et du Maroc. Nous ne savons pas combien de temps il occupa la charge. A sa mort, il fut remplacé par son frère Bartolomeo (3) dont nous ignorons également la durée de charge. En tout cas, à peine Pierre Ier est-il arrivé au pouvoir, que nous voyons un troisième frère, Lanzarote, confirmé dans le poste (4). Il est curieux de constater que dans les actes royaux qui investissent Lanzarote, il n'est jamais question que de son père Manuel et son frère Bartolomeo. Faut-il croire que Carlo n'a exercé la charge que du vivant de son père? Quoiqu'il en soit, les Pessagno restent en charge et plusieurs d'entre eux continuent à occuper l'amirauté par la suite jusqu'à l'époque de Henri le Navigateur. Tous tiennent la charge comme elle fut instituée en 1317, c'est-à-dire que la collaboration de techniciens maritimes génois continue à être à l'ordre du jour. Retenons cependant dès maintenant qu'il y eut une interruption dans la carrière de Lanzarote Pessagno comme amiral entre 1365 et 1367, période pendant laquelle il fut destitué par le tyrannique Pierre Ier (5), (1) Publié par L. T. Belgrano : Documenti e genealogia dei Pessagno Genovesi, ammiragli del Portogallo (Atti délia società ligure di Storia Patria, t. XV, 1881), p. 289. (2) « Anno Domini MCCCXXXXII, nobilis vir Dominus Carolus ex Dominis de Passano (= Pessagno), armiratus Illu. Alphonsi, regis Portugalliae, nobilis viri domini Emmanuelis Saronis (sic?), armiranti regis Portugalie, una cum egregio Domino Egidio Buccanigra, armirato regis Castelle, cum classibus triremium oc-tuaginta regum Granate et Marrocchi in Betica conflixit et, amiratis regum Granate et Marocchi occisis, XXIII Maurorum triremibus captis, alliis fractis et in fugam coniectis, magnam de Sarracenis victoriam, Deo opt. max. adiuvante, con-secutus est » ( Ibid. p. 295). On sait que Boccanegra était également Génois. (3) Nobiliaire cité (Belgrano : op. cit., p. 289). Belgrano a mal compris le texte et croit que Bartolomeo s'est réfugié parmi les Maures. Cf. Tableau généalogique p. 306. En réalité il s'agit de Gonçalo Gomes d'Azevedo, son beau-père, alferes môr d'Alphonse IV de Portugal. (4) Silva Marques : op. cit., t. I, n° 88, p. 107(26 juin 1357). Cf. déjà antérieurement l'acte du 20 septembre 1356, Ibid.n0 83, p. 105 et nr89, p. 108 (1er juillet 1357). Cf. aussi ci-dessous p. 1199. (5) Cf. Belgrano, op. cit., p. 281 (n° XXX) et p. 287 (n° XXXIV). Les données chronologiques figurant à la p. 281 doivent être corrigées en ce qui concerne la pre- 1188 GH. VERLINDEN pour être réintégré dans son office dès 1367 par Ferdinand, le dernier roi de la dynastie bourguignonne Q). C'est dans le cadre de l'activité maritime des Génois au service du Portugal que nous allons tenter maintenant de replacer la découverte des Canaries. Nous avons vu déjà que d'après la cartographie le terminus ad quem de cette découverte est 1339, date de la carte de Dulcert, qui porte l'inscription « Insula de Lanzarotus Marocelus ». D'autre part, nous savons par divers textes que la découverte ne peut pas avoir eu lieu longtemps auparavant. Une lettre d'Alphonse IV du 12 février 1345, adressée au Pape Clément VI à la suite de la donation par celui-ci des Canaries au prince castillan Don Luis de la Cerda (1344), réclame pour le Portugal la priorité de la découverte. « Ad quas quidem litte ras rescribentes prout nobis visum extitit per ordinem cum reveren-tia respondemus quod predictarum insularum fuerunt prius nostri regni-cole inventores : nos vero attendentes quod predicte insuie nobis plus quam alicui principi propinquiores existant, quodque per nos possent comodius subiugari, ad hoc oculos direximus nostre mentis, et cogitatum nostrum iam ad effectum perducere cupientes, gentes nostras et naves aliquas illuc misimus, ad illius patrie conditionem explorandum, que ad dictas insulas accedentes, tam homines quam animalia et res alias per violentiam occuparunt et ad régna nostra cum ingenti gaudio appor-tarunt. Verum cum ad prefatas insulas expugnandas armatam nostram mittere curaremus, cum militum et peditum multitudine copiosa, guerra prima inter nos et regem Castelle, deinde inter nos et reges sarracenos suborta, nostrum propositum impedivit » (2). Or, la guerre contre la mière date (1361), par comparaison avec les actes de Pierre Ier publiés par Silva Marques : op. cit., t. I, n° 103, p. 117 (10 mars 1364) et t. II, n° 175, p. 286 (25 mai 1365) (1) Silva Marques: op. cit., t. I, n° 107, p. 121 (6 novembre 1367). (2) Silva Marques : op. cit., t. I, n° 74, p. 87. Le texte poursuit de la manière suivante : « que omnia tanquam notoria Sanctitatem Vestram latere minime dubi-tamus, que insuper ambaxiatores, quos nuper Vestre destinavimus Sanctitati, attendentes, sicut ex litterali relatione predicti domini Ludovici percepimus de provisione et assignatione dictarum insularum facta per Vos eidem domino Ludo-vico, existimaverunt nos fore et non immerito agravatos, et hoc Vestris auribus intimarunt, considérantes quod tam propter vicinitatem que nobis est cum insulis sepedictis, quam propter comoditatem et oportunitatem quam habemus pre ceteris ipsas insulas expugnandi, ac etiam propter negocium quod iam per nos et gentes LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1189 Castille à laquelle il est ici fait allusion est de 1336, les hostilités contre les rois maures — auxquelles se rattache la victoire de Carlo Pessagno assignée à 1342 par l'inscription de S. Stefano à Gênes mentionnée ci-dessus (x) — ayant commencé en 1340 (2). C'est donc peu avant 1336, ou en cette année, que doit se placer la découverte des Canaries pour compte du Portugal. Comme, d'autre part, la carte de Dulcert attribue cette découverte à Lanzarotto Malocello qui était génois, celui-ci doit avoir agi pour le compte du roi Alphonse IV. Il était donc certainement un des techniciens génois qui gravitaient autour de Manuel Pessagno, avec la famille duquel d'autres Malocello entretenaient des relations d'affaires (3). Le fait que la bannière génoise accompagne le nom de Lanzarotto sur la carte de Dulcert ne comporte aucune implication politique, car jamais Gênes ne s'est considérée comme souveraine des Canaries (4). La lettre d'Alphonse IV a été l'objet de polémiques. Le témoignage en fut retenu dès 1819 par Costa de Macedo qui reprit son argumentation en 1835 (5). En 1839 l'amiral Quintela opposa une fin de non-re-cevoir, en maintenant que la première expédition portugaise eût dû être suivie d'autres, ce qui, à l'en croire, ne fut pas le cas. D'autre part les Madères auraient dû être découvertes par la même occasion (e). Aires de Sa et Joâo da Rocha, à la fin du xixe siècle et au début du xxe, nostras féliciter fuerat inchoatum, ad ipsum laudabiliter finiendum debuissemus per Sanctitatem Vestram prius quam aliquis invitan vel saltern id rationabiliter debuisset nobis Vestra Sanctitas intimare ». Il s'agit donc d'une protestation bien claire contre la donation pontificale. Le reste de la lettre laisse entendre que Luis de la Cerda ne doit attendre aucun secours du Portugal. (1) Cf. ci-dessus, p. 1187. (2) V. MagalhÀes Godinho : Documentes sobre a expansâo portuguesa, t. I (Lisbonne, s. d.) p. 33 ; D. Peres : Historia dos descobrimentos Portugueses (Porto, 1943, p. 11. (3) Cf. ci-dessus, p. 1179. (4) De plus, la carte génoise de Barthélémy Pareto de 1455 (cf. ci-dessus p. 1175 n. 4) interprète cette bannière en ajoutant simplement au nom de Malocello « Jan-uensis ». (5) Memorias para a historia das navegaçôes e descobrimentos dos Portugueses (Memorias Acad. R. das Ciencias, t. VI, la, pp. 1-19) ; Additamentos (ibid. t. XI, 2a, pp. 177 sqq.). (6) Annaes da Marinha portuguesa, 1839, p. 75. 1190 CH. VERLINDEN nièrent l'authenticité de la lettre (*). Ce dernier abandonna cette opinion, principalement après la publication par Antonio Baiâo, conservateur des Archives Générales de Torre do Tombo, d'une étude critique du document (2). Aires de Sa se montra plus obstiné, mais s'attira une réplique de P. de Azevedo (8). La question peut être considérée comme résolue depuis la localisation exacte du texte dans le Reg. Vat. 138 fls 148-149 (4). Toutefois, D. Peres a voulu identifier le voyage de Lanzaroto Malocel-lo qu'il place en 1336 avec celui daté de 1341 par un texte attribué à Boccace (5). Voyons ce qui en est. Ce texte figure dans les Miscelanea B. R. n° 50 de la Bibliothèque Nationale à Florence (6) et s'intitule « De Canaria et insulis reliquis ultra Ispaniam in oceano noviter repertis ». Il commence par une phrase qui montre clairement l'origine des informations qu'il contient : « Anno ab incarnato verbo M. CCCXLI0 a mercatoribus florentinis, apud Sobiliam (= Seville) Hispanie ulterioris civitatem morantibus, Florentiam lit-terae allate sunt ibidem clause XVII kal. decembris anno iam dicto in quibus que disseremus inferius continentur » (7). Continuons à transcrire le début du texte : « Aiunt quidem primo de mense Juin huius anni iam dicti duas naves, impositis in eisdem a rege Portogallï opportunis ad transfretandum commeatibus et cum hiis navicula una munita, omines Florentinorum, Januensium et Hispanorum castrensium (Castillans) et aliorum Hispanorum a Lisbona civitate datis velis in altum (1) Aires de Sa : Frei Gonçalo Velho (2 vol. Lisbonne, 1899-1900) ; Frei Gonçalo Velho. Comentarios (Revue hispanique, 1914) ; Introduction au t. Ier des Estudos de cartografia antigua du Vte de Santarem. (Lisbonne, 1920). JoAo da Rocha : A lenda infantista (Lisbonne, 1915). (2) Os meus pareceres a respeito das reproduçoes da carta de D. Afonso IV (Boletim 2a classe Acad. das Ciencias, t. XI, pp. 71 sqq.). (3) O traslado da carta de D. Afonso IV ao papa Clemente VI sobre as Canarias (Ibid., pp. 66-70). (4) Silva Marques : op. cit. t. I, p. 86 et déjà F. da Fonseca : Historia dos des-cobrimentos Portugueses. A carte de D. Afonso IV ao Papa Clemente VI (Anais das Bibliotecas e Arquivos de Portugal, t. II, 1916, pp. 57 sqq). (5) D. Peres : op. cit., p. 15. (6) Silva Marques : op. cit., t. I, p. 77. (7) Ibid. n° 69, p. 77. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1191 abiisse, ferentes insuper equos et arma et machinamenta bellorum varia ad civitates et castra capienda ». A première vue, il semble donc s'agir ici d'une expédition de conquête qui aurait suivi une première expédition de reconnaissance. Le roi de Portugal a fourni des vivres et une «navicula munita»,mais ce qu'il dit dans la lettre de 1345 interdit de penser qu'il ait considéré — du moins en 1345 — l'expédition de 1341 comme une « armata nostra » destinée « ad prefatas insulas expugnandas » (*). C'est que, en effet, l'expédition de 1341 présente un caractère composite. Il y a bien des Génois à bord et ceux-ci peuvent fort bien avoir été des collaborateurs directs des Pessagno et donc du roi. Mais il y a aussi des Florentins — ce qui n'est, sans doute, pas fort dangereux pour le Portugal — et des Castillans, ce qui l'est certainement beaucoup plus, surtout à la lumière de la donation des Canaries, en 1344, à l'Infant castillan Luis de la Cerda. Les « alii His-pani » qui sont également mentionnés peuvent avoir été des Catalans. Et nous savons que des expéditions catalanes ont été envoyées aux Canaries dès 1342 (2). Là aussi il y avait de dangereux concurrents, et l'on comprend qu'en 1345 Alphonse IV n'ait pas voulu reconnaître qu'il ait eu partie liée en 1341 avec d'autres que des gens à son service. Mais poursuivons l'étude du texte. En 1341, les îles étaient bien connues puisque l'expédition y parvient en cinq jours de Lisbonne sans aucune hésitation : « querentes ad eas insulas, quas vulgo repertas dicimus(3) et ad has, favente vento secundo, post diem quintum pervenisse omnes » (4). L'un des capitaines était le Génois Niccoloso da Recco (5). Comme Vautre capitaine n'est pas mentionné, une main a ajouté en marge « le Florentin qui était capitaine de ces navires était Angelino del Tegghia de Corbizzi », en y joignant une (1) Cf. ci-dessus, p. 1188. (2) M.Bonet : Expediciones de Mallorca a las Islas Canarias (Bol. Soc. Arqueol. Luliana, Palma de Majorque, t. VI, 1896), p. 286 ; E. Serra Rafols : El descubri-mento y los viajes médiévales de los Catalanes a los Islas Afortunadas (Santa Cruz Teneriffe, 1926). Cf. Hennig : op. cit., t. III, p. 258. (3) Les Canaries ne se sont jamais appelées « Repertae ». Faut-il comprendre que l'auteur lui même savait qu'elles étaient connues avant 1341 ? (4) Silva Marques : loc. cit. (5) « Verum Nicolosus de Reecho, Januensis, alter ex ducibus navium illarum » (op. cit. p. 77). 1192 CH. VERLINDEN indication sur sa parenté florentine Q). Cette addition marginale contient évidemment une contradiction, puisque le texte lui-même dit, à propos de Niccoloso da Recco, qu'il était « alter ex ducibus ». Le Florentin et lui se trouvaient donc sur le même pied. Faute de l'avoir observé, certains auteurs, dont Hennig (2), disent que Tegghia était capitaine et Recco pilote, ce qui est faux. Il y a, de plus, certaines raisons de croire que Recco était un de ces Génois qui se trouvaient, en tant que collaborateur des Pessagno, au service du Portugal, car, après avoir fourni une série de renseignements aux marchands dont la lettre sert de source au texte sur le voyage de 1341,1e Génois refuse de leur communiquer certaines autres données (3). A qui pouvait-il en réserver le secret? Certainement pas à Gênes qui ne s'intéresse pas ultérieurement aux Canaries ; pas à lui-même, car, s'il avait eu les moyens de s'intéresser seul aux Canaries après avoir appris leur découverte par Lanzarotto Malocello à Lisbonne, il ne se serait pas associé à tant de collaborateurs d'origine si diverse. Il ne reste donc que le souverain portugais, qu'il doit avoir représenté à titre officieux pendant l'expédition. On peut d'ailleurs se demander si le fait que l'archipel est atteint, directement, sans hésitation, en l'espace de cinq jours, n'est pas dû à ce que Niccoloso le connaissait pour avoir participé à l'expédition de Lanzarotto vers 1336. D'après le récit de Niccoloso les Canaries se trouvent à «milia passuum fere nongenta » de Seville et à une distance beaucoup moindre (longe minus) du Cap St. Vincent. Une première île aurait eu un pourtour d'environ 150.000 pas ; elle était « lapideam omnem atque silvestrem, habundantem tarnen capris et bestiis aliis atque nudis hominibus et mulieribus, asperis cultu et ritu » (4). Après quoi les navigateurs passèrent « ad aliam insulam fere maiorem ». Ils s'étaient seulement risqués sur la côte de la première île ; mais, sur la seconde, ils n'osèrent d'abord pas aborder à cause de la masse des indigènes qui se trouvaient sur la rive. Ils en firent alors le tour et débarquèrent vingt-cinq hommes sur la côte nord, qui était la mieux cultivée. Suivent des renseignements (1) Magalhaes Godinho : op. cit. p. 28 n. 2. (2) Hennig : op. cit., t. III, p. 255. (3) « Ceterum et multas alias res invenere quas hic Nicolosus noluit recitare (Silva Marques : op. cit., p. 79). (4) Ibid. p. 78. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1193 sur les productions naturelles de cette seconde île et sur une idole rapportée de là à Lisbonne. Une troisième île fut visitée ; elle semblait inhabitée. Une quatrième était également déserte. Une cinquième était pourvue de « lapidei montes excelsi nimis et pro maiori temporis parte nubibus tectietin ea pluvie crebre ». L'île, cependant, « sereno tempore apparet pulcerrima et existimatione videntium habitata ». Treize autres îles auraient encore été visitées, « alias habitatas, alias omnino desertas ». Plus ils avançaient, plus les navigateurs en voyaient. De ces treize îles, six semblaient habitées. Ils trouvèrent « insuper et aliam insulam inquamnon descenderunt, nam ex ea mirabile quoddam apparet ; dicunt enim inhac montem con-sistere altitudinis pro existimatione XXX milia passuum seu plurimum, qui valde a longe videtur » i1). Une seule île a un nom dans le texte, si toutefois la lecture « Canaria » est certaine (2). En tout dix-huit îles auraient donc été visitées ou aperçues, ce qui est beaucoup et ne peut se concevoir que si, en dehors des douze îles d'une certaine étendue (Ferro, Palma, Gomera, Ténérife, Gran Canaria, Fuer-téventura, Lanzarote, Graciosa, Alegranza, Santa Clara, Lobos, Rocca), on compte aussi des îlots. On peut, en tout cas, admettre que tout l'archipel a été vu en 1341. Hennig pense que certains détails de la description du voyage de 1341 contiennent déjà des indications permettant de reconnaître facilement des noms qui apparaîtront bientôt sur les cartes, notamment ce qui est dit des chèvres et des pigeons, nombreux sur deux des îles (3). Cela annoncerait les appellations « Capraria » et « insula de columbis » (1) Cette montagne a d'ailleurs fortement impressionné les voyageurs : « Et apparet in eius vertice quoddam album et, cum omnis lapideus mons sit, album illud videtur formam arcis cuiusdam habere ; attamen non arcem sed lapidem unum acu-tissimum arbitrantur, cuius apparet in summitate malus, magnitudinis in modum mali cuiusdam navis, ad quern apprehensa pendet antenna cum velo magne latine navis in modum scuti retracto, quod in altitudinem tractum tumescit vento et ex-tenditur plurimum ; deinde paulatim videtur deponi, et similiter malus in morem longe navis demum erigitur et sic continue agitur ; quod undique circundantes insulam fieri advertere ; quod monstrum cantatis fieri carminibus arbitrantes in eam-dem insulam descendere ausi non sunt » (Ibid. p. 79). (2) Ibid p. 79, n. 1. (3) Op. cit., t. III, p. 257. 1194 CH. VERLINDEN qu'on retrouvera plus tard C). Les détails concernant la montagne mystérieuse qui couronnait l'une des îles (2) sont, avec raison, mis en rapport par R. Caddeo avec le Pic de Teyde à Ténérife dont l'altitude réelle est de 3.718 m. (3). La nomenclature des îles nouvellement découvertes apparaît tout à coup, avec un développement extraordinaire, dans le fameux Libro del Conoscimiento de todos los regnos e tierras e sehorios que son por el mundo du franciscain espagnol anonyme qui écrivit, pense-t-on généralement, vers 1350. Voici le passage en question (4) : « Sobi en un leno con unos moros δ llegamos a la primera isla que dizen Gresa, δ apres della es la isla de Lançarote, δ dizen le asi porque las gentes desta isla mataron a un ginoves que dezian Lançarote, δ dende fuy a otra isla que dizen Bezi-marin, δ otra que dizen Rachan. δ dende a otra que diçen Alegrança, δ otra que dizen Vegimar, δ otra que dizen Forteventura, δ otra que dizen Canaria, δ fuy a otra que dizen Tenerefiz, δ a otra que dizen la isla del Infierno, δ fuy a otra que dizen Gomera, δ a otra que dizen la isla de lo Fero, δ a otra que dizen Aragavia, δ a otra que dizen Salvaje, δ a otra que dizen la isla Desierta, δ a otra que dizen Lecname, δ a otra el Puerto Santo, δ a otra la isla del Lobo, δ a otra la isla de las Cabras, δ a otra la isla del Brasil δ a otra la Columbaria, δ a otra la isla de la Ventura, δ a otra la isla de Sant Jorge, δ a otra la y sla de los Conejos, δ a otra la isla de los Cuervos marines, h en tal manera que son veynte δ cinco yslas ». Deux ms. autres que celui que l'éditeur, M. Jiménez de la Espada, a pris comme base, présentent quelques variantes. Ils laissent de côté Vegimar qui figure dans le ms. de base entre Alegranza et Fuerteventura, évitant ainsi une duplication évidente avec Bezimarin (5). Ils ajou- (1) Pour les chèvres, cf. ci-dessus, p. 1192. Les détails concernant les pigeons se rapportent à la quatrième île : « inde ad aliam navigantes eam rivis et aquis opti-mis copiosam invenerunt, et in eadem ligna plurima et palumbes, quos baculis et lapidibus capiebant et commedebant, invenerunt » (Silva Marques : op. cit., t. I, p. 78). Ces pigeons ont, en effet, frappé les voyageurs, car le texte ajoute : « hos di-cunt maiores nostris et gustui taies aut meliores ». (2) Cf. ci-dessus, p. 1193 n. 1. (3) Le navigazioni atlantiche di Alvise da Cà da Mosto, Antoniotto Usodimare e Niccoloso da Recco (Milan, 1928) p. 146 n. 2. (4) éd. M. Jimenez de la Espada (Madrid, 1877), p. 50. (5) Cf. ci-dessous la nomenclature des cartes. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1195 tent in fine : « E de todas estas yslas non eran pobladas de gentes mas de las tres que son Canaria h Lançarote e Forteventura, e las gentes que ende moran son a taies como estos ». Suit alors un dessin représentant un sciapode ou monopode, être légendaire pourvu d'un seul pied qui sert à porter ombre, bien connu depuis la tératologie de Pline, qui eut tant de succès surtout au haut moyen âge. Nous avons donc ici 25 îles, ce qui fait 7 de plus encore que dans la relation de 1341. Manifestement nous avons affaire à un mélange des trois archipels (Canaries, Madères, Açores), auquel viennent s'ajouter des éléments légendaires et des duplications. Dans l'archipel des Canaries, on reconnaît aisément Graciosa (Gresa), Lanzarote, Lobos (Bezimarin = Vegimar), Rocca (Rachan), Alegranza, Fuerteventura, Go-mera, Ferro. Dans les Madères : Déserta, Madère (Lecname), Porto Santo. Dans les Açores : San Jorge et Corvo (Cuervos marines). Nous reviendrons plus tard, en la comparant à celle de la cartographie, à la nomenclature légendaire et aux duplications. Contentons-nous de noter, pour le moment, ce fait troublant — ou cette coincidence ?, singulière à la vérité — que, si l'on additionne les îles de quelque importance que relève la cartographie actuelle pour les trois archipels, on trouve effectivement 25 îles, soit 12 pour les Canaries (Ferro, Palma, Gomera, Téné-rife, Gran Canaria, Fuerteventura, Lanzarote, Graciosa, Alegranza, Santa Clara, Lobos, Rocca), 3 pour les Madères (Madère, Porto Santo, Déserta), 10 pour les Açores (Fayal, Pico, San Jorge, Graciosa, Terceira, San Miguel, Santa Maria, Formigas, Flores, Corvo). Faut-il en conclure que les trois archipels étaient connus en entier au moment où écrivait le franciscain espagnol et que seules des confusions de noms auraient eu lieu ? Nous tenterons, ultérieurement, de voir ce que l'on peut en penser à la lumière de la nomenclature des cartes. Il importe d'abord de dater avec plus de précision le Libro del Cono-scimiento et de dégager ce qu'il nous apprend à propos de Lanzarotto Malocello. Le dernier fait mentionné dans le texte du Libro est de 1348. Il s'agit de la défaite d'Abou-1-Hasan, roi du Maroc, près de Kairouan le 10 avril de cette année (x). Un autre passage fait allusion à la victoire (1) Libro p. 42 : « En esta Alcarahuan fue desbaratodo Albohaçen, rey de toda Africa fasta el Poniente ». Pour la date, cf. Ibn Haldoun : Hist, des Berbères (trad. de Slane) t. IV, pp. 259 sqq. 1196 GH. VERLINDEN des Génois sur les Catalans qui valut aux premiers la possession de la Corse. Cette victoire est d'août 1347. Le Libro ajoute « e por eso an (= les Catalans) oy dia guerra con ellos (= les Génois) ». Or, cette guerre se termine par une trêve de cinq ans en 1360 Q). Par conséquent nous avons ici des éléments qui permettent de placer la rédaction du Libro entre 1348 et 1360 et qui, de plus, rendent très vraisemblable que cette rédaction doive se placer fort peu de temps après 1348 ou en cette même année. Les faits datés auxquels nous avons fait allusion ne sont, en effet, pas les seuls que l'on trouve dans le Libro. Plusieurs faits relatifs aux années 1340 et suivantes sont mentionnés (2). Pourquoi n'en aurait-il pas été de même pour la décade 1350-1360, si c'était à l'intérieur de celle-ci qu'il faudrait placer la rédaction du Libro ? Peut-être peut-on trouver quelque raison supplémentaire de placer celle-ci très près de 1348 dans le fait que la grande peste n'y est pas mentionnée. Or, l'auteur est Castillan et la peste apparaît plus tard enCastille qu'en Catalogne et en Aragon. Elle semble y avoir régné en 1349 et 1350 (3). En ce qui concerne Lanzarotto Malocello, nous avons vu que le Libro dit qu'il fut tué par les habitants de Lanzarote, l'île qui porte son nom dès 1339, date de la carte de Dulcert (4). Nous savons aussi que Le Canarien de Pierre Bontier et Jean Leverrier, chapelains de Jean de Béthen-court, mentionne au chapitre XXXII « un vieil chastel que Lancerote Maloisel avait jadis fait faire» (5). Toutefois le ms. original — British Museum, Eggerton n° 2709 — a au chap. 28 après « faire », « quant il conquist le pays » (6). Nous apprenons donc ici que Lanzarotto Malocello s'est vraiment établi dans le pays. (1) Ibid. p. 43. Pour les dates, cf. Villani et Zurita cités par Jiménez de la Espada, pp. 134 sq. (2) Par exemple, pp. 121 (1344), 131 (1340). (3) G. Verlinden : La grande peste de 1348 en Espagne. Contribution à l'étude de ses conséquences économiques et sociales (R. B. P. H. t. XVII, 1938, pp. 102-146). (4) Cf. ci-dessus, p. 1175. (5) éd. R. H. Major (Hakluyt Society, 1872) p. 55. Autre édition par G. Gravier (Rouen, 1874). Ces deux éditions sont établies d'après un texte d'environ 1500. (6) éd. P. Margry (Paris, 1896). Cf. aussi B. Bonnet Reveron : Las expediciones a las Canarias en el siglo XIV (Revista de Indias, t. V, Madrid, 1944). p. 595 avec une fausse datation (1312) des événements basée sur les prétentions des sieurs de Maloisiel (1632). Cf. ci-dessus, p. 1176. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1197 Une série de trois documents publiés par Silva Marques pose des problèmes qui se rattachent au séjour de Lanzarotto dans son île. Le 29 juin 1370, le roi Ferdinand de Portugal fait une donation à « Llansarote de Framqua, almyrante, noso vassalo, per muytos servyços que ata aquy recebemos délie e entendemos de rreceber ao dyante, aven-do délie nos as yllas que trobou e nos gaanou que som no mar do Cabo Nom» (1). Ce Lanzarote de Framqua (= de France?) est donc amiral du roi et son vassal pour certaines îles qu'il a découvertes et conquises près du Cap Non. Il s'agit évidemment des Canaries, comme on le verra encore plus loin. Ces îles « nom som pobradas porque délias nom teemos feyto mercee a pessoa que as aia de pobrar ». Ceci ne veut pas dire que les îles en question n'étaient pas habitées par des indigènes, mais bien qu'elles n'avaient pas été données en vue d'en assurer le peuplement par des colons, c'est-à-dire d'en faire ce qu'on appellera plus tard, dans la colonisation espagnole, le repartimiento. La répartition des terres aux colons se faisait, en effet, par un entrepreneur de colonisation. Ainsi, lorsque Jean de Béthencourt s'installe, au début du xve siècle, comme vassal du roi de Castille, à Lanzarote et Fuerteventura, il répartit des terres. Il en fit de même à Gomera (2). Le privilège de 1370 continue de la manière suivante « de nosa muy livre e pura vontade e de nosa ciencia certa daamos e doamos e outorgamos e fazemos livre e pura doacçao antre vivos, per sempre valledeyra, ao dicto Llansarote, noso almirante, pera ssy e pera todos seus erdeyros e successores das duas yllas primas que trobou de Nosa Senora a Framqua e de Gumeyra ». En marge, une autre main a ajouté à côté de « Nossa Senora a Framqua »: « dicta Lançarote ». Donc ce Lanzarote de Framqua a découvert l'île de Lanzarote. Il ne peut, par conséquent, s'agir que de Lanzarotto Malo-cello, le découvreur génois. Nous reviendrons plus loin sur le cas de Gomera. Pour le moment, nous ferons remarquer qu'il doit s'être écoulé entre la découverte de Lanzarote vers 1336 (3) et son occupation effective par Lanzarotto Malocello un temps assez long. En effet, en 1341, pas plus qu'en 1345. c'est-à-dire lors de l'expédition de Niccoloso da (1) Silva Marques : op. cit. t. I, n° 115, p. 127. (2) S. Zavala : Las conquistas de Canarias y America ds Estudios Indianos (Mexico, 1948) pp. 81, 83. (3) Cf. ci-dessus, p. 1189. 11Ô8 CH. VERLINDEN Recco d'une part, et lors de la rédaction de la lettre d'Alphonse IV au pape Clement VI de l'autre, il n'est dit que l'une des Canaries ait été occupée par des Européens. C'est même pour ce motif que le pape avait pu concéder l'archipel à l'Infant Luis de la Cerda. D'ailleurs le roi de Portugal, pour faire valoir ses droits, n'invoque pas l'occupation, mais la découverte. Le terme « occuparunt » est bien employé dans la lettre de 1345, mais exclusivement à propos de « homines.. . animalia et alias res » qui furent amenés au Portugal Q). Il ne doit avoir été question d'occupation que vers 1351, puisqu'en cette année une bulle prévoit une nomination épiscopale qui n'eut d'ailleurs pas lieu (2). La donation se fait avec tous les droits réels et corporels (reaaes e corporaaes) et « tam cumpridamente como os nos devyamos daver », «com to da juridiçam, crrime e cyvil,mero e mysto imperio e subjeçam assy nas pessoas como nos bees, afora apelaçam do crrime que resalvamos pera nos ». Les pouvoirs judiciaires du donataire sont donc limités par le droit d'appel réservé au roi. La donation, on l'a vu, est héréditaire. Lanzarotto est toujours « senor das yllas e noso vassalo » en 1376, année pendant laquelle il reçoit une confirmation de la donation précédente (3). Mais cette confirmation contient des renseignements extrêmement intéressants. Lanzarotto se plaint, en effet, de ce que la donation n'a, pour lors, pas d'effet. « Ora a dicta caarta nom he guaardada ne cumprida, nêm o dicto Llamsarote entregue de sa natural posiçam per rezô dos naturales délias (de Lanzarote et Gomera) e outros lhe fazerê força so-brello e ëmpecerem sa posse, em guisa que nom ha firmydom sa senoria». Le Génois a donc été chassé par les naturels et d'« autres». De quoi s'agit-il ? La suite du texte le montre. Le malheureux « amiral » demande au roi « que a esto lhe ouvesse alguü remedio ». Le souverain sait que tout cela est arrivé « per rezö da ficada guerra que ouve com os dictos Gaächos e Castellaös ». Il le confirme « como a muy boo merecente » dans sa charge de «capitom moor» des îles, mais, sachant bien qu'il s'agit à ce moment d'une satisfaction toute morale, il lui donne en com- (1) Cf. ci-dessus, p. 1188. (2) D. J. WÖLFEL (ed.) Leonardi Torriani. Die Kanarischen Inseln und ihre Ur-bewohner (Leipzig, 1940), p. 69. Cf. sur les évêchés canariens, les listes de Gams et Eubel. (3) Silva Marques : op. cit., t. I, n° 137, p. 155. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1199 pensation les savonneries noires de Tavira, Castro Marim, Alcoutim et Aldeia de Martim Longo en Algarve. Le 8 novembre 1385, Jean Ier d'Aviz, qui vient d'obtenir la dignité royale après la bataille d'Aljubarrota, confirme à Lopo Alfonso da Framqua, « cavalheyro, noso vassalo, almyrante das galles », la possession des savonneries. L'exposé des motifs est du plus grand intérêt : « E visto per nos sseu rrequeremento e os muytos e boons servyços de so padre, a que Deus perdoe, capitom moor das yllas na guerra e navegaçam e que hora teve hôrado f im nadeLlanssarote, asmuytasegrädes rezzooës que teemos per o outorgar, e quereendo llo nos conocer com graças e mercees o que cadhuü senor he theudo a fazer aaquelles que o servem bê e lealmête, confirmamos... » (*). Donc Lanzarotto est mort récemment à la guerre dans l'île qui porte son nom. Remarquons d'abord que ceci s'accorde fort bien avec les documents notariés génois de 1384 et 1391 cités par Canale, dans lesquels est mentionnée la veuve d'un Lanzarotto Malocello (2). Comment Lanzarotto a-t-il pu devenir amiral? On se rappellera que le poste a été vacant entre 1365 et 1367 (3). Il est très vraisemblable que Lanzarotto Malocello aura alors remplacé Lanzarotto Pessagno, destitué par Pierre Ier. Quand ce dernier a été réintégré dans son office par le nouveau roi Ferdinand, celui-ci aura maintenu Lanzarotto Malocello dans sa dignité, en raison de ses services aux Canaries, où il se trouve vraisemblablement alors, puisque la possession lui en est reconnue par le souverain en 1370 (4). En 1370, Lanzarotto s'appelle Lanzarote de Framqua. C'est donc, vraisemblablement, qu'il a, entre temps, résidé en France comme d'autres Malocello — devenus Maloisel — , notamment Manfroy, Antoine-Jude et Charles qui commandèrent des galères génoises au service de la France après 1338 (5). Nous pouvons à présent nous représenter comme suit la carrière de Lanzarotto Malocello. Il est l'un des techniciens génois qui servirent le Portugal sous Manuel Pessagno. Il découvre vers 1336 Lanzarote, mais (1) Ibid. η» 162, p. 186. (2) Cf. ci-dessus p. 1177 n. 4. (3) Cf. ci-dessus, p. 1187. (4) Cf. ci-dessus, p. 1197. (5) B. Bonnet Reverron : op. cit (Revista de Indias, t. V, 1944), p. 594. 77 1200 CH. VERLINDEN ne l'occupe pas. Cette découverte a été faite pour le compte du Portugal. Lanzarotto, qui devait être très jeune à ce moment, ne trouve pas à satisfaire ses ambitions dans ce pays, parce que les hauts postes dans la flotte sont entre les mains des Pessagno. Il émigré en France et vraisemblablement y sert le roi. Il reprend du service au Portugal à la fin du règne de Pierre Ier. Il séjourne alors aux Canaries pendant une vingtaine d'années^), mais avec une interruption vers 1376, et y est finalement tué peu avant 1385. Pendant tout ce temps il tient Lanzarote et Gomera comme vassal portugais. De même que sa découverte de 1336 a été faite au service du Portugal, il a occupé les deux îles au nom et comme représentant du même pays. Pendant toute cette période la découverte des archipels a progressé. Nous le savons déjà par le Libro del Conoscimiento que nous avons daté de 1348 ou 1349. Dans le Libro nous avons trouvé mention, pour les Canaries, de Graciosa, Lanzarote, Lobos, Rocca, Alegranza, Fuerteven-tura, Gomera et Ferro ; pour les Madères, de Déserta, Madère et Porto Santo ; pour les Açores, de San Jorge et Corvo. La carte de Dulcert de 1339 ne connaissait encore que les îles suivantes dans la zone des archipels : « Insulle Sei Brandani sive puelarum », légendaires évidemment, « Primaria », nom dont on ne peut rien tirer, « Insula Capracia», qui rappelle les chèvres mentionnées dans le récit de l'expédition de 1341 (2), « Canada », « Insula de Lanzarotus Marocelus », « Vegi Mari » (Lobos) et « La Forte Ventura ». Il s'agit donc exclusivement, à ce moment, de quelques-unes des îles Canaries. Rien ne semble connu dans les autres archipels (3). Dans le portulan laurentien de 1351, il n'en est plus ainsi. En allant du nord au sud, celui-ci montre d'abord un groupe de quatre îles : « In- (1) Cf. ci-dessus, p. 1176 la tradition rapportée par les Maloisel français. Quant à l'âge de Lanzarotto au moment de la découverte de l'île qui porte son nom, il importe de tenir compte du fait que les marchands de ce temps commençaient très tôt leur carrière maritime. Alvise de Gà da Mosto fait son premier voyage en Guinée à 22 ou 23 ans. Avant d'arriver au Portugal l'année précédente, il avait voyagé dans toute la Méditerranée et avait été en Flandre. Cf. R. Gaddeo : op. cit., p. 165. Si Lanzarotto avait une vingtaine d'années en 1336, il doit être retourné à Lanzarote avant d'avoir atteint la cinquantaine, et y être mort avant l'âge de 70 ans. (2) Cf. ci-dessus, p. 1192. (3) NoRDENSKiöLD : PeHplus pi. VIII. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1201 sula de Cervis (— Corvis) marinis, Insula de Ventura sive de Colombie, I. de Brazi, Insula de Cabrera ». Nous avons affaire ici à un premier archipel dont la nomenclature est fort fantaisiste, puisqu'elle combine l'île légendaire de Brazi (— Brazil) avec des projections vers le nord d'îles canariennes, notamment Ventura pour Fuerteventura et Cabrera pour Capracia chez Dulcert. Néanmoins, il semble hors de doute qu'on ait voulu figurer les Açores, car le groupe des quatre îles citées s'oppose très nettement à deux autres groupes pour lesquels il ne peut pas y avoir d'hésitation : il s'agit des Madères et des Canaries, comme on le verra dans un instant. Cette opposition pousse à admettre que Cervis Marinis est Corvo des Açores quis'appelle d'ailleurs Cuervos marines dans \eLibro del Conoscimiento. Pour les Madères, la carte de 1351 donne très correctement « Porto Sancto, I. de lo Legname et I. Déserte ». Pour les Canaries on trouve « Lalegranza, i. de Lanzarote, i. de Vegimarin, i. de For-teventura, Canada, Γ Inferno, Cervi, I. Senza Ventura, I. deLiparme » Q). C'est-à-dire qu'outre les îles figurant sur la carte de Dulcert, apparaissent maintenant Alegranza, Ténérife (= Infierno, à cause du volcan de Teyde) et Palma (Liparme) qui sont mentionnées aussi par le Libro. Malgré les confusions, les duplications — il y a même une triplication : Ventura, Forteventura, Senza Ventura — , il est évident que cette carte prouve que la connaissance des Canaries s'était développée depuis 1339, que celle des Madères s'y était jointe au complet et que les Açores étaient connues en partie. C'est ce qui résulte aussi de l'examen du texte du Libro auquel nous avons procédé plus haut (2). La carte de Pizzigani de 1367 de la Bibliothèque de Parme (3) présente une nomenclature assez décevante. Il y figure deux fois une Insula de Brazi, sans /, comme dans la carte de 1351 ; puis viennent les « Ysole dctur (=dicuntur) Fortunate », parmi lesquelles se trouvent Ysola Ca-naria et Ysola Capinçia, cette dernière, évidemment une cacographie de la forme Capracia que l'on rencontre chez Dulcert. Plus bas, figure un groupe d'îles dont les noms sont également repris aux noms réels des Canaries, comme suffisent à le prouver des appellations comme Ysola Forteventura, Ysola del Inferno (= Tenerife), Ysola Palma, Ysola (1) Ibid. p. 115 (2) Cf. ci-dessus, p. 1194. (3) de la Roncière : op. cit. t. I, p. 64. 1202 GH. VERLINDEN de Gomaria ». Plus mystérieuse semble à première vue une Ysola De-clarie, mais c'est évidemment Santa Clara. Deux noms incomplets semblent se terminer l'un en grança (Alegrança), l'autre en marni avec un signe d' abbreviation, ce qui évoque Vegimarini et d'autres analogues que nous avons déjà rencontrés. Il en résulte que le caractère décevant de la nomenclature de la carte se manifeste surtout pour les Açores et les Madères, mais que pour les Canaries il y a progrès, puisque Gomera et Santa Clara apparaissent pour la première fois dans la cartographie. Ceci appelle différentes remarques. Gomera figure dans le Libro del Conoscimiento, alors que la carte de 1351 ne la connaît pas. Santa Clara n'est pas mentionnée dans le Libro, mais bien chez Pizzigani, à moins que dans le Libro elle ait donné lieu à la forme isolée Aragavia (x), — ce qui semble douteux — forme qui d'ailleurs ne se lit sur aucune carte. En tout cas, la nomenclature du Libro apparaît comme plus évoluée que celle de la cartographie que nous avons examinée jusqu'à présent. Faut-il en conclure que le passage relatif aux archipels atlantiques a été complété par interpolation dansdesms. postérieurs à l'original... que nous ne possédons d'ailleurs pas? En tout cas le développement de la connaissance des archipels est manifeste d'après la cartographie postérieure à la date du Libro. Si nous voulons essayer de nous faire une idée de la date à laquelle ces interpolations auraient été insérées dans le texte nous devons tenir compte d'un élément important : le Libro mentionne la mort du « ginoves » à Lançarote (2). Or, nous avons vu que cette mort se place peu avant 1385 ou en cette année (3). C'est donc avec celle de la cartographie des années voisines que nous devrons surtout comparer la nomenclature du Libro. Du coup, dans l'hypothèse d'une interpolation, la contradiction apparente entre la mention de la mort de Lanzarotto dans le Libro (1348-49) et celle qui figure dans le privilège royal de 1385 disparaîtrait. Nous y reviendrons. Pour le moment attachons-nous un instant au cas de Gomera qui apparaît sur la carte de Pizzigani de 1367. On se souviendra que dans le privilège de 1370, le roi Ferdinand parle d'une part des « yllas que trobou e nos ganou », c'est-à-dire des îles que trouva et conquit Lanzarotto ; d'autre part il est question aussi des (1) Cf. ci-dessus, p. 1194 le texte du Libro (2) Cf ci-dessus, p. 1194. (3) Cf. le privilège de Jean Ier de cette année, ci-dessus, p. 1199. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1203 « duas yllas primas que trobou de Nosa Senora a Framqua e de Gurney-ra » (*). D'après ce second passage, il semblerait que la découverte de Lanzarote (= Nosa Senora a Framqua) et celle de Gomera se seraient faites au même moment, donc très tôt, soit vers 1336 (2). Or cela est contredit par le premier passage relatif aux îles dans le même document de 1370. Il s'y agit, en effet, d'îles découvertes, oui, mais aussi conquises. Nous savons qu'il n'y a pas eu conquête en 1336, ni même assez bien plus tard (3). L'apparition tardive de Gomera dans la cartographie suggère l'idée qu'il y a ici une distinction à faire qui n'a pas été clairement formulée dans le privilège. C'est Lanzarote seule qui a été d'abord découverte — notamment vers 1336 ; c'est ce que suggère d'ailleurs aussi la carte de Dulcert de 1339. Gomera a dû être découverte et doit être devenue portugaise lors du retour de Lanzarote aux Canaries, c'est-à- dire vers 1365-67 (4). C'est ce qui explique son apparition tardive dans la cartographie et précisément vers cette date. Passons maintenant à l'atlas catalan de 1375 (5). Le plus au nord, et groupées, figurent Insula de Corvi Marini et Li Conigi, puis également groupées, San Zorzo, Insula de la Ventura, Li Colunbi et Insula de Brazil. D'après leur position, il est bien certain que nous avons affaire ici aux Açores. Le progrès par rapport à l'atlas médicéen de 1351 est, par ailleurs, évident en ce qui concerne la disposition des groupes d'îles, sinon l'orientation de l'ensemble de l'archipel. Nous avons noté déjà antérieurement la connaissance par les cartographes de Corvo. Kretsch-mer n'hésite pas à identifier Li Conigi à Flores, Ventura à Fayal, Li Colunbi à Pico, Brazil à Terceira. Nous avons rencontré San Jorge dans le Libro del Conoscimiento, mais c'est la première fois que nous la trouvons sur une carte (6). Six des neuf Açores semblent donc connues et le fait que l'une porte le nom de Li Conigi rend vraisemblable que les rongeurs qui lui procurèrent cette appellation y aient été introduits lors d'un contact européen plus ancien. Soulignons aussi, dans cette carte catalane, le caractère entièrement italien de la nomenclature. La forme « San (1) Cf. ci-dessus, p. 1197. (2) A propos de cette date, cf. ci-dessus, p. 1189. (3) Cf. ci-dessus, pp. 1198. (4) Cf. ci-dessus, p. 1199. (5) Reproduit dans de la Roncière : op. cit., t. I, pi. XL (6) K. Kretschmer : Die italienischen Portolane, pp. 686 sq. 1204 CH. VERLINDEN Zorzo » mérite de retenir particulièrement l'attention d'autant plus que S* Georges est un saint par excellence génois et que le Banco di S. Giorgio est bien connu, notamment par l'intérêt qu'il prit à la colonisation Q). Pour les Madères, les données sont les mêmes que sur la carte de 1351 : Porto Sancto, Insula de Legname, Insuie Déserte, mais, entre les Madères et les Canaries figurent les Insuie Salvatges, rocs inhabités réels qui sont nommés aussi dans le Libro. A noter également que la nomenclature de l'archipel proprement dit est italienne comme en 1351, mais que les îlots rocheux ont un nom catalan. Dix Canaries sont nommées: « Graciossa, Laregranza, Rocho, Insula de Lanzaroto Maloxelo, Insula de li Vegi Mari, Forteventura, Insula de Canada, Insula de Lanfernio, Insula de Gomera, Insula de 10 Fero. Tous les noms sont transparents. Lanfernio est évidemment Ténérife (Infierno) et c'est à tort qu'il a été lu parfois « Lanserano ». 11 y a donc ici dix Canaries sur douze. Palma et Santa Clara ont disparu, mais nous savons que Palma était connue en 1351 et Santa Clara en 1367. La preuve est donc faite que tout l'archipel est maintenant découvert. Avant de passer à la comparaison de la nomenclature cartographique avec celle du Libro nous allons examiner encore deuK cartes très voisines de la date de la mort de Lanzarotto Malocello, telle que nous l'avons déterminée sur la base du diplôme royal portugais de 1385 (2). Il s'agit d'abord de la carte dite de Pinelli-Walckenaer de 1384 (3). On peut y reconnaître d'abord Corvo et Flores dans les Açores qui apparaissent sous les noms déjà rencontrés de Corvi Marini et Li Cunigi. Puis viennent Sco. Zorzi et Ventura (S. Jorge et Fayal) qui ne sont pas nouveaux non plus. Ensemble également, Brasil et Nico (?), dont nous continuerons à identifier la première à Tercei-ra à la suite de Kretschmer et dont la seconde remplace Li Colonbi de 1375 que le même auteur identifie à Pico, ce qui contribue à faire surgir la question si Nico (?) n'est pas une cacographie pour cette dernière appellation. Puis viennent Caprara, c'est-à-dire S. Miguel d'après Kretschmer (4), et Biono qui semble bien une déformation (1) Nous y reviendrons dans une étude ultérieure sur la Mahone de Chio. (2) Cf. ci-dessus, p. 1199. (3) NoRDENSKiöLD : Perîplus, pi. XV, feuille de gauche. (4) Op. cit., p. 687. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1205 de Luovo, Lovo qui apparaît chez Soler (1385) ainsi que sur des cartes du xve siècle, et que Kretschmer identifie à Santa Maria (?). Il y a donc huit Açores ici, contre six en 1375, et il semble bien que seule Graciosa manque pour que l'archipel soit complet, si l'on ne tient pas compte des îlots rocheux des Formigas qui restèrent inconnus jusqu'à ce que Gonçalo Velho les découvrit en 1431 (2). Pour les Madères la nomenclature comprend (S) porto Santo, Y. de Legname, Déserte et Salvaze, qui sont également indiquées en 1375 et, de plus, une mention « Confi » dont on ne peut rien faire. Pour les Canaries, la nomenclature marque un léger recul par rapport à 1375. Voici celle de Pinelli-Walckenaer : Graziosa, Laregra-zia, Roco, Y. de Lanzaroto Maloxeli, Forteventura, Y. de Vegima-rini, Y. de Linferno, et deux noms plus difficiles: Y. Dumaria (?), qui est évidemment Gomera, et Funari, peut-être une déformation de Fero de 1375. Nous retournons à Majorque avec la carte de Guillaume Soler de 1385, postérieure de dix ans à l'atlas de même provenance de 1375 (3). Pour les Açores la nomenclature est pratiquement la même que dans Pinelli-Walckenaer, sauf que Columbis apparaît à nouveau à la place de Nico ( ?) et que Biono est remplacée par une forme meilleure : Lovo. Pour les Madères, Confi de Pinelli-Walckenaer a disparu. Pour les Canaries, la liste est la suivante : Sca Clara, Graciossa, Laregranza, Rocho, Insula de Lanzaroto Maloxello, Li Vegi Mari(ni), Forteventura, Canada, (Infe)rno, mais la carte a perdu un morceau précisément à cet endroit, ce qui rend possible qu'elle était aussi complète que celle de 1375. La toponomastique, à nouveau, est très italienne. Si à présent nous comparons la nomenclature dès cartes de 1375, 1384 et 1385 avec celle du Libro del conoscimiento, nous voyons que celle-ci comprend pour les Canaries toutes les îles que donnent ces cartes, sauf Santa Clara qui ne figure d'ailleurs que sur la carte de Soler. En outre, le Libro dédouble Vegimarini en Bezimarin et Ve-gimar, Ténérife — nom qui ne figure pas sur les cartes — en Tenere- (1) Ibid. (2) Op. cit. p. 686. (3) G. Marcel : Choix de cartes et de mappemondes des XIVe et XVe siècles (Paris, 1896) pi. II. 1206 CH. VERLINDEN fiz et Infierno qui y figure bien. Par contre, le Libro a, en plus, Ara-gavia, pour laquelle il ne reste décidément comme nom réel possible que Santa Clara (x). Pour les Madères la ressemblance est complète. L'île principale porte son nom italien (Lecname) et même les Salvages apparaissent, bien que comme une seule île (Salvaje). La liste des Açores, toutefois, est la plus révélatrice : elle comporte les huit îles qui ne figurent que sur les cartes de 1384 et 1385. La preuve de l'interpolation de tout le passage — reproduit plus haut — relatif aux archipels est donc faite, et la mention du Libro relative à la mort de Lanzarotto se rapporte effectivement à ces années-là. De plus c'est une carte du type dé celle de Soler qui a été employée par l'interpolateur du Libro, et non une carte italienne comme Pinelli- Walckenaer, puisque c'est très exactement, lue du sud au nord, la liste de 1385 que reproduit le Libro, alors que les versions aberrantes de Pinelli-Walckenaer (Nico?, Biono) n'y ont pas trouvé place. Voici d'ailleurs les deux listes en ce qui concerne les Açores, dont la nomenclature est d'une importance cruciale pour la datation de l'interpolation du Libro : Libro Lobo Cabras Brasil Columbaria Ventura Sant Jorge Conejos Cuervos marines Soler Lovo Capraria Brazir Columbis Ventura San Zorzo Conigi Cervi marini Donc, vers 1385, il était su, également en dehors de la chancellerie portugaise, que le Génois Lanzarotto venait de mourir sur l'île qui porte son nom. Nous savons que cette île porte le nom de Malocello depuis 1339. C'est donc Lanzarotto Malocello, et aucun autre Lanzarotto, qui y est mort. S'il en est besoin encore, nous pouvons répéter qu'il est certain que Lanzarotto Malocello et Lanzarote de Framqua ne font qu'un, et la biographie que nous avons établie (1) Cf. ci-dessus, p. 1202. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1207 plus haut est ainsi confirmée. Malocello est l'auteur génois de la découverte portugaise des Canaries et il a plus tard occupé et colonisé Lanzarote et Gomera pour le compte du Portugal. La progression extraordinaire que l'on observe après le milieu du siècle (carte de 1351) dans la connaissance des Madères d'abord, puis des Açores, semble bien, d'après la langue de la nomenclature, avoir été également l'oeuvre d'Italiens. Pour les Madères, il ne peut pas plus s'agir de Malocello que pour les Açores. Les premières sont atteintes à une époque où il est employé par la France à tout autre chose qu'à des découvertes atlantiques. Les secondes le sont lorsqu'il a les mains pleines aux Canaries. Ces archipels ont été découverts par d'autres Italiens bien placés pour les trouver. Il est évident qu'il s'agit plutôt ici d'Italiens opérant de bases relativement proches que d'autres opérant d'Italie. Les premiers ne peuvent être que les Génois des Pessagno opérant de leurs bases portugaises. Nous avons suivi antérieurement la carrière des Pessagno comme amiraux du Portugal jusqu'au début du règne de Ferdinand. Lan-zarotto Pessagno a occupé la charge sous Pierre Ier, c'est-à-dire de 1356 à 1365, puis à nouveau sous Ferdinand à partir de 1367 Q). Voyons maintenant ce que les documents nous apprennent sur les Pessagno comme amiraux du Portugal jusque vers 1385. Il n'est pas sans intérêt de noter qu'en 1370 Lanzarotto Pessagno est toujours en possession du quartier de Lisbonne appelé « bayrro do almirante ». Le roi Ferdinand lui donne alors un cellier qu'il y possédait (2). D'ailleurs l'amiral était fort bien en cour, car outre la confirmation de ses charges et possessions en 1367 (3), il avait obtenu en 1368 rémission d'une dette de 15000 doubles contractée envers le trésor royal (4). En 1371 (10 juillet), il obtenait confirmation de la possession d'Odemira « esguardando, disait le roi, como Mice Lan-çarote Peçanha, nosso vasallo e nosso almirante, a nosso padre e a nos e a nossa casa de Portugal fez sempre muitos e muy grandes ser- (1) Cf. ci-dessus p. 1187 et ci-dessous p. 1207. (2) Silva Marques : op. cit., 1. 1, n° 111, p. 123. Cf. sur ce quartier, ci-dessus, p. 1184. (3) Cf. ci-dessus, p. 1188. (4) Silva Marques : op. cit., t. I, n° 108, p. 122. 1208 CH. VERLINDEN viços e obras de muy grandes mericimentos » (1). Le 29 juin 1372, les privilèges de l'amiral et de ses « hommes » sont à nouveau confirmés, de même que l'immunité du « bayrro do almirante » (2), et il en est de même, surtout en matière de juridiction, le 20 septembre 1383 (3). En 1385 (2 juin), toutefois, Odemira est donnée à Manuel Pessagno, fils de Lanzarotto, qualifié de « almirante de nosso irmâo el rey Dom Fernando a que Deus perdoe » (4). La grande extension des connaissances relatives aux Açores s'est donc produite alors que Lanzarotto Pessagno était amiral. De là à admettre qu'elle a été son oeuvre et (ou) celle de ses collaborateurs, ses « hommes », il n'y a qu'un pas que l'on franchira aisément après ce qui a été dit. S'il en est bien ainsi, les découvertes de ce temps sont donc dues à des Italiens servant le Portugal. Terminons par quelques remarques relatives à la lettre de 1659 concernant les prétentions des sieurs français de Maloisel, dont nous n'avons retenu que la mention relative au séjour de Lanzarotto pendant une vingtaine d'années aux Canaries (5), séjour d'ailleurs confirmé par la documentation portugaise. Le « petit discours » des sieurs de Maloisel aurait été imprimé en 1632, nous apprend la lettre de Paulmier de 1659. A ces deux moments l'intérêt pour l'Afrique occidentale était très vif en France. En 1633 était créée la Compagnie du Cap-Vert dont l'établissement avait été précédé par une série de voyages et d'entreprises françaises en Guinée. Des concessions territoriales et commerciales se distribuaient alors de tous côtés à des Normands et des Bretons. En 1659 la Compagnie créait S*. Louis au Sénégal. L'Afrique fut durant ces années fort à la mode en France. Les sieurs de Maloisel ont-ils voulu se créer un titre à obtenir, eux aussi, des avantages dans ces parages? D'autres nobles français ont tenté de s'y établir, tels le chevalier de Briqueville et Augustin de Beaulieu, normands tous deux, dès 1612 (6). Si tel était le cas, peut-être la date de 1312, que les Maloisel français assignèrent aux il) Ibid. n° 124, p. 141 sq. (2) Ibid. η» 129, p. 146. (3) Ibid. η» 159, p. 184. (4) Ibid. t. II, no 187, p. 304. (5) Cf. ci-dessus, p. 1176 et p. 1200. (6) Ch. de la Roncière : Histoire de la marine française, t. IV (Paris, 1910), p. 701 ; H. Blet : Histoire de la colonisation française t. I (Paris, 1946), p. 166. LA DÉCOUVERTE PORTUGAISE DES CANARIES 1209 ploits de leur ancêtre aux Canaries, ne leur aurait-elle été inspirée que par le désir de se créer des titres particulièrement respectables par leur ancienneté. Que dans ce choix chronologique la fantaisie doit avoir joué son rôle semble certain, puisque des voyages français antérieurs aux Canaries sont mentionnés. Or, ceci se rattache visiblement aux traditions erronées concernant la priorité des Français en Afrique qui virent le jour — pour les besoins de la diplomatie — quelques années plus tard (*). La chose, toutefois, n'a qu'une importance très secondaire, puisque la documentation portugaise combinée avec celle provenant de la cartographie permet de voir clair dans le déroulement des événements et de déterminer la part qui revient au Génois Lanzarotto Malocello et à quelques-uns de ses compatriotes anonymes, dans la découverte et — dans le cas du premier — dans la colonisation portugaise au xive siècle. Charles Verlinden. (1) Gh. A. Julien: Voyages de découverte et premiers établissements (XVe-XVIe siècles) (Paris, 1948), p. 9. |
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